Terralaboris asbl

Travaux de toiture : poste de sécurité ?

Commentaire de C. trav. Mons, 20 juin 2011, R.G. 2010/AM/97

Mis en ligne le mardi 8 novembre 2011


Cour du travail de Mons, 20 juin 2011, R.G. n° 2010/AM/97

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 20 juin 2011, la Cour du travail de Mons considère qu’un ouvrier effectuant des travaux de toiture occupe un poste de sécurité. La décision prise par le conseiller en prévention-médecin du travail quant à son aptitude a dès lors un caractère contraignant, à défaut pour l’ouvrier d’avoir introduit le recours prévu par l’arrêté royal.

Les faits

Un ouvrier, au service d’une société de toiture, fait l’objet d’une évaluation de santé dans laquelle le médecin du travail précise que, s’il s’agit d’un travailleur chargé d’un poste de sécurité ou de vigilance ou encore d’une activité à risque liée à l’exposition aux rayonnements ionisants, il y a inaptitude définitive ; par contre, s’il s’agit de tout autre examen, les recommandations sont une mutation à un poste de travail ne comportant pas (i) de travail en hauteur avec risques de chute ou (ii) un poste de sécurité.

Cette recommandation est communiquée à l’ouvrier alors qu’il est en période de chômage intempéries. A la reprise du travail, l’ouvrier effectue des travaux au sol sur un chantier bien spécifique. S’agissant d’un travail de courte durée et de nature exceptionnelle, l’employeur constate la fin des relations de travail à l’issue de ceux-ci, et ce pour force majeure.

Une indemnité de rupture est demandée par le travailleur licencié.

Décision du tribunal du travail

Le Tribunal du travail de Charleroi rend un jugement le 26 novembre 2009 dans lequel il considère que le travailleur était occupé à un poste de sécurité, impliquant l’utilisation d’équipements de travail et/ou d’engins de levage quelconques dont l’utilisation pouvait mettre en danger la sécurité et la santé d’autres travailleurs. En conséquence, la décision du conseiller en prévention-médecin du travail avait un caractère contraignant à l’égard de la société et était devenu définitive à défaut de recours introduit par le travailleur. Le tribunal considère en outre que la société établit l’impossibilité technique et objective d’affecter le travailleur à d’autres fonctions.

Position des parties en appel

Le travailleur interjette appel, contestant avoir été occupé à un poste de sécurité tel que décrit ci-dessus. Il considère avoir la qualité d’ouvrier qualifié de premier échelon effectuant des travaux de toiture, utilisant des échelles, échafaudages etc. et ne représentant pas un danger pour les autres travailleurs mais uniquement pour lui-même. En conséquence, la société ne pouvait considérer qu’il y avait force majeure et devait se référer à la recommandation du médecin du travail visant une mutation définitive à un poste ne comportant pas de prestations en hauteur avec risque de chute. Il expose en outre que son problème de santé (résidant dans un diabète de type 2 dont il souffrait depuis de longues années) ne l’avait jamais empêché d’effectuer son travail normalement. Il conclut que, vu la fonction occupée, l’avis du médecin du travail ne liait pas les parties et qu’il ne pouvait servir de fondement à la constatation d’une force majeure.

Quant à la société, elle se fonde la nature de l’activité exercée, impliquant notamment l’utilisation d’engins de levage et exposant les circonstances et conditions de travail, dans ce cadre. Elle considère quant à la nature de la décision du conseiller en prévention-médecin du travail qu’il s’agissait non pas d’une simple recommandation mais d’une véritable décision qui s’imposait à elle. Elle constate également que l’intéressé n’a pas introduit de recours contre celle-ci.

Décision de la cour du travail

La cour reprend les règles en la matière, à partir du principe contenu dans l’article 32, 5) de la loi du 3 juillet 1978 sur les contrats de travail, disposition qui vise la rupture du contrat par force majeure. Il s’agit, pour la cour, d’une application de la théorie générale des risques dans les contrats synallagmatiques. Pour qu’il y ait force majeure et donc dissolution de plein droit du contrat, toutes les conditions de la force majeure en droit civil doivent être remplies, étant que (i) l’obstacle à la poursuite de l’exécution soit réellement insurmontable, celle-ci n’étant pas simplement plus difficile ou plus onéreuse, (ii) l’empêchement doit être définitif, (iii) la force majeure ne peut résulter que d’un élément indépendant de la volonté de celui qui l’invoque, celui-ci ne pouvant ni la prévoir, ni la conjurer et (iv) cet empêchement s’apprécie en droit du travail par rapport au travail convenu au moment où l’obstacle surgit.

En matière d’incapacité de travail définitive, la Cour de cassation a rendu de très nombreux arrêts, confirmant de manière constante qu’une incapacité de travail par laquelle le travailleur se trouve définitivement dans l’impossibilité de reprendre le travail convenu constitue une situation de force majeure mettant fin au contrat (la cour citant ici de nombreux arrêts dont Cass., 2 octobre 2000, Pas., I, p. 504).

La cour en conclut dès lors que l’incapacité de travail sera un cas de force majeure si elle empêche de manière permanente, irréversible et définitive l’exécution du travail convenu. Par travail convenu, il faut comprendre celui qui devait normalement être exécuté par le travailleur au moment où l’incapacité de travail est survenu en fonction des termes du contrat et de l’organisation du travail mise en place par l’employeur et acceptée par le travailleur.

La cour examine ensuite, sur le plan de la charge de la preuve, les éléments pouvant être avancés par l’employeur, de nature à établir que l’état de santé du travailleur entraîne une incapacité définitive d’exercer le travail convenu.

Elle retient qu’il n’existe que deux sources d’informations médicales utilisables, étant d’une part les documents transmis par le travailleur lui-même et d’autre part ceux en provenance de la médecine du travail dans le cadre de ses attributions.

Elle développe ensuite le mécanisme de l’arrêté royal du 28 mai 2003, qui fait la distinction entre les examens de surveillance de santé obligatoire et facultative, ainsi que la force contraignante des conclusions du conseiller en prévention-médecin du travail : caractère contraignant en cas d’examen de santé obligatoire et recommandations pour les autres. La réglementation vise plus particulièrement les postes de sécurité, postes qui sont définis comme impliquant notamment l’utilisation d’équipements de travail et d’engins de levage quelconques. Après avoir, ensuite, repris le mécanisme à suivre en cas de recours du travailleur contre une décision de nature à restreindre son aptitude, la cour entreprend de déterminer en l’espèce la nature de la décision du conseiller en prévention-médecin du travail et ce par l’identification du poste occupé : il s’agit d’un poste de sécurité, vu qu’il présente les caractéristiques ci-dessus. Dans la mesure où la décision du conseiller en prévention-médecin du travail avait, de ce chef, un caractère contraignant, s’agissant d’un examen de santé obligatoire, et où la décision est devenue définitive à défaut de recours introduit par le travailleur dans le délai fixé (7 jours ouvrables à partir de la date de réception du formulaire d’évaluation), la société était autorisée à ne plus occuper l’intéressé à des travaux de toiture. La cour constate par ailleurs que l’affectation à des travaux au sol n’a constitué qu’un épisode exceptionnel et que la société prouve à suffisance qu’il lui était techniquement ou objectivement impossible d’affecter le travailleur, après ce chantier exceptionnel, à des travaux autres.

La cour confirme dès lors le jugement.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Mons reprend de manière très didactique les règles en matière de rupture pour force majeure suite à la constatation d’une inaptitude physique définitive. Elle s’appuie, pour ce faire, sur la doctrine la plus récente, elle-même très fouillée sur la question.


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