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ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

16 mai 2006 (*)

«Sécurité sociale – Système national de santé financé par l’État – Frais médicaux engagés dans un autre État membre – Articles 48 CE à 50 CE et 152, paragraphe 5, CE – Article 22 du règlement (CEE) n° 1408/71»

Dans l’affaire C-372/04,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) (Royaume-Uni), par décision du 12 juillet 2004, parvenue à la Cour le 27 août 2004, dans la procédure

The Queen, à la demande de:

Yvonne Watts

contre

Bedford Primary Care Trust,

Secretary of State for Health,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. P. Jann, C. W. A. Timmermans et A. Rosas, présidents de chambre, M. R. Schintgen, Mme N. Colneric, MM. K. Lenaerts (rapporteur), J. Klučka, U. Lõhmus, E. Levits et A. Ó Caoimh, juges,

avocat général: M. L. A. Geelhoed,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 4 octobre 2005,

considérant les observations présentées:

–        pour Mme Watts, par MM. R. Gordon, QC, et J. Hyam, barrister,

–        pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mmes E. O’Neill et S. Nwaokolo, en qualité d’agents, assistées de MM. D. Lloyd-Jones et D. Wyatt, QC, ainsi que Mme S. Lee, barrister,

–        pour le gouvernement belge, par M. M. Wimmer, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement espagnol, par MM. E. Braquehais Conesa et J. M. Rodríguez Cárcamo, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement français, par M. G. de Bergues et Mme C. Bergeot-Nunes, en qualité d’agents,

–        pour l’Irlande, par M. D. O’Hagan, en qualité d’agent, assisté de M. N. Travers, BL,

–        pour le gouvernement maltais, par M. S. Camilleri, en qualité d’agent, assisté de M. S. Mifsud, avukat,

–        pour le gouvernement polonais, par M. P. Sadowy, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement finlandais, par Mme T. Pynnä, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement suédois, par Mme K. Norman et M. A. Kruse, en qualité d’agents,

–        pour la Commission des Communautés européennes, par M. D. Martin et Mme N. Yerrell, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 15 décembre 2005,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 48 CE à 50 CE et 152, paragraphe 5, CE, ainsi que de l’article 22 du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996 (JO 1997, L 28, p. 1, ci-après le «règlement n° 1408/71»).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige né du refus du Bedford Primary Care Trust (ci-après le «Bedford PCT») de rembourser le coût d’un traitement hospitalier reçu en France par Mme Watts, résidente britannique.

 Le cadre juridique

 La réglementation communautaire

3        L’article 22 du règlement n° 1408/71, intitulé «Séjour hors de l’État compétent – Retour ou transfert de résidence dans un autre État membre au cours d’une maladie ou d’une maternité – Nécessité de se rendre dans un autre État membre pour recevoir des soins appropriés», énonce:

«1.      Le travailleur salarié ou non salarié qui satisfait aux conditions requises par la législation de l’État compétent pour avoir droit aux prestations, compte tenu, le cas échéant, des dispositions de l’article 18, et:

[…]

c)      qui est autorisé par l’institution compétente à se rendre sur le territoire d’un autre État membre pour y recevoir des soins appropriés à son état,

a droit:

i)      aux prestations en nature servies, pour le compte de l’institution compétente, par l’institution du lieu de séjour […], selon les dispositions de la législation qu’elle applique, comme s’il y était affilié, la durée de service des prestations étant toutefois régie par la législation de l’État compétent;

[…]

2.      […]

L’autorisation requise au titre du paragraphe 1 point c) ne peut pas être refusée lorsque les soins dont il s’agit figurent parmi les prestations prévues par la législation de l’État membre sur le territoire duquel réside l’intéressé et si ces soins ne peuvent, compte tenu de son état actuel de santé et de l’évolution probable de la maladie, lui être dispensés dans le délai normalement nécessaire pour obtenir le traitement dont il s’agit dans l’État membre de résidence.

[…]»

4        Ainsi qu’il ressort de la décision n° 153 (94/604/CE) de la commission administrative des Communautés européennes pour la sécurité sociale des travailleurs migrants, du 7 octobre 1993, concernant les modèles de formulaires nécessaires à l’application des règlements (CEE) n° 1408/71 et (CEE) n° 574/72 du Conseil (E 001, E 103–E 127) (JO 1994, L 244, p. 22), le formulaire E 112 est l’attestation nécessaire pour l’application de l’article 22, paragraphe 1, sous c), i), du règlement n° 1408/71.

 La réglementation nationale

5        La loi de 1977 sur le service national de santé (National Health Service Act 1977, ci-après la «NHS Act») prévoit que le ministre de la Santé est tenu de fournir un service national de santé en Angleterre et au pays de Galles.

6        Cette obligation est précisée comme suit aux articles 1er et 3 de la NHS Act:

«Article 1er

1.(1) Le ministre a l’obligation de poursuivre la promotion, en Angleterre et au pays de Galles, d’un service de santé complet destiné à assurer l’amélioration

(a)      de la santé physique et mentale des résidents desdits pays et

(b)      de la prévention, du diagnostic et du traitement de la maladie et, à cet effet, de fournir ou d’assurer la prestation effective de services conformément à la présente loi.

(2)      Les prestations ainsi fournies seront gratuites sauf dans la mesure où la facturation et le recouvrement de frais sont expressément prévus par ou en vertu d’un texte de loi, quelle qu’en soit la date d’adoption.

[…]

Article 3

3.(1) Le ministre a l’obligation de fournir, sur l’ensemble du territoire de l’Angleterre et du pays de Galles, dans la mesure qu’il considère nécessaire à la satisfaction de toutes exigences raisonnables,

(a)      des infrastructures hospitalières;

(b)      d’autres infrastructures d’accueil aux fins de fournir tout service prévu dans la présente loi;

(c)      des services médicaux, dentaires, infirmiers et ambulanciers;

(d)      toutes autres infrastructures de prise en charge des femmes enceintes, des mères allaitantes et des jeunes enfants qu’il jugera utiles dans le cadre du service de santé;

(e)      toutes infrastructures de prévention des maladies, de soins aux personnes malades et de postcure de personnes ayant été malades qu’il jugera utiles dans le cadre du service de santé;

(f)      tous autres services nécessaires au dépistage et au traitement des maladies.»

7        D’après les indications fournies par la décision de renvoi, le National Health Service (ci-après le «NHS») présente les traits principaux suivants.

8        Les soins hospitaliers sont dispensés gratuitement par les organismes relevant du NHS, dans un but non lucratif, à toutes les personnes résidant habituellement au Royaume-Uni.

9        Ces soins sont financés directement par l’État, essentiellement grâce à des recettes fiscales qui sont réparties par le gouvernement entre les caisses de soins primaires (les Primary Care Trusts, ci-après les «PCT») en fonction des besoins respectifs de la population de leur secteur géographique.

10      Il n’existe pas de contribution salariale ou patronale au financement du NHS. Aucun ticket modérateur n’est prévu à la charge du patient.

11      Il n’existe pas de listes nationales des prestations médicales à fournir.

12      L’accès aux soins hospitaliers est en principe subordonné à la décision d’un médecin généraliste.

13      Le budget alloué par le gouvernement au NHS n’étant pas suffisant pour permettre l’octroi rapide de soins à tous les patients, quel que soit le degré d’urgence, le NHS fait usage des ressources disponibles en fixant des priorités, ce qui se traduit par des listes d’attente relativement longues pour les traitements qui ne sont pas très urgents. Les organismes du NHS décident, dans les limites de l’enveloppe budgétaire qui leur a été allouée, de la pondération des priorités cliniques dans le respect de directives nationales.

14      Les listes d’attente visent, d’une part, à assurer une fourniture de soins hospitaliers conforme aux priorités et aux décisions des organismes du NHS en ce qui concerne l’utilisation des ressources disponibles et, d’autre part, à préserver l’équité entre des patients nécessitant un traitement hospitalier pour des problèmes de santé différents et selon des degrés d’urgence variables.

15      Les patients relevant du NHS n’ont pas le droit de bénéficier d’un traitement particulier à un moment déterminé. La nature, le lieu, le moment et la durée des soins hospitaliers sont fixés en fonction des priorités cliniques et des ressources de l’organisme compétent du NHS, et non au choix du patient. Les décisions des organismes du NHS peuvent faire l’objet d’un recours en annulation, mais ces recours sont le plus souvent rejetés.

16      Compte tenu de la gratuité des soins prodigués dans le cadre du NHS, la question de leur remboursement au patient ne se pose pas et n’est pas réglementée. Il n’existe, par conséquent, pas de barème de remboursement dans la législation britannique.

17      Les patients relevant du NHS ne peuvent pas prétendre à des soins hospitaliers dans le secteur privé en Angleterre et au pays de Galles aux frais du NHS.

18      Les PCT sont des établissements publics créés en vertu de l’article 16 A de la NHS Act, tel qu’inséré par l’article 2 de la loi de 1999 sur la santé (Health Act 1999) et amendé par la loi de 2002 portant réforme du service national de santé et relative aux professions de la santé (National Health Service Reform and Health Care Professions Act 2002). Leur composition est fixée par voie réglementaire. Certains de leurs membres sont désignés par le ministre. Le rôle des PCT consiste à planifier et à assurer les soins de santé au niveau local, y compris les services de médecine générale. Chaque région est du ressort d’un PCT. Lors de chaque exercice budgétaire, le ministère de la Santé verse aux différents PCT un montant, plafonné, destiné à couvrir les frais liés aux soins hospitaliers et les frais généraux.

19      Les «NHS trusts» sont des personnes morales distinctes, qui ont été créées en vertu de la loi de 1990 relative au service national de santé et aux soins à domicile (National Health Service and Community Care Act 1990). L’article 5, paragraphe 1, de cette loi, tel que modifié par l’article 13 de la loi de 1999 sur la santé, dispose que les NHS trusts ont pour but de fournir des biens et des services dans le cadre du NHS. Les fonctions de ces trusts sont définies par arrêté ministériel. Les hôpitaux britanniques sont presque tous gérés par un NHS trust. Les NHS trusts sont financés par les versements des PCT correspondant aux traitements et aux services médicaux que ceux-ci leur commandent.

20      La collaboration entre les PCT et les NHS trusts repose, en vertu de l’article 4 de la loi de 1990, sur un système de «contrats NHS», qui n’ont pas de force exécutoire mais auxquels est attachée une forme spéciale d’arbitrage interne confié au ministre compétent. Les contrats NHS sont en général établis sur la base d’un accord qui définit la quantité de services attendus et le financement correspondant.

21      Les PCT et les NHS trusts ne sont pas des organismes à but lucratif. Le budget alloué qui n’aurait pas été dépensé peut être reporté à certaines conditions. À défaut, il doit être restitué au gouvernement.

