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L’accident du travail provoqué intentionnellement

Note sous Cass., 25 novembre 2002, in {Chron. D.S.}, 2003, p. 320

Mis en ligne le mardi 7 août 2007


Pascal HUBAIN

Note sous Cass., 25 novembre 2002, in Chron. D.S., 2003, p. 320

1. Dans son arrêt du 25 novembre 2002 ci-avant publié, la Cour de cassation rappelle les conditions d’application de l’article 48, alinéa 1er de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents de travail.

Selon cette disposition, les indemnités prévues par la loi ne sont pas dues lorsque l’accident a été intentionnellement provoqué par la victime.

L’article 48 de la loi du 10 avril 1971 est l’exacte transcription de l’article 20 des lois coordonnées de 1903 et forme avec l’article 46, § 1er, 1° et 3° un « dyptique » de l’accident provoqué (art. 48) ou causé (art 46.) intentionnellement.

En effet, au cours des débats parlementaires ayant abouti au maintien du droit commun de la responsabilité civile à l’égard de l’employeur coupable d’avoir intentionnellement provoqué l’accident, il n’a jamais été mis en doute que le même régime dut être appliqué aux accidents volontaires causés par la victime elle-même.

Si dans le chef de l’employeur, la restauration des règles ordinaires de la responsabilité civile apparaît comme une sanction appropriée en cas de culpabilité intentionnelle, en ce qui concerne la victime de l’accident, la privation du bénéfice du forfait est plutôt à rechercher dans l’antinomie entre « accidents » et « fait intentionnel de la victime » : l’accident est par définition un événement non prémédité (S. DAVID, Responsabilité civile et risque professionnel, Larcier, 1958, n° 197, p. 245).

Des dispositions similaires existent par ailleurs dans le secteur public (art. 14, § 1er, 1° et 15 al. 1er loi du 3 juillet 1967).

2. Pour fixer la limite entre la culpabilité subjective et le risque du travail, la loi devait s’efforcer de concilier deux objectifs également impérieux : les exigences de la justice individuelle d’une part et d’autre part la limitation des procès entre patrons et ouvriers.

Malgré de nombreuses résistances parlementaires pour tenter de « doser la responsabilité civile » (faute intentionnelle, faute lourde, faute inexcusable etc.), l’extension maximale fut donnée au forfait.

La définition de l’accident intentionnellement provoqué a néanmoins suscité la controverse.

Il n’est en effet pas nécessairement assimilable à l’infraction pénale de coups et blessures volontaires.

Il est aussi le « fait » dommageable né d’une intention moins « déterminée » : celle de provoquer l’accident sans nécessairement vouloir la mort ou les lésions corporelles qui en résultent (S. DAVID, op. cit., n° 193, p. 240).

S’agit-il pour autant d’une notion « bizarre, imprécise et antijuridique » (NAMECHE, « Le droit de tuer sans être astreint à réparation », in J.J.P., 1926, P. 166, cité par S. DAVID, op. cit., n° 193, p. 240, note 4) ?

Le concept est bien connu des criminalistes : le dol, comme élément moral de l’infraction (voy. J. CONSTANT, Manuel de droit pénal, 1956, p.p. 167 à 172, nos 120 à 125).

Il faut néanmoins reconnaître avec Madame Simone DAVID (op. cit. n° 193, p. 240) que « dans une matière aussi délicate le plus méritoire affinement de la pensée s’apparente inévitablement à la casuistique : pratiquement, la preuve du fait intentionnel exigera presque toujours une analyse subtil d’états psychologiques plus ou moins impénétrables ».

Il n’est dès lors pas étonnant que la jurisprudence en la matière soit hésitante, confuse, voire obscure.

3. Sous l’empire de l’article 20 de la loi de 1903, une partie de la jurisprudence a considéré que par « intentionnellement », il faut entendre non seulement la volonté d’accomplir l’acte qui détermine l’accident, mais encore le fait d’en vouloir les conséquences dommageables.

Selon cette jurisprudence, il ne faut pas confondre le mot « intentionnellement » avec le mot « volontairement ».

