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ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

5 mai 2011 (*)

«Libre circulation des personnes – Article 21 TFUE – Directive 2004/38/CE – Notion de ‘bénéficiaire’ – Article 3, paragraphe 1 ? Ressortissant n’ayant jamais fait usage de son droit de libre circulation et ayant toujours séjourné dans l’État membre de sa nationalité – Incidence de la possession de la nationalité d’un autre État membre – Situation purement interne»

Dans l’affaire C‑434/09,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par la Supreme Court of the United Kingdom, anciennement House of Lords (Royaume-Uni), par décision du 5 mai 2009, parvenue à la Cour le 5 novembre 2009, dans la procédure

Shirley McCarthy

contre

Secretary of State for the Home Department,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président de chambre, M. D. Šváby, Mme R. Silva de Lapuerta (rapporteur), MM. E. Juhász et J. Malenovský, juges,

avocat général: Mme J. Kokott,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 28 octobre 2010,

considérant les observations présentées:

–        pour Mme McCarthy, par M. S. Cox, barrister, et Mme K. Lewis, solicitor,

–        pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. S. Ossowski, en qualité d’agent, assisté de M. T. Ward, barrister,

–        pour le gouvernement danois, par M. C. Vang, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement estonien, par Mme M. Linntam, en qualité d’agent,

–        pour l’Irlande, par MM. D. O’Hagan et D. Conlan Smyth, en qualité d’agents, assistés de M. B. Lennon, barrister,

–        pour le gouvernement néerlandais, par Mmes C. Wissels et M. de Ree, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par Mme D. Maidani et M. M. Wilderspin, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 25 novembre 2010,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 3, paragraphe 1, et 16 de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) n° 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO L 158, p. 77, et rectificatif JO L 229, p. 35).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Mme McCarthy au Secretary of State for the Home Department (ministre de l’Intérieur, ci-après le «Secretary of State») au sujet d’une demande d’autorisation de séjour introduite par celle-ci.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        Aux termes des premier à troisième considérants de la directive 2004/38:

«(1)      La citoyenneté de l’Union confère à chaque citoyen de l’Union un droit fondamental et individuel de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, sous réserve des limitations et des restrictions fixées par le traité et des mesures adoptées en vue de leur application.

(2)      La libre circulation des personnes constitue une des libertés fondamentales du marché intérieur, qui comporte un espace sans frontières intérieures dans lequel cette liberté est assurée selon les dispositions du traité.

(3)      La citoyenneté de l’Union devrait constituer le statut de base des ressortissants des États membres lorsqu’ils exercent leur droit de circuler et de séjourner librement. Il est par conséquent nécessaire de codifier et de revoir les instruments communautaires existants qui visent séparément les travailleurs salariés, les non salariés, les étudiants et autres personnes sans emploi en vue de simplifier et de renforcer le droit à la liberté de circulation et de séjour de tous les citoyens de l’Union.»

4        Le chapitre I de la directive 2004/38, intitulé «Dispositions générales», comprend les articles 1er à 3 de celle-ci.

5        Ledit article 1er, intitulé «Objet», énonce:

«La présente directive concerne:

a)      les conditions d’exercice du droit des citoyens de l’Union et des membres de leur famille de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres;

b)      le droit de séjour permanent, dans les États membres, des citoyens de l’Union et des membres de leur famille;

c)      les limitations aux droits prévus aux points a) et b) pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique.»

6        L’article 2 de la directive 2004/38, intitulé «Définitions», dispose:

«Aux fins de la présente directive, on entend par:

1)      ‘citoyen de l’Union’: toute personne ayant la nationalité d’un État membre;

2)      ‘membre de la famille’:

a)      le conjoint;

b)      le partenaire avec lequel le citoyen de l’Union a contracté un partenariat enregistré, sur la base de la législation d’un État membre, si, conformément à la législation de l’État membre d’accueil, les partenariats enregistrés sont équivalents au mariage, et dans le respect des conditions prévues par la législation pertinente de l’État membre d’accueil;

c)      les descendants directs qui sont âgés de moins de vingt et un ans ou qui sont à charge, et les descendants directs du conjoint ou du partenaire tel que visé au point b);

d)      les ascendants directs à charge et ceux du conjoint ou du partenaire tel que visé au point b);

3)      ‘État membre d’accueil’: l’État membre dans lequel se rend un citoyen de l’Union en vue d’exercer son droit de circuler et de séjourner librement.»