22      Les patients ne résidant pas habituellement au Royaume-Uni peuvent recevoir des soins médicaux dans le cadre du NHS, en principe à titre onéreux. Le règlement de 1989 sur les frais facturés aux patients venus de l’étranger [NHS (Charges to Overseas Visitors) Regulations 1989] détermine les modalités de facturation et de recouvrement des frais liés à des soins dispensés à ces patients par le NHS. Les PCT sont dans l’obligation de procéder à ces opérations, à moins que le patient relève d’un cas d’exemption défini par ledit règlement. Ce dernier prévoit des exemptions, notamment, d’une part, pour les soins dispensés au sein d’un service hospitalier réservé aux accidents ou au sein d’un service d’urgences et, d’autre part, pour tenir compte des droits des personnes affiliées au système de sécurité sociale d’un autre État membre.

23      Il ressort de la décision de renvoi que, le règlement n° 1408/71 étant directement applicable dans les États membres, il n’a fait l’objet d’aucune mesure de mise en œuvre en droit britannique. Un patient relevant du NHS et résidant habituellement au Royaume-Uni a la possibilité de recevoir des soins hospitaliers dans un autre État membre en application de l’article 22, paragraphe 1, sous c), dudit règlement. En pareil cas, le remboursement des coûts liés à ces soins est effectué, conformément à ce règlement, directement en faveur de l’institution de l’État membre dans lequel les soins ont été fournis, au taux de remboursement en vigueur dans ledit État membre.

 Le litige au principal

24      Souffrant d’arthrite des hanches, Mme Watts s’est renseignée auprès du Bedford PCT sur la possibilité de se faire opérer à l’étranger sous le couvert d’un formulaire E 112.

25      Le 1er octobre 2002, elle a été examinée par un médecin spécialiste britannique qui, par lettre du 28 octobre 2002, a informé le Bedford PCT que le cas de Mme Watts méritait le même égard que celui de ses autres patients atteints d’arthrite aiguë, que la mobilité de cette patiente était gravement réduite et qu’elle souffrait de douleurs constantes. Il a classé Mme Watts dans la catégorie des «cas de routine», ce qui signifiait pour elle un délai d’attente d’environ un an avant de pouvoir subir une intervention chirurgicale dans un hôpital local.

26      Le 21 novembre 2002, le Bedford PCT a fait part de son refus de délivrer à Mme Watts un formulaire E 112 au motif que la seconde condition énoncée à l’article 22, paragraphe 2, second alinéa, du règlement n° 1408/71 n’était pas remplie. Il a, en effet, considéré qu’un traitement pouvait être dispensé dans un hôpital local à la patiente «dans un délai conforme aux objectifs du plan de sécurité sociale du gouvernement» et, donc, «sans retard injustifié».

27      Le 12 décembre 2002, Mme Watts a engagé une procédure visant à obtenir l’autorisation d’introduire un recours en annulation contre cette décision de refus.

28      L’audience consacrée à la recevabilité de ce recours s’est tenue devant la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court), le 22 janvier 2003. Au cours de cette audience, il a été indiqué que, au début du mois de janvier 2003, Mme Watts s’était rendue en France pour consulter un médecin spécialiste, lequel avait considéré que la nécessité d’opérer la patiente devenait plus urgente en raison d’une dégradation de son état de santé. Le Secretary of State for Health (ministre de la Santé) et le Bedford PCT ont dès lors suggéré que Mme Watts se fasse réexaminer afin que la décision du 21 novembre 2002 puisse être reconsidérée.

29      Le 31 janvier 2003, Mme Watts a de nouveau été examinée par le médecin spécialiste britannique qui l’avait examinée en octobre 2002. Par une lettre datée du même jour, celui-ci a indiqué au Bedford PCT qu’il convenait désormais de classer Mme Watts dans la catégorie des patients devant être opérés «bientôt», c’est-à-dire dans une catégorie intermédiaire entre celle des cas les plus urgents et celle des cas de routine. Cela signifiait qu’elle se ferait opérer dans un délai de trois à quatre mois, c’est-à-dire en avril ou en mai 2003.

30      Le 4 février 2003, le Bedford PCT a réitéré son refus de délivrer un formulaire E 112, au motif que le délai d’attente pour se faire opérer dans un hôpital local avait été ramené à trois ou quatre mois. Il s’est à nouveau fondé sur les objectifs de planification du NHS pour conclure à l’absence de retard injustifié dans le cas de Mme Watts.

31      Le 7 mars 2003, Mme Watts s’est fait poser une prothèse à la hanche à Abbeville (France). Elle s’est acquittée des frais liés à cette intervention médicale, d’un montant équivalent à 3 900 GBP.

32      Elle a poursuivi la procédure visant à obtenir l’autorisation d’introduire un recours en annulation contre la décision de refus du Bedford PCT et a également sollicité le remboursement des frais médicaux exposés en France.

33      Le 1er octobre 2003, la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court), qui avait sursis à statuer dans l’attente du prononcé de l’arrêt de la Cour du 13 mai 2003, Müller-Fauré et van Riet (C‑385/99, Rec. p. I‑4509), a jugé que les prestations médicales dont Mme Watts a bénéficié en France relèvent du champ d’application de l’article 49 CE en dépit du fait que le remboursement des frais liés au traitement reçu est sollicité dans le cadre du NHS.

34      Cette juridiction a cependant rejeté la demande de Mme Watts. Tout en estimant que «toute autorité nationale se déterminant, comme il se doit, en fonction des principes établis par la [Cour], en particulier dans les arrêts [du 12 juillet 2001, Smits et Peerbooms (C‑157/99, Rec. p. I‑5473)] ainsi que Müller-Fauré et van Riet, aurait été tenue de conclure en octobre-novembre 2002 que le délai prévu d’environ un an était en tout état de cause ‘indu’ et donc de nature à permettre l’application du droit, tiré de l’article 49 [CE], au remboursement des frais nécessaires à l’obtention d’un traitement dans un délai plus raisonnable dans un autre État membre», elle a néanmoins jugé que Mme Watts n’avait pas eu à faire face à un retard injustifié après le réexamen de son cas à la fin du mois de janvier 2003. Elle a considéré qu’une période d’attente de trois à quatre mois n’était pas de nature à ouvrir à Mme Watts le droit d’obtenir un traitement à l’étranger et ne lui permettait pas de prétendre au remboursement des frais liés à ce traitement par le NHS.

35      Mme Watts et le Secretary of State for Health ont interjeté appel de ce jugement devant la Court of Appeal (England and Wales), Civil Division. L’appel interjeté par Mme Watts a été principalement motivé par le rejet de sa demande de remboursement ainsi que par les considérations contenues dans le jugement de première instance, selon lesquelles le délai d’attente applicable en vertu du droit national constitue un élément pertinent aux fins de l’application de l’article 49 CE et un élément d’une importance fondamentale dans le contexte de l’article 22 du règlement n° 1408/71. Le Secretary of State for Health a essentiellement fondé son appel sur l’argumentation selon laquelle les patients relevant du NHS n’ont pas le droit de se prévaloir de l’article 49 CE, de sorte que le cas de Mme Watts doit être exclusivement réglé par application de l’article 22 du règlement n° 1408/71.

36      Dans une décision du 20 février 2004, la juridiction de renvoi expose que, compte tenu des arrêts précités Smits et Peerbooms, ainsi que Müller-Fauré et van Riet, les services nationaux de santé financés par l’État, tels que le NHS, relèvent du champ d’application de l’article 49 CE. Elle ajoute cependant qu’il semble ressortir du point 98 de l’arrêt Müller-Fauré et van Riet, précité, que le droit, tiré de cet article, de recevoir des soins à l’étranger est subordonné à l’existence du droit d’obtenir un traitement dans l’État membre compétent, ce que n’ont pas les patients britanniques dans le cadre du NHS.

37      Elle est d’avis que, les activités médicales étant des prestations de services au sens de l’article 49 CE, les autorités nationales en charge du financement des soins de santé ne peuvent, en principe, empêcher les résidents de recevoir des soins dans un autre État membre, à moins qu’une telle restriction puisse être justifiée par la nécessité de maintenir un service médical et hospitalier équilibré et accessible à tous, une telle justification ne pouvant toutefois être invoquée lorsqu’elle se traduirait par un retard injustifié dans l’octroi du traitement au patient dans son État membre de résidence.

38      Elle relève que, en vertu de l’arrêt du 23 octobre 2003, Inizan (C‑56/01, Rec. p. I‑12403), la notion de retard injustifié doit être interprétée, à l’instar de la seconde condition énoncée à l’article 22, paragraphe 2, second alinéa, du règlement n° 1408/71, sur la base de considérations d’ordre clinique liées à chaque cas individuel, et non en tenant compte de délais normaux d’attente et de listes reposant sur des considérations de nature économique. Elle affirme toutefois que, à ce jour, la Cour n’a pas fourni de réponse claire sur la manière d’interpréter cette notion.

39      Elle s’interroge également, au vu de l’arrêt Inizan, précité, sur la pertinence des considérations d’ordre budgétaire dans le contexte d’une affaire telle que celle en cause au principal. Elle se demande s’il faut considérer qu’un État membre est tenu de consacrer des ressources destinées à permettre à ses ressortissants de recevoir à l’étranger un traitement dans un délai plus court, au risque, d’une part, de conduire à un allongement des délais nécessaires à l’obtention d’un traitement sur le territoire national dans des cas plus urgents et, d’autre part, d’affecter la gestion des ressources et la planification du système de soins de santé concerné.

40      À supposer qu’une telle obligation existe, elle se demande si l’État membre concerné est tenu de rembourser les coûts d’un traitement reçu à l’étranger selon la législation de l’État membre de séjour, conformément à l’article 22 du règlement n° 1408/71, ou selon sa propre législation, conformément à l’article 49 CE. Elle se demande également si les frais de voyage et de séjour doivent être pris en charge en pareille hypothèse.

41      Elle souligne qu’une obligation de remboursement selon la législation de l’État membre compétent signifierait, pour un système, tel que le NHS, dans lequel les soins de santé sont gratuits, une obligation de remboursement intégral. Elle considère dès lors que, si la notion de retard injustifié devait être appréciée en faisant abstraction de considérations d’ordre budgétaire, l’application de l’article 49 CE se traduirait par une immixtion du droit communautaire dans la politique budgétaire des États membres en matière de santé publique, de nature à susciter des interrogations au regard de l’article 152, paragraphe 5, CE.

 Les questions préjudicielles

42      Dans ces conditions, la Court of Appeal (England and Wales), Civil Division, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Compte tenu de la nature du NHS et de son statut en droit national, l’article 49 CE, lu à la lumière des arrêts Smits [et Peerbooms], Müller-Fauré [et van Riet] ainsi que Inizan, doit-il être interprété en ce sens que, en principe, les personnes résidant habituellement au Royaume-Uni peuvent prétendre, en droit communautaire, à bénéficier de soins hospitaliers dans d’autres États membres, aux frais du NHS?

En particulier, sur l’interprétation à retenir de l’article 49 CE:

a)      Existe-t-il une distinction entre un service national de santé financé par l’État, tel que le NHS, d’une part, et des caisses d’assurance comme le régime néerlandais ZFW, d’autre part, notamment eu égard au fait que le NHS ne dispose d’aucune caisse à partir de laquelle les paiements doivent être effectués?

b)      Le NHS est-il tenu d’autoriser et de payer ces soins prodigués dans un autre État membre, bien qu’il ne soit pas tenu d’autoriser et de payer ces soins lorsqu’ils sont prodigués par un prestataire du secteur privé au Royaume-Uni?

c)      Le fait que le patient obtienne les soins indépendamment de l’organisme compétent du NHS et sans autorisation ou notification préalable a-t-il une incidence?