Par intentionnellement il faudrait entendre non seulement la volonté d’accomplir l’acte qui détermine l’accident mais encore le fait d’en vouloir les conséquences dommageables (Trib. Trav. Huy, 3 novembre 1971, R.G.A.R., 1972, n° 8766, qui cite également Cass., 28 septembre 1953, Pas., 1954, I, p. 45 ; J.P. Anvers, 4e canton, 30 septembre 1953, J.J.P., 1954, p. 81 ; Civ. Charleroi, 7 avril 1955, J.T., 1956, p. 187 et P. HORION, Précis de droit social belge, 2e éd., p. 309).

Cette controverse a été tranchée par la Cour de cassation : l’accident est intentionnellement provoqué par la victime lorsque celle-ci l’a causé volontairement même si elle n’en a pas souhaité les conséquences (Cass., 25 janvier 1982, Bull. et Pas., 1982, I, p. 658 et Cass., 16 février 1987, Pas., 1987, I, p. 718).

Les travaux préparatoires de la loi de 1903 étaient déjà en ce sens (cités in TROCLET et SOJCHER-ROUSSELLE, Droit social, Les Novelles, tome IV, n° 998, pp. 385 et 386).

4. La définition, par la Cour de cassation, du terme « intentionnellement » en matière d’accidents du travail peut être utilement comparée avec le même terme contenu dans l’article 8, alinéa 1er de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d’assurance terrestre.

Selon cette disposition légale, nonobstant toute convention contraire, l’assureur ne peut être tenu de fournir sa garantie à l’égard de quiconque a causé intentionnellement le sinistre ;

La Cour de cassation a rappelé qu’un sinistre a été causé intentionnellement au sens de l’article 8, alinéa 1er de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d’assurance terrestre lorsque l’assuré a posé un acte ou s’en est abstenu sciemment et volontairement et que son comportement à risques a causé un dommage raisonnablement prévisible à une tierce personne. La circonstance que l’auteur n’ait pas souhaité ce dommage, sa nature ou son ampleur n’y change rien, il suffit que le dommage ait été occasionné (Cass. 5 décembre 2000, Bull. Ass., 2001, p. 256, note M. HOUBEN, pp. 258 et 259) ;

Plus récemment, notre Cour suprême a précisé qu’un sinistre a été causé intentionnellement lorsque l’assuré a volontairement et sciemment eu un comportement qui a causé à autrui un dommage raisonnablement prévisible. Il n’est pas requis que l’assuré ait eu l’intention de causer le dommage tel qu’il s’est produit (Cass., 12 avril 2002, R.G. n° C010343F).

Selon la note anonyme précédant l’arrêt, celui-ci a toutefois été prononcé sur conclusions contraires du ministère public qui avait conclu à la cassation, considérant que la volonté de causer le dommage distingue précisément la faute intentionnelle de la faute lourde ayant entraîné un dommage.

Toujours selon la note, « la doctrine définit la faute lourde comme étant un fait dont les conséquences ne sont pas voulues mais qui dénote une imprudence telle que son auteur « a eu ou a dû avoir conscience » du fait que son comportement entraînait une aggravation du risque. La faute intentionnelle suppose un fait dont les conséquences dommageables sont consciemment voulues (J.L. FAGNART, Droit privé des assurances terrestres, tome III, n° 115 ; M. FONTAINE, Droit des assurances terrestres, 2e éd., p. 180, et du même auteur : La loi du 25 juin 1992 sur le contrat d’assurances terrestres, U.C.L., 1993, n° 30). La commission d’un geste conscient et délibéré ne suffit donc pas, encore faut-il constater la volonté de causer le dommage tel qu’il s’est réalisé ».

5. La Cour de cassation censure également les décisions qui considèrent qu’un accident a été intentionnellement provoqué par la victime sur la base de la seule constatation que l’accident résulte de « son imprudence anormale », de son « attitude téméraire », « de la très lourde faute qu’il a commise et qui doit être assimilée à une faute intentionnelle » (Cass., 16 février 1987, Pas., 1987, I, p. 718).

Il faut avoir eu l’intention de causer l’accident (voy. Sous l’ancienne législation Cass., 22 janvier 1951, Pas., 1951, I, p. 312 ; 28 septembre 1953, Pas., 1954, I, p. 45 ; Cass., 13 décembre 1954, Pas., 1955, I, p. 371 ; Cass. 18 mars 1957, Pas., I, p. 862).

