Terralaboris asbl

Réparation d’une maladie professionnelle : ping-pong entre le FMP et un employeur public

Commentaire de C. trav. liège, 19 septembre 2011, R.G. 2010/AL/661

Mis en ligne le mercredi 16 novembre 2011


C. trav. Liège, 19 septembre 2011, R.G. n° 2010/AL/661

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 19 septembre 2011, la Cour du travail de Liège rappelle que l’article 19 de la Charte de l’assuré social permet de tenir en échec le principe de l’autorité de chose jugée contenu à l’article 25 du Code judiciaire.

Les faits

Un ouvrier, né en 1951, travaille dans le secteur privé jusqu’à la fin de l’année 1999 et entre ensuite au service d’un employeur public. Il introduit alors une demande d’indemnisation pour une maladie professionnelle (affection ostéo-articulaire due aux vibrations mécaniques – colonne lombaire et membres supérieurs).

Cette demande ayant été formée à l’égard du FMP, celui-ci la retransmet à l’administration compétente, qui la déclare non fondée, au motif que l’intéressé ne serait pas atteint de la maladie en cause.

Suite à l’intentement d’une action judiciaire dans le cadre de la loi du 3 juillet 1967, le tribunal du travail désigne un expert, par jugement du 20 septembre 2004. Celui-ci dépose son rapport, qui sera entériné, étant qu’il y a eu exposition au risque et que, en ce qui concerne la colonne lombaire, cette exposition est survenue de manière prépondérante dans le secteur privé mais également dans le secteur public, au contraire de l’affection des membres supérieurs, qui s’est développée suite à l’activité exercée dans le secteur privé.

L’employeur public est, par conséquent, condamné à suivre la procédure en vue de l’indemnisation de l’intéressé. Il s’agit d’une incapacité de 17%, qui comprend des facteurs socio-économiques fixés à 5%. L’exposition au risque professionnel relatif à l’affection aux membres supérieurs ne concernant que le secteur privé, l’employeur public n’est pas condamné à réparer celle-ci.

En conséquence, une nouvelle demande est introduite par l’intéressé en ce qui concerne les membres supérieurs, et ce auprès du FMP. La demande est rejetée mais retransmise à l’employeur public, le FMP estimant que le demandeur relève du champ d’application de la loi du 3 juillet 1967. Il fait valoir qu’à son estime l’exposition ne concerne pas que le secteur privé mais également le secteur public.

Un recours est de nouveau introduit et, par jugement du 7 mai 2007, le tribunal du travail reçoit sa demande telle que dirigée contre le FMP. Il désigne un expert en ce qui concerne le fond. La conclusion du rapport d’expertise est qu’il y a lieu de reconnaître une incapacité physique de 12% mais – contrairement au premier expert – ce dernier considère qu’il y a eu exposition au risque professionnel dans les deux secteurs. Ce rapport d’expert est entériné par jugement du 8 décembre 2008, le jugement déclarant par conséquent l’action non fondée contre le FMP.

Le travailleur doit alors introduire une nouvelle demande, cette fois auprès de l’employeur public, et ce en date du 15 janvier 2009 : il demande l’indemnisation pour une affection ostéo-articulaire aux membres supérieurs. Celle-ci est alors rejetée … au motif du premier jugement rendu.

La décision du tribunal (dont appel)

Le tribunal du travail est alors saisi de la décision de l’autorité, l’intéressé demandant que l’on retienne l’incapacité physique de 12% fixée par le deuxième expert, cette incapacité étant augmentée de 10% pour facteurs socio-économiques.

Un troisième jugement est dès lors rendu par le tribunal du travail et celui-ci admet l’action dirigée contre l’employeur public, la déclarant fondée. Il fait application de l’article 19 de la Charte de l’assuré social, considérant que la nouvelle demande (indemnisation pour affection ostéo-articulaire aux membres supérieurs) est fondée sur un élément de preuve nouveau, inconnu du tribunal lorsqu’il rendit son premier jugement.

Le tribunal fixe alors l’indemnisation sur la base du taux d’incapacité physique sollicité mais considère que les facteurs socio-économiques ne sont que de 5%.

Position des parties en appel

L’autorité publique considère que le dernier recours aurait dû être jugé irrecevable, la demande ayant été tranchée par jugement du 12 octobre 2006, revêtu de l’autorité de la chose jugée. Elle considère en outre que l’article 19 de la Charte de l’assuré social ne lui est pas applicable et fait valoir d’autres considérations sur le fond.

L’intéressé sollicite, quant à lui, la confirmation du jugement.