2)      Pour répondre à la première question, importe-t-il de savoir si les soins hospitaliers prodigués par le NHS représentent eux-mêmes une prestation de services au sens de l’article 49 CE?

Dans l’affirmative, et dans les circonstances décrites dans l’exposé des faits ci-dessus, les articles 48 [CE], 49 [CE] et 50 CE doivent-ils être interprétés en ce sens qu’en principe:

a)      les soins hospitaliers prodigués par des organismes relevant du NHS constituent une prestation de services au sens de l’article 49 CE;

b)      un patient bénéficiant de soins hospitaliers au titre du NHS exerce, en tant que tel, son droit à recevoir des services au sens de l’article 49 CE et

c)      les organismes du NHS qui prodiguent des soins hospitaliers sont des prestataires de services au sens des articles 48 [CE] et 50 CE?

3)      Si l’article 49 CE s’applique au NHS, celui-ci ou le ministre peut-il, pour justifier objectivement son refus d’accorder l’autorisation préalable de soins hospitaliers dans un autre État membre, se fonder:

a)      sur le fait que cette autorisation nuirait gravement au système du NHS consistant à gérer les priorités médicales au moyen de listes d’attente;

b)      sur le fait que cette autorisation permettrait aux patients nécessitant une intervention médicale moins urgente de devenir prioritaires par rapport à des patients nécessitant un traitement médical plus urgent;

c)      sur le fait que cette autorisation aurait pour effet de soustraire des ressources pour payer des soins moins urgents aux patients prêts à voyager à l’étranger, lésant ainsi ceux qui ne veulent ou ne peuvent pas voyager à l’étranger ou augmentant les coûts des organismes du NHS;

d)      sur le fait que cette autorisation peut obliger le Royaume-Uni à fournir un financement supplémentaire au budget du NHS ou à restreindre l’éventail des soins accessibles au titre du NHS;

e)      sur les coûts comparatifs du traitement et sur ses coûts accessoires dans l’autre État membre?

4)      Pour apprécier si les soins peuvent être obtenus ‘en temps opportun’ aux fins de l’article 49 CE, dans quelle mesure est-il nécessaire ou permis d’avoir recours notamment aux critères suivants:

a)      délais d’attente;

b)      la priorité clinique accordée aux soins par l’organisme compétent du NHS;

c)      la gestion de la fourniture des soins hospitaliers conformément aux priorités visant à tirer le meilleur parti de ressources limitées;

d)      le fait que les soins prodigués au titre du NHS le soient gratuitement au lieu où est traité le patient;

e)      l’état pathologique individuel du patient, ainsi que ses antécédents et l’évolution probable de la maladie pour laquelle le patient demande à être soigné?

5)      Sur l’interprétation correcte de l’article 22, paragraphe 1, sous c), du règlement [n°] 1408/71 et en particulier sur les termes ‘dans le délai normalement nécessaire pour obtenir le traitement dont il s’agit’:

a)      les critères applicables sont-ils identiques à ceux qui s’appliquent aux questions de ‘temps opportun’ aux fins de l’article 49 CE?

b)      dans la négative, dans quelle mesure est-il nécessaire ou permis de prendre en considération les facteurs énumérés dans la quatrième question ?

6)      Dans les cas où le droit communautaire oblige l’État membre à financer les soins hospitaliers prodigués dans d’autres États membres à des personnes résidant habituellement dans le premier État membre, le coût de ces soins doit-il être calculé, en vertu de l’article 22 du règlement [n°] 1408/71, par référence à la législation de l’État membre dans lequel les soins sont prodigués ou, en vertu de l’article 49 CE, par référence à la législation de l’État membre de résidence?

Dans chaque cas:

a)      Quelle est l’étendue exacte de l’obligation de payer ou de rembourser le coût des soins hospitaliers, en particulier lorsque, comme dans le cas du Royaume-Uni, ces soins sont prodigués aux patients gratuitement au lieu où ils sont traités et qu’il n’existe aucun barème fixé au niveau national pour rembourser les patients du coût du traitement?

b)      Cette obligation est-elle limitée au coût réel de la fourniture d’un traitement identique ou équivalent dans le premier État membre?

c)      Cela inclut-il l’obligation de couvrir les frais de voyage et de logement?

7)      L’article 49 CE et l’article 22 du règlement [n°] 1408/71 doivent-ils être compris comme imposant aux États membres l’obligation de financer les soins hospitaliers prodigués dans d’autres États membres sans tenir compte des contraintes budgétaires et, si tel est le cas, ces exigences sont-elles compatibles avec la responsabilité des États membres en matière d’organisation et de fourniture de services de santé et de soins médicaux inscrite à l’article 152, paragraphe 5, CE?»

 Sur les questions préjudicielles

 Considérations liminaires

43      Par ses questions, la juridiction de renvoi demande à être éclairée tant sur la portée des dispositions du traité CE relatives à la libre prestation des services que sur celle de l’article 22 du règlement n° 1408/71.

44      Ainsi que l’a suggéré la Commission des Communautés européennes dans ses observations écrites, il convient de se prononcer d’abord sur la demande d’interprétation de l’article 22 du règlement n° 1408/71.

45      En effet, il est constant, aux termes de la décision de renvoi, que Mme Watts a sollicité l’autorisation de se rendre, sous le couvert d’un formulaire E 112, dans un autre État membre pour y recevoir des soins appropriés à son état et ce, à la charge du NHS, en application de l’article 22, paragraphe 1, sous c), i), du règlement n° 1408/71. Il ressort par ailleurs de ladite décision que le Bedford PCT, dont relève Mme Watts, lui a refusé cette autorisation au motif que l’intéressée ne remplissait pas les conditions posées à l’article 22, paragraphe 2, dudit règlement.

46      L’applicabilité dudit article 22 à la présente affaire n’exclut cependant pas que celle-ci puisse également relever du champ d’application de l’article 49 CE.

47      En effet, d’une part, le fait qu’une mesure nationale puisse éventuellement être conforme à une disposition de droit dérivé, en l’occurrence l’article 22 du règlement n° 1408/71, n’a pas pour effet de faire échapper cette mesure aux dispositions du traité (arrêt du 28 avril 1998, Kohll, C‑158/96, Rec. p. I‑1931, point 25).

48      D’autre part, il convient de rappeler que l’article 22, paragraphe 1, sous c), i), du règlement n° 1408/71 a pour objet de conférer un droit aux prestations en nature servies, pour le compte de l’institution compétente, par l’institution du lieu du séjour, selon les dispositions de la législation de l’État membre dans lequel les prestations sont servies, comme si l’intéressé relevait de cette dernière institution (voir arrêt Inizan, précité, point 20). L’applicabilité de l’article 22 du règlement n° 1408/71 à la situation en cause n’exclut pas que l’intéressé puisse parallèlement disposer, au titre de l’article 49 CE, du droit d’accéder à des soins de santé dans un autre État membre à des conditions de prise en charge différentes de celles prévues audit article 22 (voir, en ce sens, arrêt du 12 juillet 2001, Vanbraekel e.a., C‑368/98, Rec. p. I‑5363, points 37 à 53).

49      Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de répondre d’abord à la demande d’interprétation de l’article 22 du règlement n° 1408/71, qui fait l’objet de la cinquième question, puis aux demandes d’interprétation des dispositions relatives à la libre prestation des services énoncées par les quatre premières questions et, enfin, aux sixième et septième questions, qui concernent indistinctement l’article 49 CE et l’article 22 du règlement n° 1408/71.

50      À l’instar de la Commission, il convient encore de relever que la présente affaire concerne exclusivement des prestations médicales dispensées dans un cadre hospitalier et ayant nécessité le séjour de l’intéressée dans l’établissement au sein duquel lesdites prestations ont été fournies.

 Sur la cinquième question

51      Par cette question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les critères d’interprétation des termes «dans le délai normalement nécessaire pour obtenir le traitement dont il s’agit» figurant à l’article 22, paragraphe 2, second alinéa, du règlement n° 1408/71 sont identiques à ceux qui servent à définir la notion de «temps opportun» dans le contexte de l’article 49 CE.

52      En faisant référence à ce stade à la quatrième question, la juridiction de renvoi vise également à savoir si, pour interpréter le délai visé à l’article 22, paragraphe 2, second alinéa, du règlement n° 1408/71, il est nécessaire ou permis de tenir compte des facteurs énumérés dans cette quatrième question, à savoir l’existence de délais d’attente, les priorités cliniques définies par l’organisme compétent du NHS, la gestion de l’offre de soins hospitaliers en fonction de priorités destinées à tirer le meilleur parti de ressources limitées, la gratuité des soins prodigués dans le cadre des structures du NHS ainsi que l’état pathologique individuel du patient, ses antécédents et l’évolution probable de sa maladie.

53      À titre liminaire, il convient de rappeler que, placé dans le cadre des objectifs généraux du traité, l’article 22 du règlement n° 1408/71 s’inscrit parmi les mesures tendant à permettre à un patient relevant de la législation d’un État membre de bénéficier, aux conditions qu’il prévoit, de prestations en nature dans les autres États membres, quels que soient l’institution nationale dont il relève ou le lieu de sa résidence (voir, en ce sens, arrêts du 3 juillet 2003, Van der Duin et ANOZ Zorgverzekeringen, C‑156/01, Rec. p. I‑7045, point 50, et du 12 avril 2005, Keller, C‑145/03, Rec. p. I‑2529, point 45).

54      En garantissant, à son paragraphe 1, sous c), i), au patient relevant de la législation d’un État membre et muni d’une autorisation, un accès aux soins dans les autres États membres dans des conditions de prise en charge aussi favorables que celles dont bénéficient les personnes qui relèvent de la législation desdits États et en précisant, à son paragraphe 2, second alinéa, que l’institution nationale compétente ne peut refuser une telle autorisation lorsque se trouvent réunies les deux conditions que vise cette dernière disposition, l’article 22 du règlement n° 1408/71 contribue à faciliter la libre circulation des patients et, dans la même mesure, la prestation de services médicaux transfrontaliers entre les États membres (voir, en ce sens, arrêts précités Vanbraekel e.a., point 32; Inizan, point 21, et Keller, point 46).

55      L’article 22, paragraphe 2, second alinéa, du règlement n° 1408/71 énonce deux conditions dont la réunion rend obligatoire la délivrance par l’institution compétente, quel que soit l’État membre dont elle relève, de l’autorisation préalable à laquelle ladite disposition se réfère (voir arrêt Inizan, précité, point 37).

56      Pour satisfaire à la première condition, il faut que les soins dont il s’agit figurent parmi les prestations prévues par la législation de l’État membre sur le territoire duquel réside l’intéressé. Il n’apparaît pas que, dans l’affaire en cause au principal, le refus de prise en charge du traitement ait été motivé par le non-respect de cette première condition.