6. Il n’est pas non plus inutile de rappeler que l’acte intentionnel implique un comportement libre et conscient, ce qui exclut l’acte accompli en état de démence : ne méconnaît dès lors pas l’article 48 de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail, le juge qui considère que, si la victime s’est donnée la mort, cet acte néanmoins, eu égard à l’état psychique anormal de celle-ci, constituait un événement que la volonté humaine n’avait pas décidé et ne pouvait ni prévoir ni conjurer (Cass., 25 janvier 1982, Pas., 1982, I, p. 658 ; voy. en cas de suicide, Cass. 2 novembre 1998, Pas., 1998, I, p. 472).

Cependant, doit être considéré comme ayant provoqué intentionnellement l’accident sur le chemin du travail la personne qui, sans avoir été déclarée en état de démence ou contrainte par une force à laquelle elle n’a pas pu résister, est l’objet d’une mesure d’internement décidée par la chambre du conseil après que celle-ci a toutefois constaté que cette personne a commis les faits mentionnés au réquisitoire (Cour Trav. Bruxelles, 30 mai 1988, J.J.T.B., 1988, p. 336).

Selon une certaine jurisprudence, en cas d’homicide volontaire, lorsque la juridiction pénale a rejeté l’excuse de provocation, il ne peut plus être soutenu que l’accident a été provoqué intentionnellement par la victime (Trib. Trav. Namur, 4 avril 1984, J.L.M.B., 1984, p. 338).

7. Dans son arrêt du 25 novembre 2002, la Cour de cassation se prononce plus particulièrement sur le critère de causalité (« provoqué ») de l’article 48 de la loi du 10 avril 1971.

Les faits méritent d’être rappelés pour comprendre le raisonnement suivi par la Cour suprême.

7.1. A l’origine du litige, une rixe entre deux travailleurs engagés chez le même employeur ayant entraîné un accident du travail de l’un des travailleurs.

Monsieur F., cuisinier dans un restaurant, a en effet été grièvement blessé au dos par un coup de couteau asséné par Monsieur B., collègue de travail, plongeur dans le même restaurant.

L’agression a eu lieu, à la sortie du restaurant, sur le trottoir d’en face, en fin de soirée vers 23h30 environ 5 minutes après que le personnel ait quitté le restaurant.

De l’information répressive ouverte, il résulte que :

  • le même jour vers 18h30, il y a eu encore une dispute entre les deux travailleurs,
  • selon les collègues de travail, témoins des faits litigieux, Monsieur F. est aussitôt sorti du restaurant, a interpellé Monsieur B., sorti avant lui, qui s’entretenait avec un collègue de travail, en lui disant : « on a encore quelque chose à terminer ». Après avoir déposé ses affaires, Monsieur F. aurait donné à Monsieur B. un coup de pied en ciseau sur la poitrine et quelques coups de poings à la figure. Dans la bataille qui a suivi, il serait tombé à quatre pattes et Monsieur B. lui aurait alors donné le coup de couteau dans le dos.

Monsieur B. a été condamné pour coups et blessures volontaires par jugement du 25 septembre 1997 par le tribunal correctionnel de Bruxelles, jugement coulé en force de chose jugée.

Le tribunal correctionnel n’a pas retenu l’excuse de la provocation.

L’assureur-loi de l’employeur a refusé de prendre l’accident en charge considérant que celui-ci n’était pas intervenu par le fait de l’exécution du contrat de travail.

7.2. Par jugement du 23 mars 2000, le tribunal du travail a déclaré la demande de Monsieur F. recevable mais non fondée pour le motif que les faits survenus ne pouvaient être qualifiés ni au titre d’accident du travail, Monsieur F. ne se trouvant pas sous l’autorité effective et même virtuelle de l’employeur, ni au titre d’accident sur le chemin du travail, le trajet ayant été interrompu sans qu’une cause légitime ne puisse être reconnue.

Le tribunal a dès lors estimé que l’analyse de l’élément intentionnel n’avait plus de raison d’être.

Monsieur F. a interjeté appel de ce jugement, estimant que l’agression dont il a été victime est constitutive d’un accident du travail.