Décision de la cour du travail

La cour du travail considère que l’intéressé a introduit une nouvelle demande administrative en 2009 ainsi qu’une nouvelle demande judiciaire en 2010, tendant toutes deux à la réparation par l’autorité publique de la maladie professionnelle. Il a, pour la cour, « réitéré » ses demandes originaires. La cour constate ainsi que les conditions fixées par l’article 23 du Code judiciaire permettant de constater l’autorité de chose jugée sont réunies et qu’en vertu de l’article 25 du même code, la demande ne peut dès lors être réitérée.

Cependant, examinant le dispositif de l’article 19 de la Charte, disposition figurant dans une sous-section intitulée « Révision », la cour relève que l’alinéa 1er de cet article permet d’introduire une demande nouvelle après une décision administrative ou judiciaire ayant force de chose jugée. Pour la cour, l’article 19 instaure une procédure de revision (tant pour une décision judiciaire qu’administrative), autorisant l’introduction d’une demande nouvelle ayant le même objet, la même cause et les mêmes parties. Il s’agit d’une dérogation apportée par la Charte à l’article 25 du Code judiciaire.

Mais un tempérament a été introduit à cette dérogation, l’article 19, alinéa 2 précisant que, en cas de procédure de revision, la nouvelle décision prendra cours le premier jour du mois qui suit celui pendant lequel la demande nouvelle a été introduite. Le caractère d’autorité de chose jugée n’est pas remis en question pour le passé.

L’autorité publique ne peut par ailleurs pas exciper du fait qu’elle ne ressortirait pas au champ d’application personnel de la Charte, de telle sorte que la cour confirme son applicabilité au cas.

Une autre condition permettant une revision est cependant contenue dans l’article 19, alinéa 1er, étant qu’une nouvelle demande ne peut être déclarée fondée qu’en cas d’éléments de preuve nouveaux ou qui n’avaient pas été soumis antérieurement (que ce soit à l’autorité administrative ou à la juridiction).

En l’espèce, la cour vérifie l’examen auquel s’est livré le premier juge, qui a minutieusement comparé les deux rapports d’expertise et a conclu que le second contenait des constatations absentes du premier : il s’agit d’un élément de fait, à savoir l’utilisation d’une machine spéciale (Cobra) par l’intéressé pendant qu’il était occupé par l’administration publique. C’est un élément nouveau et, pour la cour, la preuve est certaine.

La cour va encore rejeter un argument de l’autorité publique, tiré des termes de l’article 19, qui exige « des éléments de preuve nouveaux », considérant qu’en l’espèce il n’y en aurait qu’un. La cour considère qu’il ne faut pas procéder à une interprétation trop étroitement exégétique du texte légal et exiger ainsi qu’il faudrait … au moins deux éléments pour donner lieu à revision.

La cour va dès lors confirmer la conclusion du tribunal, qui a appliqué correctement l’article 19 de la Charte.

En ce qui concerne les arriérés éventuels réclamés depuis 2001 – date de la première constatation de la maladie -, la cour considère que le demandeur n’y a pas droit, dans la mesure où il y a lieu, en vertu de l’article 19, alinéa 2, de fixer les effets de la nouvelle décision au premier jour du mois qui suit celui durant lequel la demande nouvelle a été introduite.

La cour statue encore sur le taux d’incapacité permanente de travail et réforme partiellement le jugement sur l’évaluation de l’incidence des facteurs socio-économiques, fixés à 5% par le tribunal, alors que l’intéressé en réclamait 10. Elle reprend brièvement le parcours professionnel de l’intéressé, âgé de 57 ans à la date de référence et rappelle que celui-ci a travaillé à partir de 14 ans, qu’il est sans diplôme et a toujours exercé une activité ouvrière lourde (terrassier, conducteur d’engins de chantier ou machiniste). Elle conclut à une formation générale pauvre, une carrière monovalente ainsi qu’à des facultés d’adaptation et de reconversion réduites. Elle note encore que le demandeur est en incapacité de travail depuis 2006. Elle porte dès lors les facteurs socio-économiques à 7%.

Intérêt de la décision

Le cas d’espèce est assez piquant puisque deux expertises aboutissent à des conclusions distinctes, ayant une incidence sur la régularité de la procédure, étant l’identification du débiteur de la réparation. S’agissant d’une carrière mixte, celui-ci est, en principe, celui de la derrière occupation du travailleur. En cas d’exposition au risque pendant une longue période, l’espèce commentée invite à introduire un recours dans les deux secteurs (secteur privé et secteur public) aux fins d’éviter les avatars ci-dessus.


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