57      La seconde condition n’est remplie que si les soins que le patient envisage de recevoir dans un État membre autre que celui sur le territoire duquel il réside ne peuvent, compte tenu de son état actuel de santé et de l’évolution probable de sa maladie, lui être dispensés dans le délai normalement nécessaire pour obtenir le traitement dont il s’agit dans l’État membre de résidence.

58      Cette seconde condition est manifestement en cause dans le litige au principal, ainsi qu’il ressort tant du libellé de la cinquième question que des termes dans lesquels l’organisme compétent a signifié à l’intéressée son refus de lui délivrer un formulaire E 112 (voir points 26 et 30 du présent arrêt).

59      À cet égard, comme l’ont relevé Mme Watts, les gouvernements belge et français ainsi que la Commission dans leurs observations écrites, la Cour a, aux points 45 et 46 de l’arrêt Inizan, précité, donné une interprétation du délai visé à l’article 22, paragraphe 2, second alinéa, du règlement n° 1408/71 en reprenant celle qu’elle avait dégagée pour les termes «en temps opportun», dans les arrêts précités Smits et Peerbooms (points 103 et 104), ainsi que Müller-Fauré et van Riet (points 89 et 90), à propos de l’appréciation de la compatibilité avec l’article 49 CE d’une disposition nationale subordonnant la prise en charge de soins hospitaliers envisagés dans un autre État membre à une condition liée au caractère nécessaire de ces soins.

60      De fait, ainsi que le souligne M. l’avocat général au point 101 de ses conclusions, aucun élément ne permet sérieusement de justifier des interprétations différentes dans le contexte de l’article 22 du règlement n° 1408/71, d’une part, et dans celui de l’article 49 CE, d’autre part, étant donné que, dans l’un et l’autre cas, la question est de savoir, comme l’a fait valoir le gouvernement belge dans ses observations écrites, si les soins hospitaliers requis par l’état de santé de l’intéressé peuvent être prodigués sur le territoire de l’État membre de sa résidence dans un délai acceptable qui préserve leur utilité et leur efficacité.

61      Dans l’arrêt Inizan, précité (point 45), la Cour a ainsi jugé, en se référant par analogie au point 103 de l’arrêt Smits et Peerbooms, précité, ainsi qu’au point 89 de l’arrêt Müller-Fauré et van Riet, précité, que la seconde condition énoncée à l’article 22, paragraphe 2, second alinéa, du règlement n° 1408/71 n’est pas remplie à chaque fois qu’il apparaît qu’un traitement identique ou présentant le même degré d’efficacité pour le patient peut être obtenu en temps opportun dans l’État membre de résidence de celui-ci.

62      En s’inspirant du point 104 de l’arrêt Smits et Peerbooms, précité, ainsi que du point 90 de l’arrêt Müller-Fauré et van Riet, précité, la Cour a précisé que, aux fins d’apprécier si un traitement présentant le même degré d’efficacité pour le patient peut être obtenu en temps opportun dans l’État membre de résidence, l’institution compétente est tenue de prendre en considération l’ensemble des circonstances caractérisant chaque cas concret, en tenant dûment compte, non seulement de la situation médicale du patient au moment où l’autorisation est sollicitée et, le cas échéant, du degré de la douleur ou de la nature du handicap de ce dernier, qui pourrait, par exemple, rendre impossible ou excessivement difficile l’exercice d’une activité professionnelle, mais également de ses antécédents (arrêt Inizan, précité, point 46).

63      Dans l’arrêt Müller-Fauré et van Riet, précité (point 92), la Cour a par ailleurs souligné que, pour établir qu’un traitement identique ou présentant le même degré d’efficacité pour le patient est disponible en temps opportun auprès d’un établissement situé sur le territoire de l’État membre de résidence, l’institution compétente ne saurait se fonder exclusivement sur l’existence de listes d’attente sur ledit territoire, sans prendre en considération les circonstances concrètes qui caractérisent la situation médicale du patient concerné.

64      Cette dernière précision, donnée à propos de l’article 49 CE, peut être reprise dans le contexte de l’article 22 du règlement n° 1408/71, compte tenu de ce qui a été exposé aux points 59 et 60 du présent arrêt.

65      Il convient, à cet égard, de relever que l’article 20 du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, sur la coordination des régimes de sécurité sociale (JO L 166, p. 1), qui est destiné à remplacer l’article 22 du règlement n° 1408/71, prévoit l’obligation d’accorder l’autorisation en cause lorsque, notamment, les soins ne peuvent être dispensés, dans l’État membre de résidence, «dans un délai acceptable sur le plan médical, compte tenu de son état actuel de santé et de l’évolution probable de la maladie».

66      C’est à la lumière de ces indications qu’il y a lieu de préciser à l’attention de la juridiction de renvoi les facteurs que celle-ci doit prendre en compte parmi ceux identifiés dans la quatrième question, pour vérifier si la seconde condition posée à l’article 22, paragraphe 2, second alinéa, du règlement n° 1408/71 est, ou non, satisfaite.

67      Dans un contexte marqué par une demande de soins hospitaliers en constante augmentation en raison, principalement, des progrès de la médecine et de l’allongement de l’espérance de vie, d’une part, et par une offre nécessairement limitée par des impératifs budgétaires, d’autre part, il ne saurait être contesté que les autorités nationales en charge de la gestion de la fourniture de tels soins ont le droit d’instituer, si elles l’estiment nécessaire, un système de listes d’attente visant à planifier la fourniture de ces soins et à fixer des priorités en fonction des ressources et des capacités disponibles.

68      Ainsi que cela découle des termes mêmes de l’article 22, paragraphe 2, second alinéa, du règlement nº 1408/71, et en vertu de la jurisprudence rappelée aux points 62 et 63 du présent arrêt, l’institution compétente, pour être en droit de refuser l’autorisation visée à l’article 22, paragraphe 1, sous c), dudit règlement sur la base d’un motif tiré de l’existence d’un délai d’attente, se doit toutefois d’établir que le délai, découlant des objectifs de planification et de gestion de l’offre hospitalière poursuivis par les autorités nationales en fonction de priorités cliniques préétablies en termes généraux, dans lequel le traitement hospitalier requis par l’état de santé du patient peut être obtenu dans un établissement relevant du système national en cause, n’excède pas le délai acceptable compte tenu d’une évaluation médicale objective des besoins cliniques de l’intéressé au vu de son état pathologique, de ses antécédents, de l’évolution probable de sa maladie, du degré de sa douleur et/ou de la nature de son handicap au moment où l’autorisation est sollicitée.

69      En outre, comme l’a fait observer la Commission, et ainsi que le souligne M. l’avocat général au point 86 de ses conclusions, la fixation des délais d’attente doit être conçue d’une manière souple et dynamique, qui permette de reconsidérer le délai initialement notifié à l’intéressé en fonction d’une dégradation éventuelle de son état de santé qui surviendrait postérieurement à une première demande d’autorisation.

70      Si le délai découlant des objectifs généraux de planification n’excède pas le délai médicalement acceptable au sens précisé au point 68 du présent arrêt, l’institution compétente est en droit de considérer que la seconde condition énoncée à l’article 22, paragraphe 2, second alinéa, du règlement n° 1408/71 n’est pas remplie et de refuser la délivrance de l’autorisation sollicitée par l’intéressé au titre du paragraphe 1, sous c), i), de ce même article.

71      En effet, si des patients relevant d’un service national de santé tel que celui en cause dans l’affaire au principal devaient être autorisés à se rendre dans un autre État membre pour y recevoir, à la charge de l’institution compétente, des soins hospitaliers que les infrastructures relevant dudit service sont en mesure de leur fournir dans un délai médicalement acceptable au sens précisé au point 68 du présent arrêt, au simple motif que des soins identiques ou présentant le même degré d’efficacité sont disponibles plus rapidement dans cet autre État membre, il en résulterait des flux migratoires de patients de nature à remettre en cause tous les efforts de planification et de rationalisation accomplis par l’État membre compétent dans le secteur vital des soins de santé dans le but d’éviter les problèmes de surcapacité hospitalière, de déséquilibre dans l’offre de soins médicaux hospitaliers, de gaspillage et de déperdition, tant logistiques que financiers (voir, en ce sens, arrêts précités Smits et Peerbooms, point 106, ainsi que Müller-Fauré et van Riet, point 91).

72      En revanche, dans l’hypothèse inverse de celle évoquée au point 70 du présent arrêt, la seconde condition posée à l’article 22, paragraphe 2, second alinéa, du règlement n° 1408/71 doit être considérée comme étant satisfaite.

73      Le fait que le coût du traitement hospitalier envisagé dans un autre État membre puisse être supérieur à celui qu’aurait représenté ce traitement s’il avait été prodigué dans un établissement relevant du système national en cause ne saurait, en pareille hypothèse, constituer un motif légitime de refus d’autorisation.

74      Dans la même hypothèse, ne constituerait pas davantage un tel motif le fait que la délivrance de l’autorisation sollicitée a pour effet de contraindre un service national de santé tel que celui en cause dans l’affaire au principal, caractérisé par la gratuité des soins hospitaliers prodigués dans le cadre de ses infrastructures, à prévoir un mécanisme financier destiné à permettre à ce service de satisfaire la demande de remboursement émanant de l’institution de l’État membre de séjour et relative aux prestations en nature servies par cette dernière au patient concerné (voir, en ce sens, arrêt Müller-Fauré et van Riet, point 105).

75      Contrairement aux craintes exprimées par le gouvernement du Royaume-Uni dans ses observations écrites, l’interprétation du délai visé à l’article 22, paragraphe 2, second alinéa, du règlement n° 1408/71, telle qu’elle résulte des points 59 à 72 du présent arrêt, n’est pas de nature à remettre en cause la faculté qu’ont les autorités nationales compétentes de gérer les capacités hospitalières disponibles sur leur territoire en fonction de listes d’attente, pourvu que l’existence de telles listes ne fasse pas obstacle à la prise en considération, dans chaque cas individuel, des circonstances caractérisant la situation médicale et les besoins cliniques de l’intéressé au moment où celui-ci sollicite une autorisation pour recevoir dans un autre État membre des soins hospitaliers à la charge du système dont il relève.

76      Par ailleurs, une telle interprétation revient à interdire aux autorités nationales compétentes de refuser l’octroi de l’autorisation sollicitée par un patient dont le cas personnel présenterait, au terme d’une évaluation médicale objective, un degré d’urgence justifiant l’obtention d’un traitement dans un autre État membre dans un délai plus court que celui qui découlerait de listes d’attente reflétant des objectifs généraux de planification ainsi que de gestion, et dans lequel l’intéressé peut espérer obtenir le traitement en cause dans un établissement local relevant du service national de santé. En revanche, elle ne remet pas en cause le droit de ces autorités à s’opposer à la délivrance d’une autorisation quand aucun motif d’urgence propre à la situation clinique du patient concerné ne permet de considérer le délai d’attente découlant de tels objectifs comme étant déraisonnable au regard de cette situation.