7.3. Dans son arrêt du 25 juin 2001, la Cour du travail de Bruxelles a jugé que :

a) Les faits ne sont pas survenus dans le cours de l’exécution du contrat :

Monsieur F. en sa qualité de cuisinier devait normalement prester son travail dans le restaurant.

Au moment des faits litigieux, celui-ci était fermé. Le personnel avait été payé et avait quitté les lieux et ne se trouvait dès lors plus sous l’autorité de l’employeur.

b) L’accident doit être considéré comme un accident survenu sur le chemin du travail :

L’accident s’est en effet produit sur le chemin géographiquement normal entre le lieu du travail et la résidence de Monsieur F.

Le trajet parcouru peut être interrompu en temps ou en espace sans perdre le caractère de « trajet normal » lorsque l’interruption n’est pas importante et est justifiée par un motif légitime ou lorsqu’elle est importante et justifiée par un cas de force majeure.

L’accident est intervenu lors d’une interruption de quelques minutes tout au plus. Pareille interruption est insignifiante et n’enlève pas au trajet son caractère normal.

c) L’accident a été intentionnellement provoqué par la victime :

La cour du travail relève en effet que l’ensemble des déclarations et des constatations objectives permet de conclure que la rixe pendant laquelle Monsieur F. a été blessé a commencé à son initiative, sans qu’il n’y ait eu à ce moment une quelconque provocation de la part de Monsieur B. par des paroles ou par des actes.

La cour du travail en conclut que l’accident a été intentionnellement provoqué par la victime.

En conséquence, les indemnités ne sont pas dues.

7.4. Monsieur F. s’est pourvu en cassation contre l’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 25 juin 2001.

A l’appui de son pourvoi, il a développé trois moyens tirés de la violation :

  • de l’article 48 de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail ;
  • du principe général consacrant l’autorité erga omnes de la chose jugée en matière répressive tel qu’il est consacré notamment par l’article 4 de la loi du 17 avril 1878 contenant le titre préliminaire du Code de procédure pénale ;
  • pour autant que de besoin, des articles 1319, 1320 et 1322 du Code civil.

Dans son arrêt du 25 septembre 2002, sur avis conforme du ministère public, la Cour de cassation rappelle tout d’abord qu’il suit de l’article 48 de la loi du 10 avril 1971 que la victime ne peut prétendre aux indemnités lorsqu’elle a volontairement provoqué l’accident, même si elle n’en a pas voulu les conséquences.

Elle décide ensuite que « s’il se déduit des considérations de l’arrêt reproduites par le moyen qu’aux yeux de la Cour du travail, le demandeur a intentionnellement provoqué la rixe au cours de laquelle il a été blessé, l’arrêt n’a pu, sur la base de ces considérations, légalement décidé que le demandeur a intentionnellement provoqué l’accident qui selon ses constatations est survenu lorsque « le 2 juin 1997, à la fin de la soirée, vers 23h30, environ cinq minutes après que le personnel eut quitté l’établissement, il a été gravement blessé au dos par un coup de couteau que lui avait asséné B. ».

Dans son avis conforme, Monsieur le premier avocat général précisait :

« Aux termes de l’article 48, alinéa 1er de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail, les indemnités établies par cette loi ne sont pas dues lorsque l’accident a été intentionnellement provoqué par la victime.

L’accident est intentionnellement provoqué par la victime lorsque celle-ci l’a causé volontairement même si elle n’en a pas souhaité les conséquences.

Il y a donc lieu pour votre Cour en l’espèce :

  • de rechercher dans l’arrêt attaqué, ce qui, pour la cour du travail a constitué l’accident, c’est-à-dire l’événement soudain et non un cadre vague de circonstances de fait ;
  • de contrôler si, sur la base des constatations et considérations de l’arrêt attaqué, la cour du travail a légalement justifié sa décision que la victime a volontairement causé l’événement soudain précité.

L’arrêt attaqué a considéré que l’accident survenu sur le chemin du travail a été intentionnellement provoqué par la victime sur la base des constatations que la rixe entre un collègue de travail de la victime et celle-ci a commencé à l’initiative de cette dernière et qu’au cours de la rixe ledit collègue a sorti un couteau, a poursuivi la victime dans une rue et a planté le couteau dans le dos de la victime lorsque celle-ci est tombée et que c’est ce coup de couteau qui a gravement blessé la victime au dos.