7        Intitulé «Bénéficiaires», l’article 3 de la directive 2004/38 énonce à son paragraphe 1:

«La présente directive s’applique à tout citoyen de l’Union qui se rend ou séjourne dans un État membre autre que celui dont il a la nationalité, ainsi qu’aux membres de sa famille, tels que définis à l’article 2, point 2), qui l’accompagnent ou le rejoignent.»

8        Le chapitre III de cette directive, intitulé «Droit de séjour», comprend les articles 6 à 15 de celle-ci.

9        Ledit article 6 dispose:

«1.      Les citoyens de l’Union ont le droit de séjourner sur le territoire d’un autre État membre pour une période allant jusqu’à trois mois, sans autres conditions ou formalités que l’exigence d’être en possession d’une carte d’identité ou d’un passeport en cours de validité.

2.      Les dispositions du paragraphe 1 s’appliquent également aux membres de la famille munis d’un passeport en cours de validité qui n’ont pas la nationalité d’un État membre et qui accompagnent ou rejoignent le citoyen de l’Union.»

10      L’article 7 de la directive 2004/38 énonce:

«1.      Tout citoyen de l’Union a le droit de séjourner sur le territoire d’un autre État membre pour une durée de plus de trois mois:

a)      s’il est un travailleur salarié ou non salarié dans l’État membre d’accueil, ou

b)      s’il dispose, pour lui et pour les membres de sa famille, de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil au cours de son séjour, et d’une assurance maladie complète dans l’État membre d’accueil, ou,

c)      –       s’il est inscrit dans un établissement privé ou public, agréé ou financé par l’État membre d’accueil sur la base de sa législation ou de sa pratique administrative, pour y suivre à titre principal des études, y compris une formation professionnelle et

–        s’il dispose d’une assurance maladie complète dans l’État membre d’accueil et garantit à l’autorité nationale compétente, par le biais d’une déclaration ou par tout autre moyen équivalent de son choix, qu’il dispose de ressources suffisantes pour lui-même et pour les membres de sa famille afin d’éviter de devenir une charge pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil au cours de leur période de séjour; ou

d)      si c’est un membre de la famille accompagnant ou rejoignant un citoyen de l’Union qui lui-même satisfait aux conditions énoncées aux points a), b) ou c).

2.      Le droit de séjour prévu au paragraphe 1 s’étend aux membres de la famille n’ayant pas la nationalité d’un État membre lorsqu’ils accompagnent ou rejoignent dans l’État membre d’accueil le citoyen de l’Union, pour autant que ce dernier satisfasse aux conditions énoncées au paragraphe 1, points a), b) ou c).

3.      Aux fins du paragraphe 1, point a), le citoyen de l’Union qui n’exerce plus d’activité salariée ou non salariée conserve la qualité de travailleur salarié ou de non salarié dans les cas suivants:

[…]

4.      Par dérogation au paragraphe 1, point d), et au paragraphe 2 ci-dessus, seul le conjoint, le partenaire enregistré au sens de l’article 2, paragraphe 2, point b), et les enfants à charge bénéficient du droit de séjour en tant que membres de la famille d’un citoyen de l’Union qui remplit les conditions énoncées au paragraphe 1, point c). L’article 3, paragraphe 1, s’applique à ses ascendants directs à charge et à ceux de son conjoint ou partenaire enregistré.»

11      Au chapitre IV de la directive 2004/38, intitulé «Droit de séjour permanent», l’article 16 de celle-ci, lui-même intitulé «Règle générale pour les citoyens de l’Union et les membres de leur famille», énonce:

«1.      Les citoyens de l’Union ayant séjourné légalement pendant une période ininterrompue de cinq ans sur le territoire de l’État membre d’accueil acquièrent le droit de séjour permanent sur son territoire. Ce droit n’est pas soumis aux conditions prévues au chapitre III.

2.      Le paragraphe 1 s’applique également aux membres de la famille qui n’ont pas la nationalité d’un État membre et qui ont séjourné légalement pendant une période ininterrompue de cinq ans avec le citoyen de l’Union dans l’État membre d’accueil.

[…]

4.      Une fois acquis, le droit de séjour permanent ne se perd que par des absences d’une durée supérieure à deux ans consécutifs de l’État membre d’accueil.»