77      Cette interprétation n’est pas non plus de nature à conduire à un exode de patients qui, disposant des ressources suffisantes à cette fin, entendraient se rendre dans un autre État membre pour obtenir à la charge ultérieure du service national de santé dont ils relèvent, en dehors de toute considération de nécessité médicale, le traitement hospitalier en cause dans un délai plus court que celui dans lequel ledit traitement peut leur être fourni dans un établissement national relevant de ce service. En effet, elle préserve le droit de l’institution compétente de refuser la délivrance de l’autorisation nécessaire à la prise en charge financière de soins hospitaliers envisagés dans un autre État membre en l’absence de circonstance particulière permettant de penser que le délai d’attente imposé à l’intéressé excéderait le délai médicalement acceptable dans son cas personnel.

78      Dans l’affaire au principal, il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si le délai d’attente invoqué par l’organisme compétent du NHS et fondé sur les objectifs de planification poursuivis par les autorités britanniques pour rejeter la demande initiale d’autorisation et la demande renouvelée excédait le délai médicalement acceptable eu égard à la situation et aux besoins cliniques individuels de l’intéressée à ces moments respectifs.

79      Au vu de ce qui précède, il convient de répondre à la cinquième question que l’article 22, paragraphe 2, second alinéa, du règlement n° 1408/71 doit être interprété en ce sens que, pour être en droit de refuser l’autorisation visée au paragraphe 1, sous c), i), de ce même article pour un motif tiré de l’existence d’un délai d’attente pour un traitement hospitalier, l’institution compétente est tenue d’établir que ce délai n’excède pas le délai acceptable reposant sur une évaluation médicale objective des besoins cliniques de l’intéressé à la lumière de l’ensemble des paramètres qui caractérisent son état pathologique au moment où la demande d’autorisation est introduite ou, le cas échéant, renouvelée.

 Sur les quatre premières questions

80      Par ses quatre premières questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si, et à quelles conditions, un patient relevant du NHS est en droit, au titre de l’article 49 CE, de bénéficier de soins hospitaliers dans un autre État membre à la charge de ce service national.

81      La première question vise à savoir si, compte tenu des caractéristiques particulières du NHS, une personne résidant au Royaume-Uni peut prétendre, en vertu dudit article, au bénéfice de soins hospitaliers dans un État membre autre que le Royaume-Uni, à la charge du NHS. Dans le cadre de cette question, la juridiction de renvoi se demande, en particulier, s’il y a lieu, pour interpréter l’article 49 CE dans un tel contexte, de prendre en compte, d’une part, l’absence de caisse à la disposition des organismes du NHS pour assumer la prise en charge financière de tels soins et, d’autre part, l’absence d’obligation pour le NHS de prendre en charge des soins hospitaliers reçus par un patient qui relève de lui dans un établissement privé situé en Angleterre ou au pays de Galles. Elle souhaite également savoir si l’absence de demande d’autorisation ou de notification préalable à l’organisme compétent du NHS a une incidence sur l’interprétation de l’article 49 CE.

82      Par sa deuxième question, elle demande si, pour répondre à la première, il importe de déterminer si les soins hospitaliers prodigués dans le cadre du NHS constituent des services au sens de l’article 49 CE.

83      Dans sa troisième question, elle énumère, dans l’hypothèse où cette dernière disposition serait applicable, une série d’éléments dont elle cherche à savoir s’ils peuvent être valablement invoqués par les autorités nationales compétentes pour refuser de délivrer l’autorisation préalable nécessaire à la prise en charge par le NHS d’un traitement hospitalier envisagé dans un autre État membre.

84      La quatrième question, qui se confond avec la troisième, vise à savoir quels facteurs peuvent ou doivent être pris en compte pour apprécier si le traitement hospitalier requis par l’état de santé du patient peut être dispensé sans retard injustifié dans un établissement relevant du NHS et si, par conséquent, l’autorisation sollicitée par ce patient en vue de la prise en charge d’un traitement envisagé dans un autre État membre peut être refusée par l’institution compétente.

85      Pour répondre à ces questions, il y a lieu d’abord de déterminer si l’article 49 CE est applicable à des faits tels que ceux en cause au principal.

86      À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les prestations médicales fournies contre rémunération relèvent du champ d’application des dispositions relatives à la libre prestation des services (voir, notamment, arrêts du 4 octobre 1991, Society for the Protection of Unborn Children Ireland, C‑159/90, Rec. p. I‑4685, point 18, ainsi que Kohll, précité, point 29), sans qu’il y ait lieu de distinguer selon que les soins sont dispensés dans un cadre hospitalier ou en dehors d’un tel cadre (arrêts précités Vanbraekel e.a., point 41; Smits et Peerbooms, point 53; Müller-Fauré et van Riet, point 38, ainsi que Inizan, point 16).

87      Il a aussi été jugé que la libre prestation des services inclut la liberté des destinataires de services, notamment des personnes devant recevoir des soins médicaux, de se rendre dans un autre État membre pour y bénéficier de ces services (voir arrêt du 31 janvier 1984, Luisi et Carbone, 286/82 et 26/83, Rec. p. 377, point 16).

88      Force est de constater, en ce qui concerne le litige au principal, que Mme Watts a rétribué directement l’établissement, situé dans un autre État membre, dans lequel un traitement lui a été dispensé.

89      La circonstance que le remboursement des soins hospitaliers en cause est ultérieurement sollicité auprès d’un service national de santé tel que celui en cause dans l’affaire au principal n’est pas de nature à écarter l’application des règles de la libre prestation des services garantie par le traité (voir, en ce sens, arrêts précités Smits et Peerbooms, point 55, ainsi que Müller-Fauré et van Riet, point 39). Il a déjà été jugé qu’une prestation médicale ne perd pas sa qualification de prestation de services au sens de l’article 49 CE au motif que le patient, après avoir rétribué le prestataire étranger pour les soins reçus, sollicite ultérieurement la prise en charge de ces soins par un service national de santé (voir arrêt Müller-Fauré et van Riet, précité, point 103).

90      Il convient donc d’admettre que l’article 49 CE s’applique à la situation d’une patiente qui, telle Mme Watts, reçoit dans un autre État membre que son État de résidence des prestations médicales en milieu hospitalier contre rémunération, indépendamment du mode de fonctionnement du système national dont cette personne relève et auprès duquel la prise en charge de ces prestations est ultérieurement sollicitée.

91      Sans qu’il soit besoin, en l’occurrence, de déterminer si les prestations de soins hospitaliers fournies dans le cadre d’un service national de santé tel que le NHS constituent en elles-mêmes des services au sens des dispositions du traité sur la libre prestation des services, il convient donc de considérer qu’une situation, telle que celle à l’origine du litige au principal, dans laquelle une personne dont l’état de santé nécessite des soins hospitaliers se rend dans un autre État membre et y reçoit les soins en cause contre rémunération, relève du champ d’application desdites dispositions.

92      S’il est constant que le droit communautaire ne porte pas atteinte à la compétence des États membres pour aménager leurs systèmes de sécurité sociale et que, en l’absence d’une harmonisation au niveau communautaire, il appartient à la législation de chaque État membre de déterminer les conditions d’octroi des prestations en matière de sécurité sociale, il demeure toutefois que, dans l’exercice de cette compétence, les États membres doivent respecter le droit communautaire, notamment les dispositions relatives à la libre prestation des services (voir, notamment, arrêts précités Smits et Peerbooms, points 44 à 46; Müller-Fauré et van Riet, point 100, ainsi que Inizan, point 17). Lesdites dispositions comportent l’interdiction pour les États membres d’introduire ou de maintenir des restrictions injustifiées à l’exercice de cette liberté dans le domaine des soins de santé.

93      Il y a donc lieu de rechercher l’existence d’une telle restriction dans une situation telle que celle en cause au principal.

94      À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence bien établie, l’article 49 CE s’oppose à l’application de toute réglementation nationale ayant pour effet de rendre la prestation de services entre États membres plus difficile que la prestation de services purement interne à un État membre (arrêts du 5 octobre 1994, Commission/France, C‑381/93, Rec. p. I‑5145, point 17; Kohll, précité, point 33, ainsi que Smits et Peerbooms, précité, point 61).

95      En l’occurrence, il ressort de la décision de la juridiction de renvoi du 20 février 2004 ainsi que de la décision de renvoi, en particulier de la troisième question, que, si les patients relevant du NHS ont, certes, la possibilité d’avoir recours à un établissement de soins hospitaliers situé dans un autre État membre, il n’en demeure pas moins que, à défaut d’une autorisation préalable, le patient ne peut pas obtenir, à la charge du NHS, des prestations de soins dans un tel établissement.

96      Il est vrai, comme l’ont fait valoir les gouvernements du Royaume-Uni et espagnol, l’Irlande, ainsi que les gouvernements maltais et finlandais, qu’un patient relevant du NHS n’a pas le choix du moment et du lieu auxquels les prestations de soins hospitaliers requis par son état de santé lui seront fournies dans le cadre des infrastructures du NHS. Toutefois, il est constant que, à l’obligation mise à la charge du ministre de la Santé par les articles 1er et 3 de la NHS Act (voir point 6 du présent arrêt), correspond l’obtention gratuite, dans les établissements relevant du NHS, de prestations disponibles dans le cadre de celui-ci, sans que cette obtention soit soumise à une autorisation préalable.

97      Par conséquent, tandis que, selon la décision du 20 février 2004 et la décision de renvoi, une autorisation préalable conditionne la prise en charge par le NHS de soins hospitaliers disponibles dans un autre État membre, l’obtention gratuite de prestations disponibles dans le cadre du NHS ne dépend, en revanche, pas d’une telle autorisation, seules les modalités de cette obtention étant sujettes à une décision préalable des autorités nationales compétentes.

98      Il convient donc d’admettre que le système d’autorisation préalable mentionné au point 95 du présent arrêt décourage, voire empêche, les patients concernés de s’adresser à des prestataires de soins hospitaliers établis dans un autre État membre et constitue, tant pour ces patients que pour les prestataires, un obstacle à la libre prestation des services (voir, en ce sens, arrêts précités Smits et Peerbooms, point 69, ainsi que Müller-Fauré et van Riet, point 44).

99      Cette analyse n’est pas remise en cause par le fait, visé dans la première question, sous b), que le NHS n’est pas tenu d’autoriser et de prendre en charge les soins hospitaliers prodigués aux patients dans des établissements privés, ne relevant pas du NHS, situés en Angleterre et au pays de Galles.

100    En effet, pour appliquer la jurisprudence rappelée au point 94 du présent arrêt, ce n’est pas au sort réservé par le droit national aux prestations de soins hospitaliers reçues par des patients dans des établissements locaux privés qu’il convient de comparer les conditions de prise en charge, par ledit service, de soins hospitaliers envisagés dans un autre État membre. Au contraire, la comparaison doit être effectuée avec les conditions dans lesquelles sont fournies de telles prestations par ce service dans le cadre des infrastructures hospitalières relevant de celui-ci.

