Terralaboris asbl

Peut-il y avoir plusieurs conventions de premier emploi successives ?

Commentaire de C. trav. Liège, sect. Namur, 23 août 2011, R.G. 2010/AN/120

Mis en ligne le mardi 25 octobre 2011


Cour du travail de Liège, Section de Namur, 23 août 2011, R.G. n° 2010/AN/120

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 23 août 2011, la Cour du travail de Liège (Sect. Namur) examine la notion de convention de premier emploi, telle que définie par la loi-programme du 24 décembre 2002 et son arrêté royal d’application, dans l’hypothèse d’une succession de relations de travail (contrat d’apprentissage, de stage, contrat de travail).

Les faits

Un jeune travailleur est engagé dans le cadre d’un contrat d’apprentissage et est assujetti à la sécurité sociale en cette qualité. Il signe, l’année suivante, avec la société qui l’occupe, un contrat de stage et continue à suivre une formation au CENAM, restant inscrit comme demandeur d’emploi. Deux ans plus tard, une convention de premier emploi est signée à la fin du contrat d’apprentissage, et ce suite à un échec scolaire. Une nouvelle convention de stage (classes moyennes) est alors conclue pour une durée de trois ans. Quelques mois plus tard, un contrat de travail d’ouvrier est signé dans le cadre de la convention de premier emploi. L’intéressé disposant d’une carte premier emploi valable, la société sollicite et obtient une réduction des cotisations de sécurité sociale.

La carte ayant été réceptionnée par le SPF Emploi, Travail et Concertation sociale en-dehors du délai de 30 jours (l’entrée en service étant la date du contrat de stage initial), elle n’est prise en compte qu’à la date de sa réception. Sur la carte délivrée par l’ONEm, il est indiqué que le travailleur ouvre le droit à une réduction de cotisations ONSS et compte double pour le respect des obligations en matière de premier emploi.

La demande de réduction est introduite par le secrétariat social, avec effet au jour qui suit la réception par le SPF (durée de 12 mois).

Trois ans plus tard, l’ONSS établit des avis rectificatifs des cotisations, fondés sur l’obligation de tenir compte de la date du tout premier engagement du travailleur. Intervient alors une rectification des cotisations pour un montant de l’ordre de 3.400€.

La société introduit un recours devant le tribunal du travail, aux fins d’entendre dire non fondée la demande de régularisation. Elle met également le secrétariat social à la cause.

Décision du tribunal du travail

Le Tribunal du travail de Namur rend un jugement le 7 janvier 2010, considérant que par « premiers engagements » et « jeunes travailleurs » il faut entendre la relation de travail et non un stage, et ce d’autant qu’il s’agit de favoriser l’emploi des jeunes travailleurs.

Position des parties en appel

L’ONSS, appelant, considère que les objectifs de la réduction « 
groupe-cible » dans le cadre de la convention de premier emploi sont d’inciter les employeurs à engager des jeunes qu’il ne s’agit pas d’accorder des réductions aux travailleurs déjà occupés. Ceci était, pour l’Office, le cas de l’intéressé, puisqu’il était au service de la société (contrat d’apprentissage) depuis plusieurs années. L’arrêté royal vise, pour l’ONSS, la date de la première occupation et non celle de l’engagement sous contrat de travail, et ce même si toute la première occupation avait pris la forme d’un contrat de stage ou d’apprentissage.

Quant à la société, elle introduit également un appel en ce qui concerne la responsabilité du secrétariat social, au cas où la cour réformerait le jugement.

Décision de la cour du travail

La cour rappelle les textes légaux, étant la loi du 24 décembre 1999 en vue de la promotion de l’emploi, tels qu’en vigueur à l’époque des faits (octobre 2004). Elle renvoie également à la loi-programme du 24 décembre 2002, dont l’article 346 vise la possibilité pour certains employeurs (visés à l’article 335 de la même loi) de bénéficier d’une réduction groupe-cible pendant et après l’occupation de jeunes bénéficiant d’une convention de premier emploi. Est également prévue une possibilité de réduction groupe-cible en cas de mise au travail de jeunes pendant la période d’obligation scolaire à temps partiel.

La cour examine longuement l’objectif de la loi et de l’arrêté royal d’exécution du 16 mars 2003, qui va régler les modalités de calcul de la réduction de cotisations. Son article 2 détermine en effet ce qu’il faut entendre par « occupation », étant la relation de travail comme travailleur salarié dans laquelle est notamment visé parmi les contrats de travail, le contrat d’apprentissage. La disposition poursuit en précisant que le changement d’au moins une des caractéristiques mentionnées entraîne une autre occupation du même travailleur et que les périodes couvertes par une indemnité de rupture constituent également des occupations distinctes des périodes couvertes par une rémunération payée en contrepartie de prestations réelles.

