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Faute du travailleur commise en l’absence d’intention frauduleuse

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 29 juillet 2011, R.G. 2010/AB/130

Mis en ligne le mercredi 14 décembre 2011


Cour du travail de Bruxelles, 29 juillet 2011, R.G. 2010/AB/130

Dans un arrêt du 29 juillet 2011, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que l’appréciation de la gravité d’une faute ayant abouti à un licenciement pour motif grave passe par un contrôle de proportionnalité. La Cour rappelle également l’obligation pour l’employeur du secteur des assurances de respecter la convention collective du 9 novembre 1987 relative à la sécurité d’emploi en cas de licenciement pour motif grave.

Les faits

Une employée d’une entreprise d’assurances est licenciée pour motif grave en 2007, au motif qu’une de ses collègues avait quitté le travail à 16h00 au lieu de 17h30 et n’avait pas enregistré son heure de départ. Celle-ci avait contacté l’intéressée par téléphone pour lui demander d’enregistrer son heure de départ à sa place et lui avait communiqué, à cette fin, son mot de passe (strictement personnel et confidentiel). Il y eut dès lors licenciement de l’intéressée, qui avait satisfait à la demande de sa collègue et avait pointé une heure de départ à 17h50.

Pour la société, les faits étant dûment établis, le licenciement pour motif grave se justifiait, dans la mesure où l’employée avait participé à un acte qui constitue lui-même un motif grave et il y avait dès lors impossibilité de poursuivre immédiatement et définitivement la collaboration professionnelle.

La décision de la cour du travail

La cour du travail considère dans son arrêt qu’il n’y a pas motif grave et elle accorde en outre l’indemnité de sécurité d’emploi du secteur.

En ce qui concerne le motif grave, la cour rappelle que cette notion exige trois éléments à apprécier par le juge, étant (i) une faute, (ii) la gravité de cette faute et (iii) l’impossibilité immédiate et définitive de poursuivre toute collaboration professionnelle en raison de cette faute.

Il découle de cette définition que la faute doit être appréciée en prenant en considération l’ensemble des éléments de fait relatifs à l’acte lui-même et au contexte dans lequel il s’est déroulé. Le fait qui peut justifier le licenciement pour motif grave étant, selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation (et la cour du travail cite Cass., 20 novembre 2006, n° S.050117.F), le fait accompagné de toutes les circonstances qui sont de nature à lui conférer le caractère d’un motif grave.

La cour précise encore, renvoyant à la jurisprudence de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Brux., 27 décembre 2007, J.T.T., 2008, p. 152) que, pour apprécier l’impossibilité immédiate et définitive de poursuivre la collaboration professionnelle, le juge doit notamment procéder à un contrôle de proportionnalité entre la gravité de la faute et la sanction que constitue le licenciement sans indemnité ni préavis.

Appliquant ces principes au cas d’espèce, la cour reprend le détail de la procédure de pointage instaurée au sein de l’entreprise et examine les faits, dont il ressort que l’employée a effectivement reçu un appel de sa collègue, lui signalant qu’elle avait oublié de pointer. Elle a dès lors pointé à sa place.

La cour relève que, ce faisant, l’employée a commis une triple faute, étant d’avoir contrevenu au règlement interne relatif à la confidentialité du mot de passe, à un autre concernant l’enregistrement personnel des heures de travail et d’avoir aidé une collègue à enregistrer une heure de départ inexacte.

Relevant cependant que l’intention frauduleuse n’est pas établie – ce qui est à charge de l’employeur – et que l’employée n’y avait aucun intérêt et n’a retiré aucun profit de son acte, il est possible qu’elle ait agi à la légère dans le seul but de rendre service à sa collègue.

L’existence de la faute est donc indéniable mais la gravité de celle-ci n’était pas telle, pour la cour, qu’elle rendait immédiatement et définitivement impossible la poursuite de la relation contractuelle, fût-ce pendant un préavis.

La cour alloue, dès lors, une indemnité compensatoire de 7 mois.

Elle se penche, ensuite, sur la demande portant sur l’indemnité sectorielle de sécurité d’emploi, s’agissant du secteur des assurances, où a été prise une convention collective en date du 9 novembre 1987, prévoyant des procédures à respecter dans différentes hypothèses de licenciement (hors causes d’ordre économique ou technique). Y est notamment prévu qu’en cas de licenciement pour motif grave « au sens où l’entendent la législation et la jurisprudence sur les relations de travail », il y a obligation d’informer la délégation syndicale des notifications légales à l’intéressée. Dans les autres hypothèses, la procédure est plus complexe, l’employeur étant tenu d’informer le travailleur préalablement à la notification formelle de sa décision, de même que la délégation syndicale, et ce dans un délai suffisant pour permettre une possibilité pratique d’intervention de la délégation.

La cour va ici retenir que, dans la mesure où le motif grave n’a pas été admis, il est inexistant et que l’employeur ne pouvait, dès lors, se borner à informer la délégation syndicale dès la notification légale au travailleur. L’employeur était dès lors tenu d’informer au préalable la délégation syndicale dans un délai suffisant pour permettre son intervention. La procédure n’ayant pas été respectée, l’indemnité de secteur est due et, vu l’ancienneté de l’intéressée, elle est en l’occurrence de 9 mois de rémunération. Il s’agit d’une indemnité qui n’est pas passible de cotisations de sécurité sociale.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles applique de manière très stricte les principes relatifs à l’appréciation de la gravité du motif de licenciement : contrôle de proportionnalité entre la faute et la sanction (l’employeur étant tenu d’établir que la faute rendait immédiatement et définitivement impossible la poursuite de la relation professionnelle, fût-ce pendant un délai de préavis). Elle rappelle en outre que le fait qui peut conduire au licenciement sans préavis ni indemnité est celui accompagné de toutes les circonstances de nature à lui conférer le caractère de motif grave. Il s’agit d’une appréciation in concreto (la Cour de cassation ayant une jurisprudence constante sur cette question – voir, en sus de l’arrêt cité, Cass., 6 septembre 2004, n° S.040008.N et Cass., 3 juin 1996, n° S.950140.N).

En outre, vu la procédure de licenciement propre au secteur, elle enseigne que l’employeur qui invoque un motif grave s’expose au paiement de l’indemnité spéciale si ce motif grave n’est pas retenu et qu’il s’est contenté d’informer la délégation syndicale au moment du licenciement.


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