101    L’existence d’une restriction à la libre prestation des services étant établie, et avant de se prononcer sur la question de savoir si un patient relevant du NHS est en droit, en vertu de l’article 49 CE, de bénéficier, à la charge du service national concerné, de soins médicaux fournis en milieu hospitalier dans un autre État membre sans être gêné par cette restriction, il y a lieu d’examiner si celle-ci peut être objectivement justifiée.

102    À cet égard, il convient de rappeler, à l’instar de ce qui a été fait dans un grand nombre d’observations soumises à la Cour, les impératifs susceptibles d’être retenus aux fins de justifier des obstacles à la libre prestation de services médicaux fournis dans un cadre hospitalier.

103    La Cour a précédemment jugé qu’il ne saurait être exclu qu’un risque d’atteinte grave à l’équilibre financier du système de sécurité sociale puisse constituer une raison impérieuse d’intérêt général susceptible de justifier une entrave au principe de la libre prestation des services (arrêts précités Kohll, point 41; Smits et Peerbooms, point 72, ainsi que Müller-Fauré et van Riet, point 73).

104    La Cour a de même reconnu que l’objectif de maintenir un service médical et hospitalier équilibré et accessible à tous peut également relever des dérogations pour des raisons de santé publique au titre de l’article 46 CE, dans la mesure où un tel objectif contribue à la réalisation d’un niveau élevé de protection de la santé (arrêts précités Kohll, point 50; Smits et Peerbooms, point 73, ainsi que Müller-Fauré et van Riet, point 67).

105    La Cour a encore précisé que l’article 46 CE permet aux États membres de restreindre la libre prestation des services médicaux et hospitaliers, dans la mesure où le maintien d’une capacité de soins ou d’une compétence médicale sur le territoire national est essentiel pour la santé publique, voire même pour la survie de sa population (arrêts précités Kohll, point 51; Smits et Peerbooms, point 74, ainsi que Müller-Fauré et van Riet, point 67).

106    Il convient dès lors de vérifier si la restriction en cause peut effectivement être justifiée au regard de telles raisons impérieuses et de s’assurer le cas échéant, conformément à une jurisprudence constante, qu’elle n’excède pas ce qui est objectivement nécessaire à cette fin et que ce résultat ne peut être obtenu par des règles moins contraignantes (voir arrêt Smits et Peerbooms, précité, point 75, ainsi que jurisprudence citée).

107    S’agissant des prestations médicales dispensées dans un établissement hospitalier, la Cour a déjà exprimé, aux points 76 à 80 de l’arrêt Smits et Peerbooms, précité, les considérations suivantes.

108    Il est notoire que le nombre des infrastructures hospitalières, leur répartition géographique, leur aménagement et les équipements dont elles sont pourvues, ou encore la nature des services médicaux qu’elles sont à même d’offrir, doivent pouvoir faire l’objet d’une planification, laquelle répond, en règle générale, à diverses préoccupations.

109    D’une part, cette planification poursuit l’objectif de garantir sur le territoire de l’État concerné une accessibilité suffisante et permanente à une gamme équilibrée de soins hospitaliers de qualité. D’autre part, elle participe d’une volonté d’assurer une maîtrise des coûts et d’éviter, dans la mesure du possible, tout gaspillage de ressources financières, techniques et humaines. Un tel gaspillage s’avérerait en effet d’autant plus dommageable qu’il est constant que le secteur des soins hospitaliers engendre des coûts considérables et doit répondre à des besoins croissants, tandis que les ressources financières pouvant être consacrées aux soins de santé ne sont, quel que soit le mode de financement utilisé, pas illimitées.

110    Dans cette double perspective, l’exigence consistant à soumettre à une autorisation préalable la prise en charge financière par le système national de soins hospitaliers envisagés dans un autre État membre apparaît comme une mesure tout à la fois nécessaire et raisonnable.

111    S’agissant du système néerlandais d’assurance maladie, en cause dans les affaires ayant donné lieu à l’arrêt Smits et Peerbooms, précité, la Cour a admis, au point 81 de celui-ci que, si les patients pouvaient librement et en toutes circonstances faire appel à des établissements hospitaliers avec lesquels leur caisse de maladie n’a conclu aucune convention, qu’il s’agisse d’établissements situés aux Pays-Bas ou dans un autre État membre, tout l’effort de planification opéré au travers du système de conventionnement, en vue de contribuer à garantir une offre de soins hospitaliers qui soit rationalisée, stable, équilibrée et accessible, s’en trouverait du même coup compromis.

112    Ces considérations, exprimées à propos d’un système de sécurité sociale reposant sur un régime de conventionnement entre les caisses publiques de maladie et les prestataires de soins hospitaliers, et qui autorisent, au nom d’impératifs de planification, à assortir de limites le droit des patients de recourir, à la charge du système national dont ils relèvent, à des prestataires de soins hospitaliers ne relevant pas dudit système, peuvent être reprises pour un service national de santé tel que le NHS.

113    Au vu de ce qui précède, et pour répondre à la première question, sous c), le droit communautaire, en particulier l’article 49 CE, ne s’oppose donc pas à ce que le droit d’un patient d’obtenir des soins hospitaliers dans un autre État membre à la charge du système dont il relève soit soumis à une mesure d’autorisation préalable.

114    Néanmoins, il est nécessaire que les conditions mises à l’octroi d’une telle autorisation soient justifiées au regard des impératifs susvisés et qu’elles satisfassent à l’exigence de proportionnalité rappelée au point 106 du présent arrêt (voir, en ce sens, arrêts précités Smits et Peerbooms, point 82, ainsi que Müller-Fauré et van Riet, point 83).

115    Il résulte d’une jurisprudence constante qu’un régime d’autorisation préalable ne saurait légitimer un comportement discrétionnaire de la part des autorités nationales, de nature à priver les dispositions communautaires, notamment celles relatives à une liberté fondamentale telle que celle en cause au principal, de leur effet utile (voir arrêts précités Smits et Peerbooms, point 90, ainsi que Müller-Fauré et van Riet, point 84, et jurisprudence citée à ces points).

116    Dès lors, pour qu’un régime d’autorisation préalable soit justifié alors même qu’il déroge à une telle liberté fondamentale, il doit, en tout état de cause, être fondé sur des critères objectifs, non discriminatoires et connus à l’avance, de manière à encadrer l’exercice du pouvoir d’appréciation des autorités nationales afin que celui-ci ne soit pas exercé de manière arbitraire. Un tel régime d’autorisation doit en outre reposer sur un système procédural aisément accessible et propre à garantir aux intéressés que leur demande sera traitée dans un délai raisonnable et avec objectivité et impartialité, d’éventuels refus d’autorisation devant en outre pouvoir être mis en cause dans le cadre d’un recours juridictionnel (arrêts précités Smits et Peerbooms, point 90, ainsi que Müller-Fauré et van Riet, point 85).

117    À cette fin, les refus d’autorisation, ou les avis sur lesquels ces refus sont éventuellement fondés, doivent viser les dispositions spécifiques sur lesquelles ils reposent et être dûment motivés au regard de ces dernières. De même, les juridictions saisies d’un recours contre de telles décisions de refus doivent être à même, si elles l’estiment nécessaire aux fins d’exercer le contrôle qui leur incombe, de s’entourer de l’avis d’experts indépendants offrant toutes garanties d’objectivité et d’impartialité (voir, en ce sens, arrêt Inizan, précité, point 49).

118    Or, en ce qui concerne le litige au principal, il convient de relever, à l’instar de la Commission, que la réglementation relative au NHS ne précise pas les critères d’octroi ou de refus de l’autorisation préalable nécessaire à la prise en charge de soins dispensés dans un cadre hospitalier situé dans un autre État membre. Ladite réglementation n’encadre donc pas l’exercice du pouvoir d’appréciation des autorités nationales compétentes à cet égard. Cette absence d’encadrement juridique rend par ailleurs difficile le contrôle juridictionnel des décisions de refus d’autorisation.

119    S’agissant des circonstances et des facteurs mentionnés dans les troisième et quatrième questions, il y a lieu de considérer, compte tenu de l’analyse exposée aux points 59 à 77 du présent arrêt, qu’un refus d’autorisation préalable ne peut être fondé sur la seule existence de listes d’attente destinées à planifier et à gérer l’offre hospitalière en fonction de priorités cliniques préétablies en termes généraux, sans qu’il ait été procédé, dans le cas individuel concerné, à une évaluation médicale objective de l’état pathologique du patient, de ses antécédents, de l’évolution probable de sa maladie, du degré de sa douleur et/ou de la nature de son handicap lors de l’introduction ou du renouvellement de la demande d’autorisation.

120    Il s’ensuit que, lorsque le délai découlant de telles listes d’attente s’avère excéder, dans le cas individuel concerné, le délai acceptable compte tenu d’une évaluation médicale objective de l’ensemble des circonstances caractérisant la situation et les besoins cliniques de l’intéressé, l’institution compétente ne peut refuser l’autorisation sollicitée en se fondant sur des motifs tirés de l’existence de ces listes d’attente, d’une prétendue atteinte portée à l’ordre normal des priorités lié au degré d’urgence respectif des cas à traiter, de la gratuité des soins hospitaliers prodigués dans le cadre du système national en cause, de l’obligation de prévoir des moyens financiers spécifiques aux fins de la prise en charge du traitement envisagé dans un autre État membre et/ou d’une comparaison des coûts de ce traitement et de ceux d’un traitement équivalent dans l’État membre compétent.

121    Quant aux éléments mentionnés dans la première question, sous a), et dans la troisième question, sous d), il convient d’ajouter à l’analyse développée aux points 59 à 77 du présent arrêt que, bien que le droit communautaire ne porte pas atteinte à la compétence des États membres pour aménager leur système de sécurité sociale et décider du niveau des ressources à affecter à leur fonctionnement, la réalisation des libertés fondamentales garanties par le traité oblige toutefois inévitablement les États membres à y apporter des adaptations, sans pour autant que l’on puisse considérer qu’il y aurait de ce fait atteinte à leur compétence souveraine en la matière (voir arrêt Müller-Fauré et van Riet, précité, points 100 et 102).

122    Ainsi que le relève M. l’avocat général au point 88 de ses conclusions, il convient donc d’admettre que la nécessité pour les États membres de concilier les principes et l’économie de leur système de soins de santé, d’une part, et les exigences découlant des libertés communautaires, d’autre part, comporte, au même titre que les exigences découlant de l’article 22 du règlement n° 1408/71, l’obligation, pour les autorités responsables d’un service national de santé tel que le NHS, de prévoir des mécanismes de prise en charge financière de soins hospitaliers prodigués dans un autre État membre à des patients auxquels ledit service ne serait pas en mesure de fournir le traitement requis dans un délai médicalement acceptable au sens précisé au point 68 du présent arrêt.

123    Au vu de ce qui précède, il convient de répondre aux quatre premières questions comme suit:

–        L’article 49 CE s’applique à une situation dans laquelle une personne dont l’état de santé nécessite des soins hospitaliers se rend dans un autre État membre et y reçoit de tels soins contre rémunération, sans qu’il soit besoin d’examiner si les prestations de soins hospitaliers fournies dans le cadre du système national dont relève cette personne constituent en elles-mêmes des services au sens des dispositions sur la libre prestation des services.