L’événement soudain est le coup de couteau porté par le collègue de la victime à celle-ci lors de la poursuite et de la chute et non la « bagarre », soit un échange de coups, situation qui s’apparente davantage à la situation antérieure au coup de couteau lui-même qui a produit la lésion.

Il est difficile dès lors d’admettre, eu égard aux constatations de l’arrêt attaqué, que la victime a volontairement causé le coup de couteau lui-même que lui a porté son collègue lors de la poursuite de ladite victime par cet autre travailleur et de la chute de cette victime.

La circonstance que la « bagarre » a été provoquée par la victime est sans incidence sur la solution en droit compte tenu des autres éléments relevés par l’arrêt attaqué.

Il convient de faire la distinction entre la rixe et le coup de couteau.

Est illégale la décision qui, comme en l’espèce, considère qu’un accident survenu sur le chemin du travail a été intentionnellement provoqué par la victime sur la base des constatations que la rixe entre un collègue de travail de la victime et celle-ci a commencé à l’initiative de cette dernière mais qu’au cours de la rixe ledit collègue a sorti un couteau, a poursuivi la victime dans une rue et a planté le couteau dans le dos de la victime lorsque celle-ci est tombée et que c’est ce coup de couteau qui a gravement blessé la victime au dos ».

8. C’est donc effectivement à tort que la Cour du travail de Bruxelles a confondu la rixe à l’origine de l’agression et l’agression elle-même qui a causé l’accident, faisant référence à un arrêt de la Cour de cassation du 5 novembre 1990 rendu en matière d’assurance maladie-invalidité qui a considéré que « constitue une faute intentionnelle le fait de provoquer volontairement par une attitude agressive et provocante, une rixe qui cause le dommage dont le provocateur est lui-même la victime ».

L’article 76bis de la loi du 9 août 1963 prévoyait en effet que l’octroi des prestations visées au titre IV de la loi (les indemnités d’incapacité de travail) est refusé lorsque l’incapacité de travail est la conséquence d’une faute provoquée délibérément par le titulaire.

Dans son arrêt précité, la Cour de cassation avait refusé de censurer la cour du travail qui avait considéré qu’il suffisait de constater que l’assuré de la mutuelle avait provoqué volontairement une rixe, même s’il n’en a pas voulu les conséquences qui en sont résultées pour conclure que la rixe provoquée par l’assuré de la mutuelle constituait une faute intentionnelle à l’origine de l’incapacité de travail.

En l’espèce, l’accident du travail n’est pas la rixe mais le coup de couteau.

La victime n’a évidemment pas provoqué le coup de couteau.

9. Il ne faut cependant pas exagérer la portée de l’arrêt de la Cour de cassation dès lors que les circonstances de faits restent importantes.

Comme le rappelle M. le premier avocat général, « il me parait résulter de ces constatations de l’arrêt attaqué mais j’admets que l’interprétation de ce dernier n’est pas aisée, que ce qui pour la cour du travail a constitué l’événement soudain est le coup de couteau porté par le collègue de la victime à celle-ci lors de la poursuite et de la chute et non la « bagarre », pour reproduire les termes de l’arrêt précité, celle-ci étant, suivant l’usage familier qu’on lui donne, un échange de coups, c’est-à-dire en l’espèce d’après les constatations de l’arrêt attaqué, la situation qui s’apparente davantage à la situation antérieure au coup de couteau lui-même qui a produit la lésion ... Dans ces conditions, il me parait difficile d’admettre, eu égard aux constatations de l’arrêt attaqué, que la victime a volontairement causé le coup de couteau lui-même que lui a porté son collègue lors de la poursuite de ladite victime par cet autre travailleur et de la chute de cette victime ».

