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Changement de statut d’ouvrier à celui d’employé : licéité de la clause d’essai du second contrat et conséquences en cas de rupture

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 22 mars 2011, R.G. 2010/AB/276

Mis en ligne le jeudi 17 novembre 2011


C. trav. Bruxelles, 22 mars 2011, R.G. 2010/AB/276

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 22 mars 2011, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que, dans l’hypothèse où un second contrat de travail est conclu alors qu’un premier était en cours, la clause d’essai peut être valable et qu’en cas de rupture du second contrat, il peut y avoir survivance du premier.

Les faits

Une travailleuse est engagée en qualité d’ouvrière (nettoyeuse) par une société du secteur et est affectée à un chantier déterminé. Elle est élue en tant que représentante du personnel aux élections sociales de 2004. Elle devient, ensuite, chef d’équipe. Suite à la reprise du chantier par une autre société de nettoyage, les conditions de travail de l’intéressée sont revues et un contrat est signé avec statut d’employée. Les fonctions exercées sont celles de superviseuse. Une clause d’essai d’une durée de 6 mois est incluse dans le contrat. Pendant celle-ci, la société met un terme au contrat de travail d’employée, moyennant paiement d’une semaine de rémunération.

L’intéressée conteste son licenciement via son organisation syndicale et réclame l’indemnité de protection sur la base de la loi du 19 mars 1991. La société rétorque que l’intéressée n’a pas été candidate aux élections sociales dans son entreprise, dans laquelle elle n’est entrée en service qu’après les élections de 2004.

Citation est dès lors lancée devant le Tribunal du travail de Louvain aux fins d’obtenir, à titre principal, l’indemnité de protection et, à titre subsidiaire, l’indemnité compensatoire de préavis.

La décision de la cour du travail

La société ayant été condamnée par le premier juge, la cour du travail est saisie par celle-ci de la question de la régularité de l’insertion d’une clause d’essai dans le contrat de travail de superviseuse.

Elle renvoie, en ce qui concerne les textes applicables, à la convention collective de travail de secteur du 12 mai 2003, telle que modifiée ultérieurement, selon laquelle (article 3), en cas de transfert de contrats d’entretien pour lesquels au moins trois ouvriers sont concernés, les ouvriers ayant au moins 9 mois de prestations sur le chantier précédant immédiatement la date de l’entrée en vigueur du nouveau contrat commercial, ceux qui n’atteignent pas l’âge de la pension et qui n’ont pas, dans le respect des clauses essentielles du contrat de travail, accepté la proposition éventuelle de reclassement faite par l’entreprise sortante, entrent de plein droit au service de l’entreprise qui a obtenu le contrat d’entretien. La cour constate qu’à la date de référence, l’intéressée avait plus de 9 mois de service, n’avait pas atteint l’âge de la pension et n’avait accepté aucune proposition de reclassement, de telle sorte qu’elle était entrée de plein droit au service de la société à la date en cause.

En ce qui concerne le nouveau contrat de travail conclu, la cour retient qu’aucune disposition légale n’interdit à l’employeur de faire signer au travailleur, dans le cadre d’un contrat de travail en cours, un nouveau contrat, par lequel il passe du statut d’ouvrier à celui d’employé. Il s’agit en effet d’un changement de sa situation contractuelle. En ce qui concerne la question de l’interdiction éventuelle de la clause d’essai, celle-ci n’est pas visée dans la convention collective en cause, dans l’hypothèse de la modification d’un contrat de travail d’ouvrier en contrat de travail d’employé.

La cour se réfère dès lors aux principes généraux, étant ceux contenus dans la loi du 3 juillet 1978, en application desquels la jurisprudence a considéré qu’il y a interdiction de faire figurer dans le cadre d’un nouveau contrat de travail une telle clause d’essai, sauf dans l’hypothèse d’une modification des conditions de travail et, plus particulièrement, d’engagement pour une autre fonction, étant entendu que c’est l’essence de la fonction nouvelle qui doit être en cause et doit être différente de celle de la fonction précédemment exercée.

La cour retient qu’en l’espèce, il ressort des éléments qui lui sont soumis que le contenu de la fonction est distinct, s’agissant précédemment de tâches d’ouvrière-chef d’équipe et, actuellement, d’employée superviseuse. La cour examine également les responsabilités liées à chacune de celles-ci et constate notamment que la travailleuse s’est, avec sa fonction d’employée, vue confier la responsabilité de l’engagement de personnel de nettoyage pour les chantiers sous sa responsabilité et qu’elle n’effectuait plus elle-même de tâches comme nettoyeuse. Pour la cour, la clause d’essai est dès lors valable.

La travailleuse considère, à titre subsidiaire, que lorsqu’un nouveau contrat de travail contient une clause d’essai valable, elle a néanmoins droit à une indemnité compensatoire de plus de 7 jours. La cour suit cette argumentation et relève qu’il n’est pas prouvé qu’il a été mis fin au contrat de travail d’ouvrière. Elle reprend la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 18 avril 1988, Arr. Cass., 1987-1988, p. 1028), selon laquelle, lorsque les parties à un contrat de travail concluent un nouveau contrat, la clause d’essai du nouveau contrat peut être valable, mais ne vise que la fonction nouvelle faisant l’objet du second contrat. Dans un tel cas, l’ancien contrat de travail persiste en cas de rupture du second et le travailleur reste au service de l’employeur.

En application de cette jurisprudence, la cour du travail retient que le contrat de travail d’ouvrier avait continué à vivre après la rupture du nouveau contrat de travail d’employée et que la société a irrégulièrement mis fin à celui-ci. Revient donc à la travailleuse l’indemnité compensatoire de préavis prévue dans le secteur, correspondant à 42 jours.

Intérêt de la décision

La jurisprudence de la Cour de cassation invoquée dans cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles n’est pas souvent invoquée, étant qu’en cas de rupture d’un second contrat contenant une clause d’essai licite - et ce pendant l’essai -, il y a survivance du contrat de travail initial, à la condition – bien sûr – que les parties n’aient pas posé un acte de rupture, ainsi, par exemple, une rupture d’un commun accord lors de la signature du second contrat.


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