12      Le chapitre V de cette directive, intitulé «Dispositions communes au droit de séjour et au droit de séjour permanent», comporte l’article 22 de celle-ci, qui, sous le titre «Champ d’application territorial», dispose:

«Le droit de séjour et le droit de séjour permanent s’étendent à tout le territoire de l’État membre d’accueil. Des limitations territoriales au droit de séjour et au droit de séjour permanent peuvent seulement être établies par les États membres dans les cas où elles sont prévues également pour leurs propres ressortissants.»

 Le droit national

13      Conformément à la réglementation du Royaume-Uni sur l’immigration, les ressortissants des États tiers qui n’ont pas d’autorisation de séjour sur le territoire du Royaume-Uni au titre de cette réglementation ne remplissent pas non plus les conditions pour bénéficier d’une autorisation de séjour en vertu de ces dispositions en tant que conjoint d’une personne établie au Royaume-Uni.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

14      Mme McCarthy, ressortissante du Royaume-Uni, possède également la nationalité irlandaise. Elle est née et a toujours séjourné au Royaume-Uni, sans avoir jamais prétendu être un travailleur salarié ou non salarié, ou encore une personne subvenant à ses besoins. Elle est allocataire de prestations sociales.

15      Le 15 novembre 2002, Mme McCarthy a épousé un ressortissant jamaïcain qui n’est pas titulaire d’une autorisation de séjour au Royaume-Uni en vertu de la réglementation de cet État membre sur l’immigration.

16      À la suite de son mariage, Mme McCarthy a demandé pour la première fois un passeport irlandais et l’a obtenu.

17      Le 23 juillet 2004, Mme McCarthy et son mari ont demandé au Secretary of State une autorisation de séjour et un titre de séjour conformément au droit de l’Union, en tant que, respectivement, citoyenne de l’Union et conjoint d’une citoyenne de l’Union. Le Secretary of State a rejeté leurs demandes au motif que Mme McCarthy n’est pas une «personne ayant qualité» (en substance, un travailleur salarié ou non salarié, ou une personne subvenant à ses besoins) et que, par conséquent, M. McCarthy n’est pas le conjoint d’une «personne ayant qualité».

18      Mme McCarthy a formé un recours contre la décision prise à son égard par le Secretary of State devant l’Asylum and Immigration Tribunal (ci-après le «Tribunal»), que ce dernier a rejeté le 17 octobre 2006. La High Court of Justice (England & Wales) ayant ordonné le réexamen de ce recours, le Tribunal a confirmé sa décision le 16 août 2007.

19      L’appel interjeté par Mme McCarthy à l’encontre de la décision du Tribunal a été rejeté par la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division). Mme McCarthy a formé un pourvoi contre la décision de cette dernière devant la juridiction de renvoi.

20      M. McCarthy, quant à lui, n’a pas formé de recours à l’encontre de la décision du Secretary of State le concernant, mais a toutefois introduit une nouvelle demande, qui a également été rejetée. M. McCarthy a ensuite introduit un recours à l’encontre de cette seconde décision devant le Tribunal, lequel a sursis à statuer dans l’attente d’une décision définitive sur le recours de Mme McCarthy.

21      C’est dans ce contexte que la Supreme Court of the United Kingdom a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Une personne ayant à la fois la nationalité irlandaise et [celle] du Royaume-Uni qui a résidé pendant toute sa vie au Royaume-Uni est-elle un ‘bénéficiaire’ au sens de l’article 3 de la directive 2004/38[…]?

2)      Une telle personne a-t-elle ‘séjourné légalement’ dans l’État membre d’accueil aux fins de l’article 16 de [cette] directive dans le cas où elle ne pouvait satisfaire aux conditions fixées à l’article 7 de [ladite] directive […]?»

 Sur les questions préjudicielles

22      Ainsi qu’il ressort des points 14 à 19 du présent arrêt, le litige au principal concerne une demande de droit de séjour au titre du droit de l’Union introduite par Mme McCarthy, une citoyenne de l’Union, auprès d’un État membre dont elle possède la nationalité et où elle a toujours résidé.

23      Cette demande vise en réalité à conférer à M. McCarthy, ressortissant d’un État tiers, un droit de séjour au titre de la directive 2004/38, en tant que membre de la famille de Mme McCarthy, étant donné qu’un droit de séjour analogue ne résulte pas de l’application de la réglementation du Royaume-Uni sur l’immigration.