10. Il n’en reste pas moins que la jurisprudence persiste à opérer pareille confusion.

Ainsi, dans un arrêt du 17 septembre 2001 (R.G. n° 38.557, in http://www.moniteur.be), la Cour du travail de Bruxelles a considéré, pour rejeter l’application de l’article 48 de la loi du 10 avril 1971, à propos également d’une bagarre entre un conducteur de tram de la STIB et un conducteur de camionnette, que le conducteur du tram n’avait pas intentionnellement provoqué « la bagarre » ou au moins ne l’a pas provoqué seul.

De même, dans un arrêt du 23 mai 2002 (R.G. n° 30.479/01, inédit), la cour du travail de Liège a considéré qu’il y avait faute intentionnelle dès lors que le travailleur a distinctement provoqué « la bagarre » sans qu’il y ait eu une quelconque provocation. Le terme « intentionnellement » doit s’entendre en ce sens qu’il est nécessaire d’avoir voulu l’accident sans qu’il soit nécessaire d’en avoir voulu toutes les conséquences (il s’agissait en l’espèce de l’article 15 de la loi du 3 juillet 1967 dont les termes sont identiques à l’article 48 de la loi du 10 avril 1971).

11. Les hésitations de la jurisprudence me semblent provenir d’une confusion dans la notion de causalité de l’article 48 de la loi du 10 avril 1971.

Il y a en effet lieu de différencier le fait d’avoir voulu la cause génératrice d’un accidente et celui d’avoir voulu l’accident lui-même (Liège, 28 février 1950, R.G.A.R., 1950, n° 4626 et note BUCH ; voyez aussi J. JACQMAIN, « La loi relative à la protection contre la violence et le harcèlement moral ou sexuel au travail », Bulletin Social du Guide Social Permanent, n° 137, août 2002, 31, note 1, qui relève aussi la confusion entre la cause et la conséquence et les hésitations jurisprudentielles actuelles quant à la rixe, et les références à Cour Trav. Liège (sect. Namur), 19 janvier 1993, Chr.D.S., 1993, 267, obs. J. JACQMAIN et Cour Trav. Liège, 21 novembre 2001, J.T.T., 2002, 219).

De même, le terme « provoqué » de l’article 48 de la loi du 10 avril 1971 semble faire écho à la notion de provocation au sens de l’article 71 du Code pénal.

Or, si la provocation dans le chef de la victime constitue incontestablement une faute lourde, elle ne signifie pas pour autant que l’accident du travail qui peut en résulter a été provoqué (au sens de « causé ») intentionnellement par la victime.

Par contre, la même provocation au sens de l’article 71 du Code pénal peut affaiblir l’intention de causer l’accident, la volonté de la victime n’étant plus totalement libre. Il en irait a fortiori ainsi en cas de légitime défense de la victime qui ne peut dans ce cas avoir intentionnellement provoqué l’accident.

Quid enfin de la faute intentionnelle dirigée au départ non contre soi-même mais contre un compagnon de travail et qui, en définitive, cause un dommage à l’auteur de la faute lui-même ?

La question s’était posée en France à propos d’un ouvrier qui avait précipité un camarade dans une cuve contenant de l’acide et avait été brûlé par les projections d’acide que la victime avait envoyées autour d’elle en se débattant (voy. TROCLET et SOJCHER-ROUSSELLE, Droit social, Les Novelles, n° 1025, p. 394 qui cite Cour Soc. Grenoble, 15 décembre 1967, Jur. Soc., n° 270, avril 1968).

Si l’on s’en tient au raisonnement strict de la Cour de cassation, il est manifeste que le travailleur n’a pas provoqué intentionnellement l’accident, entendu comme étant les projections d’acide envoyées par son collègue de travail (voy. en sens contraire TROCLET et SOJCHER-ROUSSELLE, op. cit., n° 1025, p. 394 qui approuvent la critique du commentateur de la décision française).

12. Parce qu’elle implique la découverte de la volonté le plus souvent secrète de l’auteur de l’accident, toute preuve d’une faute intentionnelle s’avère difficile.

A peine de confondre fait intentionnel avec faute lourde ou faute inexcusable, il faut s’en tenir à la définition restrictive enseignée par la Cour de cassation.

De même, confondre l’accident et sa cause génératrice peut entraîner des conséquences graves pour la victime, non voulues par le législateur.

L’arrêt de la Cour de cassation du 25 novembre 2002 le rappelle en des termes particulièrement nuancés.


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