–        L’article 49 CE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce que la prise en charge de soins hospitaliers envisagés dans un établissement situé dans un autre État membre soit subordonnée à l’obtention d’une autorisation préalable de l’institution compétente.

–        Un refus d’autorisation préalable ne peut être fondé sur la seule existence de listes d’attente destinées à planifier et à gérer l’offre hospitalière en fonction de priorités cliniques préétablies en termes généraux, sans qu’il ait été procédé à une évaluation médicale objective de l’état pathologique du patient, de ses antécédents, de l’évolution probable de sa maladie, du degré de sa douleur et/ou de la nature de son handicap lors de l’introduction ou du renouvellement de la demande d’autorisation.

Lorsque le délai découlant de telles listes d’attente s’avère excéder le délai acceptable compte tenu d’une évaluation médicale objective des éléments précités, l’institution compétente ne peut refuser l’autorisation sollicitée en se fondant sur des motifs tirés de l’existence de ces listes d’attente, d’une prétendue atteinte portée à l’ordre normal des priorités lié au degré d’urgence respectif des cas à traiter, de la gratuité des soins hospitaliers prodigués dans le cadre du système national en cause, de l’obligation de prévoir des moyens financiers spécifiques aux fins de la prise en charge du traitement envisagé dans un autre État membre et/ou d’une comparaison des coûts de ce traitement et de ceux d’un traitement équivalent dans l’État membre compétent.

 Sur la sixième question

124    Par cette question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la prise en charge, à laquelle serait tenu un État membre en vertu du droit communautaire, du coût de soins hospitaliers prodigués dans un autre État membre, doit être calculée, en vertu de l’article 22 du règlement n° 1408/71, conformément à la législation de l’État membre dans lequel lesdits soins ont été fournis (État membre de séjour) ou, en vertu de l’article 49 CE, conformément à la législation de l’État membre de résidence du patient (État membre compétent). Elle souhaite également connaître l’incidence, sur la question de cette prise en charge, de la gratuité des soins hospitaliers prodigués dans le cadre du service national de santé en cause et de l’absence corrélative de barème de remboursement dans la législation de l’État membre compétent. Elle demande aussi si l’obligation de prise en charge du coût d’un traitement hospitalier prodigué dans l’État membre de séjour couvre les frais de voyage et de logement.

125    À cet égard, il y a lieu, tout d’abord, de rappeler que le patient qui, ayant sollicité une autorisation au titre de l’article 22, paragraphe 1, sous c), i), du règlement n° 1408/71, s’est vu accorder cette autorisation ou s’est heurté à un refus dont le caractère non fondé serait ultérieurement établi doit bénéficier, selon les termes mêmes de cette disposition, des prestations en nature servies, pour le compte de l’institution compétente, par l’institution de l’État membre de séjour, selon les dispositions de la législation de ce dernier, comme s’il relevait de cette dernière institution (voir arrêts précités Vanbraekel e.a., point 32; Inizan, point 20, et Keller, point 65).

126    Il s’ensuit que, en pareille hypothèse, ce sont les modalités d’intervention prévues par la législation de l’État membre de séjour qui doivent trouver à s’appliquer, à charge pour l’institution compétente de rembourser ultérieurement l’institution dudit État dans les conditions prévues à l’article 36 du règlement n° 1408/71 (voir arrêt Vanbraekel e.a., précité, point 33).

127    La circonstance que, en raison de la gratuité des soins hospitaliers dans le service national de santé en cause, la législation de l’État membre compétent ne comporte pas de barème de remboursement n’est pas de nature à empêcher l’application des dispositions des articles 22, paragraphe 1, sous c), i), et 36 du règlement n° 1408/71. En effet, l’obligation pesant sur l’institution compétente, dans le cadre du système institué par ces dispositions, consiste à rembourser l’institution de l’État membre de séjour à concurrence du montant des prestations servies par cette dernière en application des dispositions dudit État, sans qu’il soit besoin, à cet effet, de se référer à un quelconque barème de remboursement au titre de la législation de l’État membre compétent.

128    Il convient, ensuite, d’examiner si un patient relevant du NHS est en droit d’obtenir de l’institution compétente, au titre de l’article 49 CE, une prise en charge du traitement hospitalier reçu dans l’État membre de séjour, supérieure à celle découlant de l’application des dispositions de la législation de cet État.

129    À cet égard, il y a lieu de rappeler que la Cour a déjà jugé que le fait pour la législation de l’État membre compétent de ne pas garantir à un patient, relevant de cette législation, qui a été autorisé à subir une hospitalisation dans un autre État membre conformément à l’article 22, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 1408/71, un niveau de prise en charge analogue à celui dont ce patient aurait bénéficié s’il avait été hospitalisé dans l’État membre compétent constitue une restriction injustifiée à la libre prestation des services au sens de l’article 49 CE (voir arrêt Vanbraekel e.a., précité, points 43 à 52).

130    À la lumière de cette jurisprudence, dans le contexte d’une réglementation nationale qui, telle celle en cause dans l’affaire au principal, prévoit la gratuité des soins hospitaliers prodigués dans les établissements relevant du service national de santé qu’elle institue, il convient de considérer que l’existence d’une entrave à la libre prestation des services est exclue dans l’hypothèse où le patient, relevant dudit service, qui a été autorisé à recevoir un traitement hospitalier dans un autre État membre conformément à l’article 22, paragraphe 1, sous c), i), du règlement n° 1408/71, ou qui a essuyé un refus d’autorisation dont le caractère non fondé serait ultérieurement établi, a droit à la prise en charge intégrale du coût dudit traitement en application des dispositions de la législation de l’État membre de séjour. En effet, l’intéressé n’est tenu en pareil cas à aucune contribution financière en rapport avec le coût de ce traitement.

131    En revanche, dans l’hypothèse d’une absence de prise en charge intégrale, au titre de la législation de l’État membre de séjour, du coût du traitement hospitalier prodigué dans celui-ci, le rétablissement du patient dans la situation qui eût été la sienne si le service national de santé dont il relève avait été en mesure de lui fournir gratuitement, dans un délai médicalement acceptable, un traitement équivalent à celui reçu dans l’État membre de séjour implique, pour l’institution compétente, une obligation d’intervention complémentaire en faveur de l’intéressé à concurrence de la différence entre, d’une part, le montant correspondant au coût, objectivement quantifié, de ce traitement équivalent, plafonné, le cas échéant, à hauteur du montant global facturé pour le traitement reçu dans l’État membre de séjour, et, d’autre part, le montant de l’intervention de l’institution dudit État découlant de l’application de la législation de cet État, lorsque le premier montant est supérieur au second.

132    Contrairement à la position défendue par Mme Watts dans ses observations écrites, l’obligation qui serait faite à l’institution compétente de couvrir en toutes circonstances l’intégralité de la différence entre le montant du coût du traitement hospitalier prodigué dans l’État membre de séjour et celui de l’intervention de l’institution dudit État membre en application des dispositions de celui-ci, y compris lorsque le coût de ce traitement est supérieur au coût d’un traitement équivalent dans l’État membre compétent, reviendrait à faire bénéficier le patient concerné d’un niveau de couverture excédant l’étendue du droit dont celui-ci dispose à l’égard du service national de santé dont il relève.

133    Il convient encore de préciser que, dans le contexte d’une législation qui, comme celle en cause dans l’affaire au principal, comporte, selon les indications contenues dans la décision de renvoi (voir point 22 du présent arrêt), des règles visant à déterminer le montant des frais qui doivent en principe être facturés à certains patients étrangers, et recouvrés auprès de ceux-ci, pour des soins dispensés dans un établissement hospitalier relevant du service national de santé, lesdites règles peuvent constituer d’utiles instruments de référence pour déterminer, aux fins de la quantification visée au point 131 du présent arrêt, le coût que représente, dans l’État membre compétent, un traitement hospitalier dans un établissement relevant dudit service, équivalent à celui dispensé au patient dans l’État membre de séjour.

134    En ce qui concerne les frais de voyage et de logement, il y a lieu de relever, s’agissant du régime d’autorisation institué à l’article 22, paragraphe 1, sous c), i), du règlement n° 1408/71, que cette disposition confère au patient le droit de bénéficier des «prestations en nature» servies, pour le compte de l’institution compétente, par l’institution de l’État membre de séjour selon les dispositions mises en œuvre par cette dernière.

135    Ainsi que le confirment les termes de l’article 22, paragraphe 2, second alinéa, du règlement n° 1408/71, le paragraphe 1, sous c), i), du même article a pour seul but de conférer aux patients relevant de la législation d’un État membre et munis d’une autorisation de l’institution compétente un accès aux «soins» dans un autre État membre dans des conditions d’intervention aussi favorables que celles dont bénéficient les patients qui relèvent de la législation de ce dernier État membre (voir arrêts précités Vanbraekel e.a., point 32, et Inizan, point 21).

136    L’obligation incombant à l’institution compétente au titre des articles 22 et 36 du règlement n° 1408/71 porte donc exclusivement sur les dépenses liées aux soins de santé obtenus par le patient dans l’État membre de séjour, à savoir, s’agissant de soins de nature hospitalière, les coûts des prestations médicales proprement dites ainsi que les dépenses, indissociablement liées, afférentes au séjour de l’intéressé dans l’établissement hospitalier pour les besoins de son traitement.

137    La caractéristique essentielle des «prestations en nature» au sens du règlement n° 1408/71 est en effet que celles-ci sont «destinées à couvrir des soins reçus par l’assuré» sous la forme d’une prise en charge ou d’un remboursement des «frais de nature médicale» entraînés par l’état de celui-ci (voir, dans le contexte d’un régime légal relatif à l’assurance sociale contre le risque de dépendance, arrêt du 5 mars 1998, Molenaar, C‑160/96, Rec. p. I‑843, points 32 et 34).

138    N’ayant donc pas pour objet de réglementer la question des frais accessoires, tels que les frais de déplacement et d’hébergement éventuel en dehors de l’établissement hospitalier même, encourus par un patient autorisé par l’institution compétente à se rendre dans un autre État membre pour y recevoir des soins appropriés à son état de santé, l’article 22 du règlement n° 1408/71 ne prescrit pas, mais n’interdit pas non plus, la prise en charge de tels frais. Dans ces conditions, il y a lieu d’examiner si l’obligation d’une telle prise en charge est susceptible de résulter de l’article 49 CE (voir, dans un sens analogue, arrêt Vanbraekel e.a., précité, point 37).

139    À cet égard, il découle de la jurisprudence rappelée au point 94 du présent arrêt que la législation d’un État membre ne saurait, sans enfreindre l’article 49 CE, exclure la prise en charge des frais accessoires encourus par un patient autorisé à se rendre dans un autre État membre pour y recevoir un traitement hospitalier, alors qu’elle prévoirait la prise en charge de ces frais lorsque le traitement est prodigué dans un établissement relevant du système national en cause.

