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Non-paiement de la rémunération : responsabilité personnelle (pénale) d’un mandataire de société

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 29 juillet 2011, R.G. 2010/AB/597

Mis en ligne le mardi 27 décembre 2011


Cour du travail de Bruxelles, 29 juillet 2011, R.G. 2010/AB/597

Dans un arrêt du 29 juillet 2011, la Cour du travail de Bruxelles retient qu’est pénalement responsable du fait de non-paiement de rémunération un gestionnaire permanent d’une A.S.B.L., par ailleurs administrateur et président de celle-ci.

Les faits

Un contrat de travail est signé entre un employé et le président d’une A.S.B.L. Celle-ci met un terme au contrat un peu plus d’un an plus tard et les relations de travail cessent à l’expiration de la période de préavis. Des montants restent impayés (rémunération, pécules et primes de fin d’année). Après la fin des relations contractuelles, ils sont réclamés et est également sollicitée la preuve du paiement des cotisations de sécurité sociale.

Ces demandes, formées par l’employé, sont relayées par son organisation syndicale. Il est répondu, par le président, que l’association n’est pas en mesure d’honorer ses engagements et celui-ci renvoie à des documents internes faisant état de difficultés avec diverses administrations.

L’employé assigne, en conséquence, l’A.S.B.L. en paiement des sommes réclamées. Celle-ci fait défaut devant le Tribunal. Elle est ultérieurement mise en liquidation et son président est nommé liquidateur. La liquidation est clôturée le jour de la mise en liquidation pour insuffisance d’actif.

Le jugement rendu contre l’A.S.B.L. porte la date du 4 novembre 2003 et les opérations de liquidation se situent au 2 novembre 2006.

Une citation est alors lancée le 29 novembre 2007 contre le président de l’A.S.B.L. personnellement.

La position du tribunal

Le tribunal rend un jugement interlocutoire le 2 mars 2009, admettant sa compétence mais s’interrogeant sur la recevabilité de la demande, question pour laquelle il ordonne la réouverture des débats.

Un second jugement est rendu le 26 avril 2010 et, examinant la citation introductive d’instance, le tribunal considère que la demande originaire n’est pas recevable.

La position de la cour

La cour va dès lors devoir statuer, dans un premier temps, sur la recevabilité de la citation introductive d’instance. Elle conclut à la réformation du jugement sur ce point, la citation répondant au prescrit de l’article 702, 3° du Code judiciaire : si certaines imprécisions (qualifiées de « coquilles ») figurent dans la citation, la cour retient qu’il s’agit ici « probablement, des vertus et des risques des copier/coller informatiques », des éléments de deux causes différentes s’étant retrouvés malencontreusement entremêlés dans le texte.

Ce problème est réglé, par la cour, vu qu’aucun préjudice procédural n’est établi et que le défendeur n’a pu se méprendre sur la demande (des montants étant réclamés, conformément au jugement rendu contre l’A.S.B.L., la responsabilité particulièrement sur le plan pénal étant invoquée). En conséquence, elle examine le fond de l’affaire.

Après avoir relevé que la prescription de l’action en responsabilité ne pouvait être retenue, au motif que les relations contractuelles ont pris fin moins de 5 ans avant la date de la citation, la cour examine l’existence de l’infraction.

Sur le plan de la preuve, elle relève qu’il appartient à l’employé d’établir l’existence de l’infraction ainsi que son imputabilité à la personne citée.

Le fait matériel de l’infraction est établi, et ce notamment par le jugement rendu contre l’A.S.B.L., la cour rappelant que la simple violation de l’obligation de payer la rémunération ou le pécule de vacances – sauf cause de justification (force majeure, erreur invincible) – constitue une infraction et qu’il n’y a pas d’élément moral spécifique exigé.

En ce qui concerne l’imputabilité, la cour relève que la personne citée est la personne physique à l’intervention de laquelle l’A.S.B.L. a commis l’infraction en cause, étant non seulement son administrateur, mais également le signataire du contrat de travail, le président de l’A.S.B.L. et le gestionnaire permanent de celle-ci à l’époque où l’infraction a été commise. Ceci ressort d’un ensemble d’éléments apportés au dossier.

En outre, la cour relève, quant à la loi du 4 mai 1999 sur la responsabilité pénale des personnes morales, que le représentant de l’A.S.B.L. devrait établir en quoi l’infraction commise relèverait de la seule responsabilité de la personne morale. Le fait que celle-ci puisse être responsable n’exclut en effet pas nécessairement la responsabilité pénale personnelle d’un administrateur ou d’un gérant. La cour reprend ici la doctrine de Masset (Masset A., « La responsabilité pénale des personnes morales », Rev. dr. pén. entr., 1/2011, p.5), qui enseigne que la loi du 4 mai 1999 (qui introduit un article 5 dans le Code pénal) n’a pas modifié l’écriture des nombreuses lois de droit financier, comptable, fiscal, social, commercial ou environnemental qui, dans leur volet pénal, désignent nommément l’auteur responsable de l’infraction. La cour reprend littéralement cet extrait de doctrine et en conclut que le non-paiement de la rémunération est un fait commis et maintenu en pleine connaissance de cause, malgré les mises en demeure adressées. Il ne s’agit pas de simples négligences.

Par ailleurs, l’intéressé n’était nullement tenu de déposer plainte afin de mettre en cause la responsabilité pénale.

Enfin, en ce qui concerne la cause de justification, la cour rappelle que celle-ci ne peut résulter que d’un événement indépendant de la volonté humaine et que celle-ci n’a pu ni prévoir ni conjurer, ce qui ne peut être assimilé à des difficultés financières d’une A.S.B.L.

En conclusion, elle admet l’action en dommages et intérêts et condamne aux sommes réclamées, majorées des intérêts compensatoires depuis la fin de la rupture des relations contractuelles jusqu’à la date de la citation. Les intérêts moratoires (judiciaires) sont dus depuis celle-ci.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la cour du travail rappelle en des termes clairs et concis les conditions de mise en cause de la responsabilité pénale d’un mandataire d’une personne morale en cas de non-paiement de rémunération : le fait matériel est seul requis, aucun élément intentionnel n’étant exigé et la cause de justification qui pourrait être invoquée doit être une force majeure ou une erreur invincible.


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