 Sur la première question

24      Au préalable, il convient de relever que, même si, sur le plan formel, la juridiction de renvoi a limité ses questions à l’interprétation des articles 3, paragraphe 1, et 16 de la directive 2004/38, une telle circonstance ne fait pas obstacle à ce que la Cour lui fournisse tous les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui peuvent être utiles au jugement de l’affaire dont elle est saisie, que cette juridiction y ait fait ou non référence dans l’énoncé desdites questions (voir arrêt du 8 novembre 2007, ING. AUER, C‑251/06, Rec. p. I‑9689, point 38 et jurisprudence citée).

25      À cet égard, il convient de constater qu’il ne ressort ni de la décision de renvoi, ni du dossier, ni des observations soumises à la Cour que Mme McCarthy ait jamais fait usage de son droit de libre circulation sur le territoire des États membres, que ce soit à titre individuel ou en tant que membre de la famille d’un citoyen de l’Union ayant exercé un tel droit. De même, il y a lieu de constater que Mme McCarthy demande un droit de séjour au titre du droit de l’Union alors qu’elle ne prétend pas être travailleur salarié ou non salarié ni subvenir à ses propres besoins.

26      Dès lors, la première question de la juridiction de renvoi doit être comprise comme visant à savoir, en substance, si l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2004/38 ou l’article 21 TFUE sont applicables à la situation d’un citoyen de l’Union qui n’a jamais fait usage de son droit de libre circulation, qui a toujours séjourné dans un État membre dont il possède la nationalité et qui jouit, par ailleurs, de la nationalité d’un autre État membre.

 Observations liminaires

27      À titre liminaire, il convient de relever que la citoyenneté de l’Union confère à chaque citoyen de l’Union un droit fondamental et individuel de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, sous réserve des limitations et des restrictions fixées par les traités et des mesures adoptées en vue de leur application, la libre circulation des personnes constituant, par ailleurs, l’une des libertés fondamentales du marché intérieur, ayant, de surcroît, été réaffirmée à l’article 45 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (arrêt du 7 octobre 2010, Lassal, C‑162/09, non encore publié au Recueil, point 29).

28      En ce qui concerne la directive 2004/38, la Cour a déjà eu l’occasion de constater qu’elle vise à faciliter l’exercice du droit fondamental et individuel de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres qui est conféré directement aux citoyens de l’Union par le traité et qu’elle a notamment pour objet de renforcer ledit droit (voir arrêts du 25 juillet 2008, Metock e.a., C‑127/08, Rec. p. I‑6241, points 82 et 59, ainsi que Lassal, précité, point 30).

29      De même, la Cour a aussi constaté qu’un principe de droit international, réaffirmé à l’article 3 du protocole n° 4 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, que le droit de l’Union ne peut pas être censé méconnaître dans les rapports entre les États membres, s’oppose à ce qu’un État membre refuse à ses propres ressortissants le droit d’accéder à son territoire et d’y séjourner à n’importe quel titre (voir arrêts du 4 décembre 1974, van Duyn, 41/74, Rec. p. 1337, point 22, ainsi que du 27 septembre 2001, Barkoci et Malik, C‑257/99, Rec. p. I‑6557, point 81), ledit principe s’opposant également à ce que cet État membre expulse ses ressortissants de son territoire ou encore refuse leur séjour dans ce territoire ou le soumette à conditions (voir, en ce sens, arrêts du 7 juillet 1992, Singh, C‑370/90, Rec. p. I‑4265, point 22, et du 11 décembre 2007, Eind, C‑291/05, Rec. p. I‑10719, point 31).

 Sur l’applicabilité de la directive 2004/38

30      La première partie de la présente question, telle que reformulée par la Cour, porte sur le point de savoir si l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2004/38 doit être interprété en ce sens que cette directive s’applique à un citoyen dans une situation telle que celle de Mme McCarthy, qui n’a jamais fait usage de son droit de libre circulation, qui a toujours séjourné dans un État membre dont il possède la nationalité et qui jouit, par ailleurs, de la nationalité d’un autre État membre.

31      Une interprétation littérale, téléologique et systématique de cette disposition conduit à répondre par la négative à cette question.

32      En effet, en premier lieu, selon l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2004/38, est bénéficiaire de celle-ci tout citoyen de l’Union qui se «rend» ou séjourne dans un État membre «autre» que celui dont il a la nationalité.

