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Inaptitude définitive au travail convenu : rappel du mécanisme légal

Commentaire de C. trav. Bruxelles 21 septembre 2011, R.G. 2010/AB/525

Mis en ligne le lundi 5 décembre 2011


Cour du travail de Bruxelles, 21 septembre 2011, R.G. 2010/AB/525

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 21 septembre 2011, la Cour du travail de Bruxelles reprend les principes applicables en cas d’inaptitude physique définitive et les conséquences en cas de non-respect de la procédure fixée par l’arrêté royal du 28 mai 2003.

Les faits

Un employé exerce des fonctions de préparateur-cariste. Il s’agit d’assurer la composition de palettes de marchandises commandées via le réseau intranet par les différents magasins d’une chaîne de grande distribution. C’est un poste de sécurité.

Le 7 février 2007, un examen d’évaluation de santé le déclare définitivement inapte, les recommandations visant malgré tout une aptitude à un poste de travail allégé sans port de charges ou d’exposition à des vibrations. Deux jours plus tard, la société indique au conseiller en prévention-médecin du travail qu’il n’y a pas de possibilité de reclassement professionnel, les fonctions existant au sein de l’entreprise impliquant toutes le port de charges ou la conduite d’engins (avec vibrations), exceptées les fonctions d’employé administratif. La société notifie, en conséquence, par courrier recommandé du 20 février 2007, la rupture du contrat de travail pour force majeure, avec effet immédiat.

Cette décision est contestée et une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Nivelles.

La décision du tribunal du travail

Par jugement du 25 mars 2010, le tribunal désigne un expert afin de déterminer si, à la date du 7 février 2007, étant celle de l’examen d’évaluation de santé, il y a inaptitude définitive pour la fonction exercée. Le tribunal estime en effet que, même si la procédure de recours interne n’a pas été introduite, le travailleur peut contester les conclusions du conseiller en prévention-médecin du travail dans le délai d’un an, et ce par voie judiciaire. Il est décidé de recourir à un avis d’expert médical, vu l’existence d’avis médicaux contradictoires.

Position des parties devant la cour

La société interjette appel, estimant qu’elle a valablement constaté la dissolution du contrat de travail pour force majeure. S’agissant d’un poste de sécurité, elle fait valoir que l’examen préalable a un caractère obligatoire et que la décision du conseiller en prévention-médecin du travail s’impose à l’employeur, et ce conformément à l’article 71 de l’arrêté royal du 28 mai 2003.

Quant à l’intéressé, il fait valoir que la société ne pouvait pas rompre le contrat pour force majeure, la décision conseiller en prévention-médecin du travail ne constituant pas une preuve de l’inaptitude définitive à la fonction occupée. Il fait également valoir que l’employeur n’a pas respecté l’obligation de l’affecter à un autre poste, ainsi que le recommandait le conseiller en prévention-médecin du travail.

La décision de la cour

La cour rappelle l’arrêt de la Cour de cassation du 2 octobre 2000 (S.0000.21.N), selon lequel les obligations de reclassement (étant à l’époque les articles 146bis, § 2 et 146ter, §§ 3 et 4 du R.G.P.T.) ont pour conséquence de faire naître, en cas de reclassement, un nouveau contrat avec travail adapté (et, éventuellement, avec conditions de rémunération distinctes). Dans l’hypothèse d’une incapacité définitive d’exécuter le travail convenu, le contrat initial est rompu pour force majeure.

Actuellement, un nouvel article 34 a été réintroduit dans la loi du 3 juillet 1978, disposant que l’incapacité de travail résultant d’une maladie ou d’un accident et qui empêche définitivement le travailleur d’accomplir le travail convenu ne met pas par elle-même fin au contrat pour cause de force majeure. La loi du 27 avril 2007 portant des dispositions diverses (M.B., 8 mai 2007) fixe par cette disposition une véritable obligation de reclassement à charge de l’employeur. Celle-ci n’est cependant pas applicable, à défaut d’arrêté royal fixant la date de son entrée en vigueur. Il y a dès lors lieu de suivre la procédure fixée à l’arrêté royal du 28 mai 2003 relatif à la surveillance de la santé des travailleurs, toujours d’application.

Y sont décrites les mesures à prendre avant toute décision, étant que le conseiller en prévention-médecin du travail doit procéder à des examens complémentaires appropriés, s’enquérir de la situation sociale du travailleur, renouveler l’analyse des risques et examiner les mesures et les aménagements susceptibles de maintenir le travailleur à son poste de travail, examen devant avoir lieu sur place. En ce qui concerne les possibilités de nouvelles affectations et les mesures d’aménagement des postes de travail, elles doivent faire l’objet d’une concertation préalable et le travailleur a un droit de recours, ce dont il doit être informé par le conseiller en prévention-médecin du travail.

La cour s’interroge, ensuite, sur les effets de la violation de l’obligation de reclassement, dont elle rappelle qu’elle divise la doctrine, cette obligation étant considérée par certains comme une obligation post-contractuelle et d’autres admettant au contraire qu’une action judiciaire en réintégration est ouverte au travailleur dont le contrat aurait été rompu pour force majeure médicale, en cas de non-respect.

La cour rappelle la jurisprudence récente, qui retient une conception nettement plus restrictive de la force majeure, étant que l’obligation en cause n’est certes pas une obligation purement morale et n’est pas davantage une simple obligation de moyen, l’employeur étant au contraire tenu d’offrir un emploi de remplacement ou de justifier les raisons objectives et raisonnables qui peuvent l’en exonérer. Pour la cour, la jurisprudence récente rend obsolètes les décisions antérieures relatives à la reconnaissance d’un cas de force majeure médicale, ce qui sera d’autant plus le cas lorsque l’article 34 de la loi entrera en vigueur.

Examinant les éléments de l’espèce, la cour constate que l’intéressé n’a pas été informé de ses droits par le conseiller en prévention-médecin du travail, ce qui est exigé par l’article 58 de l’arrêté royal, et n’a pas davantage bénéficié des mesures préalables à la décision. La cour constate également que la procédure de concertation de même que la procédure de recours n’ont pas été mises en mouvement.

Il faut dès lors conclure qu’aucune décision définitive concernant l’aptitude au travail n’est intervenue et que, en tout cas, le caractère définitif de l’inaptitude n’est pas prouvé. L’intéressé a, par conséquent, le droit de contester la décision prise, et ce dans le délai annal, à partir de la date du licenciement.

La cour confirme dès lors la mesure d’expertise.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles rappelle, à très juste titre, la procédure à respecter, dans l’hypothèse où la force majeure pour raison médicale est envisagée, suite à une inaptitude physique définitive. Elle relève, particulièrement, que le non-respect des obligations strictes énoncées par l’arrêté royal a pour conséquence que la décision prise ne peut pas être considérée comme une décision définitive concernant l’inaptitude au travail.


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