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Mise à disposition de véhicules de société et taxe CO2

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 24 août 2011, R.G. 2008/AB/51.380

Mis en ligne le mardi 27 décembre 2011


Cour du travail de Bruxelles, 24 août 2011, R.G. 2008/AB/51.380

Dans un arrêt du 24 août 2011, la Cour du travail de Bruxelles donne quelques éclaircissements sur l’utilisation privée ou non de voitures de société et les conditions dans lesquelles la taxe CO2 peut être réclamée par l’ONSS.

Les faits

Une société met à disposition de certains de ses techniciens des véhicules sur lesquels l’ONSS prélève la taxe de cotisation, dite « taxe CO2 ».

La société conteste celle-ci et introduit une procédure devant le tribunal du travail en restitution d’indu, portant sur les montants versés au titre de cotisations sur les véhicules ainsi mis à disposition de ses membres du personnel.

L’ONSS introduit à titre reconventionnel une demande de condamnation au paiement de la cotisation de solidarité.

La décision du tribunal

Par jugement du 27 février 2008, le tribunal fait partiellement droit aux deux demandes, tenant compte de la loi-programme du 27 décembre 2005 (M.B. 30.12.2005), constatant que la cotisation de solidarité n’est pas due sur les véhicules de société utilitaires mis à disposition des techniciens et que la restitution de l’indu est, en conséquence, fondée jusqu’au 30 juin 2005, mais que la cotisation est due à partir du 1er juillet 2005. Le tribunal ordonne une réouverture des débats en ce qui concerne les décomptes.

La décision de la cour

La cour du travail a rendu un arrêt interlocutoire en date du 25 mars 2010, aux fins de permettre aux parties de débattre de certaines questions, étant notamment (i) en droit : de l’usage « non exclusivement professionnel » des véhicules, pour ce qui est des trajets domicile/lieu de travail avant la loi du 27 décembre 2005 et (ii) en fait : du caractère itinérant ou non du personnel, ainsi que de l’utilisation des véhicules utilitaires pour les trajets domicile/lieu de travail.

Position des parties dans le cadre de la réouverture des débats

La société répond à la question de droit ainsi qu’à la demande d’explication de fait comme suit : pour la période non visée par l’article 85 de la loi-programme du 27 décembre 2005, il faut se référer à l’article 38, § 3quater de la loi du 29 juin 1981 et il n’est pas établi que l’expression « usage autre que strictement professionnel » qui y figure englobait les trajets domicile/lieu de travail, de surcroît lorsqu’il s’agit de travailleurs non sédentaires ou itinérants avec un véhicule utilitaire ; même à supposer que ces trajets aient été visés dans l’expression susdite à partir du 1er janvier 2005, les autres trajets effectués par les travailleurs itinérants ou non sédentaires (c’est-à-dire domicile/client ou chantiers) ne constituent pas des trajets privés mais professionnels. En l’espèce, la société considère établir que les trajets parcourus concernaient le domicile et les chantiers – et inversement – et que le caractère professionnel de ceux-ci est dès lors avéré : il s’agit d’un usage strictement professionnel des véhicules. En conséquence, lesdits véhicules ne sont pas concernés par la taxe CO2.

Quant à l’ONSS, il considère que la loi du 27 décembre 2005 a un caractère interprétatif et, sur les éléments de l’espèce, conteste que le caractère itinérant des travailleurs concernés soit établi dans sa généralité, les trajets domicile/lieu de travail devant en tout état de cause être écartés.

Décision de la cour

La cour du travail rappelle les conditions de débition de la cotisation de solidarité, telle qu’introduite par la loi-programme du 27 décembre 2004 (M.B. 31.12.2004). Elle vise tout véhicule mis à disposition du travailleur de manière directe ou indirecte par un employeur, le véhicule étant également destiné à un usage autre que strictement professionnel, et ce indépendamment de toute contribution financière éventuelle du travailleur dans le financement ou l’utilisation de celui-ci. Une présomption légale a été introduite par la loi du 20 juillet 2005, selon laquelle tout véhicule, immatriculé au nom de l’employeur ou faisant l’objet d’un contrat de location ou de leasing ou encore de tout autre contrat d’utilisation de véhicules, est présumé mis à la disposition du travailleur pour un usage autre que strictement professionnel, sauf si l’employeur établit soit que l’usage autre que strictement professionnel est exclusivement le fait d’une personne qui ne ressortit pas au champ d’application de la sécurité sociale des travailleurs salariés, soit que l’usage du véhicule est strictement professionnel. Les termes « usage autre que strictement professionnel » ont été précisés par la loi-programme du 27 décembre 2005 comme visant entre autres le véhicule mis à disposition du travailleur pour parcourir le trajet entre son domicile et le lieu de travail.

