Terralaboris asbl

Diminution de carrière et protection contre le licenciement

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 29 juillet 2011, R.G. 2010/AB/518

Mis en ligne le mercredi 21 décembre 2011


C. trav. Bruxelles, 29 juillet 2011, R.G. n° 2010/AB/518

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 29 juillet 2011, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les obligations de l’employeur lorsque le travailleur fait usage de son droit à la diminution de carrière.

Les faits

Une employée bénéficie d’un contrat de travail à durée indéterminée depuis 1990 et exerce des fonctions administratives (dont des fonctions de réception de clientèle). Elle demande à bénéficier de la réduction de ses prestations de travail à 4/5e temps, et ce conformément à la convention collective de travail n° 77bis conclue au sein du Conseil national du travail le 19 décembre 2001 instaurant un système de crédit-temps, de diminution de carrière et de réduction des prestations de travail à mi-temps.

Ce droit lui est reconnu. Quelques mois plus tard, elle est licenciée moyennant préavis de 12 mois.

À l’issue de celui-ci, elle conteste, via son organisation syndicale et l’employeur fait répondre à son secrétariat social que le motif du licenciement est étranger à la diminution de carrière. Pour l’employeur, l’intéressée n’était pas motivée, refusait de parler le néerlandais et entravait, ainsi, le bon fonctionnement de l’entreprise.

Décision du tribunal du travail

Par jugement du 1er février 2010, le tribunal du travail a fait droit à la demande d’indemnité de protection introduite par l’employée, l’employeur ne rapportant pas la preuve d’un motif étranger à la diminution de carrière.

Décision de la cour du travail

La cour du travail rappelle les principes qui régissent le droit à la diminution de carrière, tels que fixés dans la convention collective de travail n° 77bis. Pour les travailleurs bénéficiant d’un régime de travail réparti sur cinq jours ou plus, existe une possibilité de diminution de carrière à concurrence d’un jour par semaine pendant une période maximum de cinq ans. Celle-ci est calculée sur l’ensemble de la carrière. Cette diminution de carrière peut être exercée à concurrence d’un jour par semaine ou deux demi jours, couvrant la même durée. La convention collective prévoit que le droit est exercé par périodes de six mois minimum. Des dispositions spécifiques visent les travailleurs occupés dans des régimes de travail particuliers.

Des conditions sont à remplir, pour que le droit puisse être exercé, étant des conditions d’ancienneté (cinq années de prestations dans les liens d’un contrat de travail avant la demande) et d’occupation à temps plein (pendant les douze mois précédant celles-ci).

La cour relève l’interdiction pour l’employeur, telle que fixée à l’article 20, § 2 de la convention collective de travail, de faire un acte tendant à mettre fin unilatéralement à la relation de travail avec le travailleur qui exerce ce droit. Sont exceptés le motif grave ou le motif dont la nature et l’origine sont étrangères à la réduction des prestations de travail du fait de l’exercice du droit en cause. Dans l’hypothèse où l’employeur procède malgré tout à la rupture du contrat sans motif grave ou si le motif étranger (dans sa nature et son origine) ne sont pas établis, une indemnité forfaitaire de six mois de rémunération est due, sans préjudice des indemnités dues au travailleur en cas de rupture du contrat de travail.

La cour rappelle encore la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 14 janvier 2008, S.2007.0049.N), selon laquelle la charge de la preuve du motif de licenciement incombe à l’employeur.

En l’espèce, elle relève qu’il ne peut être contesté que l’employée a fait usage normalement du droit à la diminution de carrière, et ce à concurrence d’un 4/5e temps. Il appartient dès lors à l’employeur, qui n’a pas licencié dans le cadre d’un motif grave, d’établir l’existence d’un motif dont la nature et l’origine sont étrangères à la réduction des prestations de travail de l’intéressée.

L’employeur invoque deux motifs : le premier étant un manque de motivation et l’autre consistant dans le fait de refuser d’aider les clients en néerlandais.

Ces deux motifs sont dès lors examinés soigneusement. Dans le cadre de l’examen du manque de motivation de l’employée, la société fait état du fait qu’elle aurait elle-même demandé à être licenciée. Elle produit un courrier qu’elle a adressé à son secrétariat social après la fin des relations contractuelles. La cour retient, avec le tribunal, que ce motif a été invoqué tardivement. Il ne figure pas, en effet, dans les courriers échangés entre le secrétariat social et l’organisation syndicale. Pour la cour, le fait de ne pas avoir tiré argument de ce fait au moment du licenciement permet de présumer que – le fait fût-il lui-même établi – la société ne l’a pas considéré comme déterminant. Par ailleurs, cette éventualité est en contradiction avec les autres éléments du dossier et, la question ayant été examinée par le tribunal dans le cadre des enquêtes, la cour retient que les seuls témoignages confirmant ce fait ont été apportés par des représentants de l’employeur, dont la cour retient qu’ils se trouvaient dans un conflit d’intérêt et qu’ils ne peuvent être considérés comme impartiaux. Ce premier motif n’est dès lors pas établi.

Le second n’est pas prouvé non plus, et ce sur la base d’éléments de fait du dossier. Les témoins entendus ont livré des déclarations contraires : ceux produits par la société appuyant la thèse de celle-ci et ceux appelés par l’employée disant le contraire.

Dans cette situation le résultat des enquêtes étant contradictoire, la preuve n’est pas rapportée à suffisance de droit. La société doit dès lors supporter les conséquences de l’absence de preuve. Elle n’établit nullement l’existence d’un motif dont la nature et l’origine sont étrangères à la réduction des prestations de travail et elle
doit, dès lors, payer l’indemnité spéciale.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles, rendu dans un cas d’espèce, est illustratif du contrôle judiciaire du motif de licenciement, dans l’hypothèse de l’exercice du droit à la diminution de carrière tel qu’organisé par la convention collective de travail n° 77bis.

En l’occurrence, la cour rappelle à juste titre les termes de celle-ci : non seulement l’employeur ne peut licencier mais il ne faire aucun acte tendant à mettre fin unilatéralement à la relation de travail. En outre, il convient ici d’établir un motif dont à la fois la nature et l’origine sont étrangères à la réduction des prestations de travail.


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