33      En deuxième lieu, s’il est vrai que, comme il a été rappelé au point 28 du présent arrêt, la directive 2004/38 a pour but de faciliter et de renforcer l’exercice du droit fondamental et individuel de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres conféré directement à chaque citoyen de l’Union, il n’en demeure pas moins que son objet concerne, ainsi qu’il ressort de son article 1er, sous a), les conditions d’exercice de ce droit.

34      Étant donné que, ainsi qu’il a été relevé au point 29 du présent arrêt, le séjour d’une personne résidant dans l’État membre de sa nationalité ne peut pas être soumis à conditions, la directive 2004/38, concernant les conditions d’exercice du droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, ne saurait avoir vocation à s’appliquer à un citoyen de l’Union qui jouit d’un droit de séjour inconditionnel en raison du fait qu’il séjourne dans l’État membre de sa nationalité.

35      En troisième lieu, il ressort de l’ensemble de la directive 2004/38 que le séjour qu’elle vise est lié à l’exercice de la liberté de circulation des personnes.

36      Ainsi, tout d’abord, l’article 1er, sous a), de cette directive définit son objet par référence à l’exercice «du» droit des citoyens de l’Union «de circuler et de séjourner librement» sur le territoire des États membres. Un tel rapport entre séjour et libre circulation ressort également tant du titre de ladite directive que de la plupart de ses considérants, le deuxième d’entre eux se référant, par ailleurs, exclusivement à la libre circulation des personnes.

37      Ensuite, les droits de séjour visés par la directive 2004/38, à savoir tant le droit de séjour prévu à ses articles 6 et 7 que le droit de séjour permanent prévu à son article 16, se réfèrent au séjour d’un citoyen de l’Union soit dans «un autre État membre», soit dans «l’État membre d’accueil», et régissent ainsi la situation juridique d’un citoyen de l’Union dans un État membre dont il n’a pas la nationalité.

38      Enfin, si, comme il a été rappelé au point 32 du présent arrêt, l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2004/38 désigne comme «bénéficiaire» de celle-ci tout citoyen de l’Union qui se rend «ou» séjourne dans un État membre, il ressort de son article 22 que le champ d’application territorial du droit de séjour et du droit de séjour permanent visés par cette directive s’étend à tout le territoire de «l’État membre d’accueil», ce dernier étant défini à son article 2, point 3, comme l’État membre dans lequel se «rend» un citoyen de l’Union en vue d’exercer «son» droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres.

39      Partant, dans un contexte tel que celui de l’affaire au principal, dans la mesure où le citoyen de l’Union concerné n’a jamais fait usage de son droit de libre circulation et a toujours séjourné dans un État membre dont il possède la nationalité, ce citoyen ne relève pas de la notion de «bénéficiaire» au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2004/38, de sorte que cette dernière ne lui est pas applicable.

40      Cette constatation ne saurait être influencée par le fait que ledit citoyen a également la nationalité d’un État membre autre que celui où il séjourne.

41      En effet, la jouissance, par un citoyen de l’Union, de la nationalité de plus d’un État membre ne signifie pas pour autant qu’il ait fait usage de son droit de libre circulation.

42      Enfin, il convient également de relever que, dans la mesure où un citoyen de l’Union telle Mme McCarthy ne relève pas de la notion de «bénéficiaire» au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2004/38, son conjoint ne relève pas non plus de cette notion, étant donné que les droits conférés par cette directive aux membres de la famille d’un bénéficiaire de celle-ci sont non pas des droits propres auxdits membres, mais des droits dérivés, acquis en leur qualité de membre de la famille du bénéficiaire (voir, concernant des instruments du droit de l’Union antérieurs à la directive 2004/38, arrêts du 8 juillet 1992, Taghavi, C‑243/91, Rec. p. I‑4401, point 7, et Eind, précité, point 23).

43      Il s’ensuit que l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2004/38 doit être interprété en ce sens que cette directive n’est pas applicable à un citoyen de l’Union qui n’a jamais fait usage de son droit de libre circulation, qui a toujours séjourné dans un État membre dont il possède la nationalité et qui jouit, par ailleurs, de la nationalité d’un autre État membre.

 Sur l’applicabilité de l’article 21 TFUE

44      La seconde partie de la présente question telle que reformulée par la Cour porte sur le point de savoir si l’article 21 TFUE est applicable à un citoyen de l’Union qui n’a jamais fait usage de son droit de libre circulation, qui a toujours séjourné dans un État membre dont il possède la nationalité et qui jouit, par ailleurs, de la nationalité d’un autre État membre.