En l’espèce, la cour relève que le litige porte sur la période à partir du 1er juillet 2005, période où la présomption légale trouve à s’appliquer et que la société estime être en mesure de renverser la présomption d’usage privé, ce que l’ONSS conteste. Pour la cour, en application de la présomption légale, la société doit dès lors établir que l’usage du véhicule mis à disposition est strictement professionnel et que, dès lors, il n’est pas soumis à la taxe CO2.

Des présomptions de l’homme peuvent être invoquées, ce que conteste l’ONSS. Or, la cour a déjà tranché cette question dans son arrêt interlocutoire, dans lequel elle a rappelé les principes en la matière, étant que les présomptions de l’homme sont abandonnées aux lumières et à la prudence du magistrat, qui ne doit admettre que les présomptions graves, précises et concordantes. La cour retient qu’elle a reconnu une convergence d’éléments allant dans le sens d’un usage exclusivement professionnel des véhicules par les techniciens de la société (techniciens de terrain) : petite camionnette avec le logo de la société, responsabilité dans le chef des techniciens de faire des dépannages et des déplacements avec du matériel, etc.

L’ensemble des éléments de fait relevés par la cour dans son arrêt interlocutoire n’avait cependant pas été considéré comme suffisant pour démontrer l’usage exclusivement professionnel du véhicule.

Elle se reporte alors à l’article 17, 1° de la loi du 3 juillet 1978 et rappelle que le trajet domicile/lieu de travail ne relève pas de l’exécution du contrat de travail. Sauf convention contraire, le coût de ce trajet n’incombe pas à l’employeur. Si l’employeur met un véhicule à disposition du travailleur pour effectuer ces trajets, il s’agit de l’usage privé. Par contre, si le travailleur doit se rendre chez des clients désignés par l’employeur pour y effectuer des tâches convenues, il en est autrement. L’ONSS ne conteste pas ce point, notamment pour les contrôleurs de chantiers, ainsi que pour les autres travailleurs non sédentaires, mais considère (dans ses Instructions intermédiaires produites à son dossier) que, si un travailleur non sédentaire travaille effectivement dans l’entreprise quelques heures ou quelques jours de façon régulière et qu’il ne roule pas seulement de temps à autre jusqu’au siège d’exploitation pour y recevoir des missions ou un briefing, l’utilisation du véhicule est considérée comme un déplacement domicile/lieu de travail.

La cour examine dès lors plus en profondeur la nature de l’activité exercée. La société est une société de maintenance, d’entretien et de dépannage d’installations de bâtiments. Dans les contrats de travail, le lieu d’embauche est le lieu du chantier ou des chantiers où le travailleur exécute ses tâches, un secteur géographique étant attribué à chaque technicien et ceux-ci ne se rendant pas quotidiennement au siège de la société. La cour souligne encore le caractère variable des chantiers, attribués selon un planning, et rappelle en outre le caractère utilitaire du véhicule, qui contient des stocks de pièces détachées, un coffre à outils, etc. Enfin, dans les contrats de travail, le véhicule de société est repris comme un outil de travail dont la restitution peut être réclamée en cas de congés ou de maladie.

La cour estime pouvoir en conclure que, ce faisant, la société établit que les travailleurs concernés sont itinérants et qu’ils utilisent le véhicule utilitaire mis à leur disposition pour se rendre auprès des clients (ainsi que dans les divers chantiers) afin d’y prester leur activité. Il n’y a dès lors pas d’usage privé du véhicule pour effectuer le trajet entre le domicile et le lieu de travail.

La société rapporte dès lors la preuve, d’une part, des fins uniquement professionnelles de la mise à disposition des véhicules et, d’autre part, de l’existence d’un système cohérent d’interdiction de tout usage privé de ceux-ci ainsi que du contrôle sérieux de cet usage.

En conséquence, la cotisation n’est pas due.

Intérêt de la décision

L’arrêt annoté rappelle l’existence de la présomption introduite par la loi du 20 juillet 2005, permettant à l’employeur d’établir le caractère strictement professionnel de l’usage d’un véhicule d’entreprise mis à disposition d’un travailleur et l’absence, dès lors, de cotisation CO2 sur ces véhicules, ainsi que les précisions apportées par la loi-programme du 27 décembre 2005 sur la notion d’usage autre que strictement professionnel.


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