140    En revanche, un État membre n’est pas tenu, au titre de l’article 49 CE, de prévoir l’obligation pour ses institutions compétentes de prendre en charge les frais accessoires afférents à un déplacement transfrontalier autorisé à des fins médicales, alors qu’une telle obligation n’existerait pas pour de tels frais lorsque ceux-ci sont liés à un déplacement à l’intérieur du territoire national.

141    Dans ces conditions, il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si la réglementation britannique prévoit la prise en charge des frais accessoires liés à un tel déplacement à l’intérieur du Royaume-Uni.

142    Si tel est le cas, le patient qui aurait été autorisé à se rendre dans un autre État membre pour y recevoir des soins hospitaliers, ou qui aurait essuyé un refus d’autorisation dont il serait ultérieurement établi qu’il n’était pas fondé, est en droit, comme l’a exposé le gouvernement belge dans ses observations écrites et ainsi que l’indique M. l’avocat général au point 118 de ses conclusions, de solliciter la prise en charge des frais accessoires liés à ce déplacement médical transfrontalier dans les mêmes conditions et limites, objectives et transparentes, que celles fixées par la législation compétente pour la prise en charge des frais accessoires liés à un traitement médical prodigué dans l’État membre compétent (voir, en ce sens, arrêt du 18 mars 2004, Leichtle, C‑8/02, Rec. p. I‑2641, particulièrement points 41 à 48).

143    Au vu de ce qui précède, il convient de répondre comme suit à la sixième question:

–        L’article 49 CE doit être interprété en ce sens que, dans l’hypothèse où la législation de l’État membre compétent prévoit la gratuité des soins hospitaliers prodigués dans le cadre d’un service national de santé, et où la législation de l’État membre dans lequel un patient relevant dudit service a été, ou aurait dû être, autorisé à recevoir un traitement hospitalier aux frais de ce service ne prévoit pas une prise en charge intégrale du coût dudit traitement, il doit être accordé à ce patient, par l’institution compétente, un remboursement correspondant à la différence éventuelle entre, d’une part, le montant du coût, objectivement quantifié, d’un traitement équivalent dans un établissement relevant du service en cause, plafonné, le cas échéant, à hauteur du montant global facturé pour le traitement prodigué dans l’État membre de séjour, et, d’autre, part, le montant à concurrence duquel l’institution de ce dernier État membre est tenue d’intervenir, au titre de l’article 22, paragraphe 1, sous c), i), du règlement n° 1408/71, pour le compte de l’institution compétente, en application des dispositions de la législation de cet État membre.

–        L’article 22, paragraphe 1, sous c), i), du règlement n° 1408/71 doit être interprété en ce sens que le droit qu’il confère au patient concerné porte exclusivement sur les dépenses liées aux soins de santé reçus par ce patient dans l’État membre de séjour, à savoir, s’agissant de soins de nature hospitalière, les coûts des prestations médicales proprement dites ainsi que les dépenses, indissociablement liées, afférentes au séjour de l’intéressé dans l’établissement hospitalier.

–        L’article 49 CE doit être interprété en ce sens qu’un patient qui a été autorisé à se rendre dans un autre État membre pour y recevoir des soins hospitaliers ou qui a essuyé un refus d’autorisation dont il est ultérieurement établi qu’il n’était pas fondé, n’est en droit de réclamer à l’institution compétente la prise en charge des frais accessoires liés à ce déplacement transfrontalier à des fins médicales que pour autant que la législation de l’État membre compétent impose au système national une obligation de prise en charge correspondante dans le cadre d’un traitement prodigué dans un établissement local relevant dudit système.

 Sur la septième question

144    Par cette question, la juridiction de renvoi demande si l’article 49 CE et l’article 22 du règlement n° 1408/71 doivent être compris comme imposant aux États membres de financer des soins hospitaliers prodigués dans d’autres États membres en faisant abstraction de contraintes d’ordre budgétaire et, le cas échéant, si une telle obligation est compatible avec l’article 152, paragraphe 5, CE.

145    À cet égard, il convient de souligner, tout d’abord, que, ainsi qu’il ressort des considérations exposées dans le cadre des réponses aux six premières questions, les exigences découlant des articles 49 CE et 22 du règlement n° 1408/71 ne sauraient être comprises comme imposant aux États membres d’assumer la prise en charge de soins hospitaliers prodigués dans d’autres États membres en faisant abstraction de toute considération d’ordre budgétaire, mais reposent, au contraire, sur la recherche d’un équilibre entre l’objectif de libre circulation des patients, d’une part, et les impératifs nationaux de planification des capacités hospitalières disponibles, de maîtrise des dépenses de santé et d’équilibre financier des systèmes de sécurité sociale, d’autre part.

146    Ensuite, il y a lieu de relever que, aux termes de l’article 152, paragraphe 5, CE, l’action de la Communauté dans le domaine de la santé publique respecte pleinement les responsabilités des États membres en matière d’organisation et de fourniture de services de santé et de soins médicaux.

147    Cette disposition n’exclut cependant pas que les États membres soient tenus, au titre d’autres dispositions du traité, telles que l’article 49 CE, ou de mesures communautaires adoptées sur le fondement d’autres dispositions du traité, telles que l’article 22 du règlement n° 1408/71, d’apporter des adaptations à leur système national de sécurité sociale, sans pour autant que l’on puisse considérer qu’il y aurait de ce fait atteinte à leur compétence souveraine en la matière (voir, en ce sens, arrêt Müller-Fauré et van Riet, précité, point 102; voir également, par analogie, arrêt du 5 octobre 2000, Allemagne/Parlement et Conseil, C‑376/98, Rec. p. I‑8419, point 78).

148    Au vu de ce qui précède, il convient de répondre à la septième question que l’obligation pour l’institution compétente, au titre tant de l’article 22 du règlement n° 1408/71 que de l’article 49 CE, d’autoriser un patient relevant d’un service national de santé à obtenir, à la charge de ladite institution, un traitement hospitalier dans un autre État membre lorsque le délai d’attente excède le délai acceptable au vu d’une évaluation médicale objective de l’état et des besoins cliniques du patient concerné, ne contrevient pas à l’article 152, paragraphe 5, CE.

 Sur les dépens

149    La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:

1)      L’article 22, paragraphe 2, second alinéa, du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) n° 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996, doit être interprété en ce sens que, pour être en droit de refuser l’autorisation visée au paragraphe 1, sous c), i), de ce même article pour un motif tiré de l’existence d’un délai d’attente pour un traitement hospitalier, l’institution compétente est tenue d’établir que ce délai n’excède pas le délai acceptable reposant sur une évaluation médicale objective des besoins cliniques de l’intéressé à la lumière de l’ensemble des paramètres qui caractérisent son état pathologique au moment où la demande d’autorisation est introduite ou, le cas échéant, renouvelée.

2)      L’article 49 CE s’applique à une situation dans laquelle une personne dont l’état de santé nécessite des soins hospitaliers se rend dans un autre État membre et y reçoit de tels soins contre rémunération, sans qu’il soit besoin d’examiner si les prestations de soins hospitaliers fournies dans le cadre du système national dont relève cette personne constituent en elles-mêmes des services au sens des dispositions sur la libre prestation des services.

L’article 49 CE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce que la prise en charge de soins hospitaliers envisagés dans un établissement situé dans un autre État membre soit subordonnée à l’obtention d’une autorisation préalable de l’institution compétente.

Un refus d’autorisation préalable ne peut être fondé sur la seule existence de listes d’attente destinées à planifier et à gérer l’offre hospitalière en fonction de priorités cliniques préétablies en termes généraux, sans qu’il ait été procédé à une évaluation médicale objective de l’état pathologique du patient, de ses antécédents, de l’évolution probable de sa maladie, du degré de sa douleur et/ou de la nature de son handicap lors de l’introduction ou du renouvellement de la demande d’autorisation.

Lorsque le délai découlant de telles listes s’avère excéder le délai acceptable compte tenu d’une évaluation médicale objective des éléments précités, l’institution compétente ne peut refuser l’autorisation sollicitée en se fondant sur des motifs tirés de l’existence de ces listes d’attente, d’une prétendue atteinte portée à l’ordre normal des priorités lié au degré d’urgence respectif des cas à traiter, de la gratuité des soins hospitaliers prodigués dans le cadre du système national en cause, de l’obligation de prévoir des moyens financiers spécifiques aux fins de la prise en charge du traitement envisagé dans un autre État membre et/ou d’une comparaison des coûts de ce traitement et de ceux d’un traitement équivalent dans l’État membre compétent.

3)      L’article 49 CE doit être interprété en ce sens que, dans l’hypothèse où la législation de l’État membre compétent prévoit la gratuité des soins hospitaliers prodigués dans le cadre d’un service national de santé, et où la législation de l’État membre dans lequel un patient relevant dudit service a été, ou aurait dû être, autorisé à recevoir un traitement hospitalier aux frais de ce service ne prévoit pas une prise en charge intégrale du coût dudit traitement, il doit être accordé à ce patient, par l’institution compétente, un remboursement correspondant à la différence éventuelle entre, d’une part, le montant du coût, objectivement quantifié, d’un traitement équivalent dans un établissement relevant du service en cause, plafonné, le cas échéant, à hauteur du montant global facturé pour le traitement prodigué dans l’État membre de séjour, et, d’autre part, le montant à concurrence duquel l’institution de ce dernier État membre est tenue d’intervenir, au titre de l’article 22, paragraphe 1, sous c), i), du règlement n° 1408/71, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement n° 118/97, pour le compte de l’institution compétente, en application des dispositions de la législation de cet État membre.

L’article 22, paragraphe 1, sous c), i), dudit règlement n° 1408/71 doit être interprété en ce sens que le droit qu’il confère au patient concerné porte exclusivement sur les dépenses liées aux soins de santé reçus par ce patient dans l’État membre de séjour, à savoir, s’agissant de soins de nature hospitalière, les coûts des prestations médicales proprement dites ainsi que les dépenses, indissociablement liées, afférentes au séjour de l’intéressé dans l’établissement hospitalier.

L’article 49 CE doit être interprété en ce sens qu’un patient qui a été autorisé à se rendre dans un autre État membre pour y recevoir des soins hospitaliers ou qui a essuyé un refus d’autorisation dont il est ultérieurement établi qu’il n’était pas fondé, n’est en droit de réclamer à l’institution compétente la prise en charge des frais accessoires liés à ce déplacement transfrontalier à des fins médicales que pour autant que la législation de l’État membre compétent impose au système national une obligation de prise en charge correspondante dans le cadre d’un traitement prodigué dans un établissement local relevant dudit système.

4)      L’obligation pour l’institution compétente, au titre tant de l’article 22 du règlement n° 1408/71, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement n° 118/97, que de l’article 49 CE, d’autoriser un patient relevant d’un service national de santé à obtenir, à la charge de ladite institution, un traitement hospitalier dans un autre État membre lorsque le délai d’attente excède le délai acceptable au vu d’une évaluation médicale objective de l’état et des besoins cliniques du patient concerné, ne contrevient pas à l’article 152, paragraphe 5, CE.

Signatures


* Langue de procédure: l’anglais.