45      À cet égard, il convient de rappeler qu’il est de jurisprudence constante que les règles du traité en matière de libre circulation des personnes et les actes pris en exécution de celles-ci ne peuvent être appliqués à des situations qui ne présentent aucun facteur de rattachement à l’une quelconque des situations envisagées par le droit de l’Union et dont l’ensemble des éléments pertinents se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre (voir, en ce sens, arrêts du 1er avril 2008, Gouvernement de la Communauté française et gouvernement wallon, C‑212/06, Rec. p. I‑1683, point 33, ainsi que Metock e.a., précité, point 77).

46      À cet égard, il y a lieu d’observer cependant que la situation d’un citoyen de l’Union qui, telle Mme McCarthy, n’a pas fait usage du droit de libre circulation ne saurait, de ce seul fait, être assimilée à une situation purement interne (voir arrêt du 12 juillet 2005, Schempp, C‑403/03, Rec. p. I‑6421, point 22).

47      En effet, la Cour a relevé à plusieurs reprises que le statut de citoyen de l’Union a vocation à être le statut fondamental des ressortissants des États membres (voir arrêt du 8 mars 2011, Ruiz Zambrano, C‑34/09, non encore publié au Recueil, point 41 et jurisprudence citée). Par ailleurs, la Cour a jugé que l’article 20 TFUE s’oppose à des mesures nationales qui ont pour effet de priver les citoyens de l’Union de la jouissance effective de l’essentiel des droits conférés par ce statut (voir arrêt Ruiz Zambrano, précité, point 42).

48      En tant que ressortissant de, au moins, un État membre, une personne telle Mme McCarthy jouit du statut de citoyen de l’Union en vertu de l’article 20, paragraphe 1, TFUE et peut donc se prévaloir, y compris à l’égard de son État membre d’origine, des droits afférents à un tel statut, notamment celui de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres tel que conféré par l’article 21 TFUE (voir arrêt du 10 juillet 2008, Jipa, C‑33/07, Rec. p. I‑5157, point 17 et jurisprudence citée).

49      Cependant, aucun élément de la situation de Mme McCarthy, telle que décrite par la juridiction de renvoi, ne fait apparaître que la mesure nationale en cause au principal aurait pour effet de la priver de la jouissance effective de l’essentiel des droits attachés à son statut de citoyenne de l’Union ou d’entraver l’exercice de son droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, conformément à l’article 21 TFUE. En effet, la non-prise en compte par les autorités du Royaume-Uni de la nationalité irlandaise de Mme McCarthy aux fins de lui reconnaître un droit de séjour au Royaume-Uni n’affecte aucunement cette dernière dans son droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, ni d’ailleurs dans aucun autre droit qui lui est conféré par son statut de citoyenne de l’Union.

50      Il doit être relevé à cet égard que, contrairement à ce qui caractérisait l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Ruiz Zambrano, précité, la mesure nationale en cause dans la présente affaire au principal n’a pas pour effet que Mme McCarthy se verra obligée de quitter le territoire de l’Union. En effet, ainsi qu’il ressort du point 29 du présent arrêt, celle-ci bénéficie, en vertu d’un principe de droit international, d’un droit de séjour inconditionnel au Royaume-Uni dès lors qu’elle possède la nationalité du Royaume-Uni.

51      La présente affaire au principal se distingue également de celle ayant conduit à l’arrêt du 2 octobre 2003, Garcia Avello (C-148/02, Rec. p. I-11613). En effet, dans cet arrêt, la Cour a jugé que l’application de la réglementation d’un État membre à des ressortissants de cet État membre ayant également la nationalité d’un autre État membre avait pour effet que ces citoyens de l’Union portaient des noms de famille différents au regard des deux systèmes juridiques concernés et que cette situation était de nature à engendrer, pour eux, de sérieux inconvénients d’ordre tant professionnel que privé, résultant, notamment, des difficultés à bénéficier dans un État membre dont ils ont la nationalité des effets juridiques d’actes ou de documents établis sous le nom reconnu dans l’autre État membre dont ils possèdent également la nationalité.