Après avoir également rappelé d’autres dispositions de cette loi-programme (art. 15, 16 §2 et 18), tous relatifs à la réduction groupe-cible, la cour conclut que la convention de premier emploi peut porter sur un contrat de travail, une combinaison (contrat de travail à temps partiel et suivi d’une formation) ainsi que sur un contrat d’apprentissage ou de stage. Pour la cour, il ne s’agit donc pas nécessairement d’un contrat de travail. Elle constate - en précisant que ceci est curieux - qu’il peut y avoir plusieurs conventions de premier emploi successives pour un même employeur ou pour des employeurs différents. La carte ne mentionne, quant à elle, pas la date initiale à laquelle la convention prend cours (ou aurait dû prendre cours) mais celle de la période de validité, et ce en fonction de la date de la demande faite à l’ONEm d’attester de l’inscription du jeune travailleur en tant que demandeur d’emploi. Les réductions de cotisations sont donc autorisées sur la base de ce document et le droit s’ouvre lorsque l’employeur introduit une demande en ce sens auprès de l’ONSS.

Par ailleurs, la cour relève que l’occupation est définie par l’arrêté royal du 16 mai 2003 comme étant la relation de travail comme travailleur salarié (ce qui inclut le contrat d’apprentissage) et que, si l’article 16 de l’arrêté exclut les apprentis du groupe-cible des premiers engagements, il n’en va pas de même, au sens de l’article 18 du même arrêté, pour le groupe-cible des jeunes travailleurs. La cour considère en conséquence qu’il s’agit de notions différentes : le groupe-cible visé par les premiers engagements vise un nouvel employeur qui n’occupait pas de personnel autre que notamment des apprentis, et ce, pour les trois premiers travailleurs engagés tandis que le deuxième groupe, relatif aux jeunes travailleurs, vise l’occupation de ceux-ci sous divers statuts – dont expressément celui de stagiaire et d’apprenti. Elle considère dès lors qu’il n’y a pas lieu d’appliquer à cette situation la jurisprudence invoquée en matière de contrat au sujet de l’engagement de stagiaires (étant C. trav. Liège, 20 septembre 2006, R.G. 33.705/05 relatif à l’ancienneté d’un travailleur ayant déjà été occupé dans le cadre d’une formation).

En conclusion, elle considère que la réduction de cotisations pour l’occupation de jeunes travailleurs n’est pas restreinte à une première occupation, que ce soit dans le chef de l’employeur ou non, mais à l’engagement d’un jeune moins qualifié sous divers statuts et pourvu qu’il soit titulaire de la carte de premier emploi, celle-ci posant comme condition l’inscription en tant que demandeur d’emploi. En plus de ces conditions, il faut bien entendu, pour la cour, que soient respectés les critères fixés à l’article 18 de l’arrêté royal relatif à la réduction cible des jeunes travailleurs.

Appliquant ces principes au cas d’espèce, la cour va alors examiner la question de la mise au travail d’un jeune moins qualifié, considérant que la question à régler est de savoir s’il faut inclure ou non l’occupation en qualité d’apprenti ou de stage réalisé dans le cadre de la formation des classes moyennes. Pour la cour, les textes auxquels elle s’est référée indiquent que l’occupation des jeunes travailleurs ne concernent pas uniquement leur occupation sous contrat, puisqu’ils peuvent aussi être occupés comme apprentis ou suivre des stages de formation et rentrer néanmoins dans la qualification de « jeunes travailleurs » dont le contrat de première occupation peut ouvrir le droit aux réductions de cotisations.

Examinant alors s’il peut y avoir une discrimination injustifiée entre un employeur qui a engagé un jeune sous contrat d’apprentissage et celui qui attend que l’apprentissage ait eu lieu avant d’engager ce même jeune à son service, la cour relève que ce n’est pas dans cette distinction que réside l’absence de droit aux réductions de cotisations mais dans la durée de l’occupation du travailleur. Dans le cadre de l’article 18, des tarifs dégressifs sont en effet prévus (pendant le trimestre de l’engagement d’abord, les sept trimestres suivants ensuite et ultérieurement pour les autres). Tout en relevant que l’employeur qui occupe un apprenti ou un stagiaire a peu d’intérêt à voir appliquer une importante réduction de cotisations (vu le caractère peu élevé de celles-ci), elle conclut que le pouvoir exécutif a pu cependant sans violer le principe d’égalité choisir comme critère l’application des tarifs dégressifs en fonction de la durée d’occupation au lieu de l’application d’un tarif basé sur le type d’engagement. Pour la cour, il s’agit d’un critère objectif et celui-ci poursuit le but de favoriser la mise au travail des jeunes.

Intérêt de la décision

La cour est ici saisie de la problématique complexe des réductions de cotisations dans le cadre de mesures en faveur de certains groupes-cible et est amenée à examiner l’application de la réglementation à la succession de plusieurs types d’engagement de jeunes peu qualifiés en début de carrière. Elle y définit la notion de jeunes travailleurs ainsi que celle de premier engagement, au sens de cette réglementation.


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