52      Ainsi que la Cour l’a relevé dans son arrêt du 14 octobre 2008, Grunkin et Paul (C‑353/06, Rec. p. I‑7639), dans un contexte tel que celui examiné dans le cadre de l’arrêt Garcia Avello, précité, ce qui importait était non pas tant que la diversité des noms patronymiques était la conséquence de la double nationalité des intéressés, mais bien le fait que cette diversité était de nature à engendrer pour les citoyens de l’Union concernés des inconvénients sérieux qui constituaient une entrave à la libre circulation ne pouvant être justifiée que si elle se fondait sur des considérations objectives et était proportionnée à l’objectif légitimement poursuivi (voir, en ce sens, arrêt Grunkin et Paul, précité, points 23, 24 et 29).

53      Ainsi, dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts Ruiz Zambrano et García Avello, précités, la mesure nationale en cause avait pour effet de priver des citoyens de l’Union de la jouissance effective de l’essentiel des droits conférés par ce statut ou d’entraver l’exercice de leur droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres.

54      Or, ainsi qu’il a été rappelé au point 49 du présent arrêt, dans le contexte de la présente affaire au principal, la circonstance que Mme McCarthy possède, outre la nationalité du Royaume-Uni, la nationalité irlandaise n’implique pas l’application de mesures d’un État membre qui auraient pour effet de la priver de la jouissance effective de l’essentiel des droits conférés par le statut de citoyen de l’Union ou d’entraver l’exercice de son droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres. Partant, dans un tel contexte, une telle circonstance ne saurait suffire, à elle seule, pour considérer que la situation de la personne intéressée relève de l’article 21 TFUE.

55      Dans ces conditions, il y a lieu de constater que la situation d’une personne telle Mme McCarthy ne présente aucun facteur de rattachement à l’une quelconque des situations envisagées par le droit de l’Union et que l’ensemble des éléments pertinents de cette situation se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre.

56      Il s’ensuit que l’article 21 TFUE n’est pas applicable à un citoyen de l’Union qui n’a jamais fait usage de son droit de libre circulation, qui a toujours séjourné dans un État membre dont il possède la nationalité et qui jouit, par ailleurs, de la nationalité d’un autre État membre pour autant que la situation de ce citoyen ne comporte pas l’application de mesures d’un État membre qui auraient pour effet de le priver de la jouissance effective de l’essentiel des droits conférés par le statut de citoyen de l’Union ou d’entraver l’exercice de son droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres.

57      Au vu de ce qui précède, il y a lieu de répondre comme suit à la première question posée:

–        l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2004/38 doit être interprété en ce sens que cette directive n’est pas applicable à un citoyen de l’Union qui n’a jamais fait usage de son droit de libre circulation, qui a toujours séjourné dans un État membre dont il possède la nationalité et qui jouit, par ailleurs, de la nationalité d’un autre État membre;

–        l’article 21 TFUE n’est pas applicable à un citoyen de l’Union qui n’a jamais fait usage de son droit de libre circulation, qui a toujours séjourné dans un État membre dont il possède la nationalité et qui jouit, par ailleurs, de la nationalité d’un autre État membre pour autant que la situation de ce citoyen ne comporte pas l’application de mesures d’un État membre qui auraient pour effet de le priver de la jouissance effective de l’essentiel des droits conférés par le statut de citoyen de l’Union ou d’entraver l’exercice de son droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres.

 Sur la seconde question

58      Eu égard à la réponse donnée à la première question posée par la juridiction de renvoi, il n’y a pas lieu de répondre à la seconde question.

 Sur les dépens

59      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:

1)      L’article 3, paragraphe 1, de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) n° 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE, doit être interprété en ce sens que cette directive n’est pas applicable à un citoyen de l’Union qui n’a jamais fait usage de son droit de libre circulation, qui a toujours séjourné dans un État membre dont il possède la nationalité et qui jouit, par ailleurs, de la nationalité d’un autre État membre.

2)      L’article 21 TFUE n’est pas applicable à un citoyen de l’Union qui n’a jamais fait usage de son droit de libre circulation, qui a toujours séjourné dans un État membre dont il possède la nationalité et qui jouit, par ailleurs, de la nationalité d’un autre État membre pour autant que la situation de ce citoyen ne comporte pas l’application de mesures d’un État membre qui auraient pour effet de le priver de la jouissance effective de l’essentiel des droits conférés par le statut de citoyen de l’Union ou d’entraver l’exercice de son droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres.

Signatures


* Langue de procédure: l’anglais.