Terralaboris asbl

Allocations familiales des travailleurs salariés : règles de prescription en matière de récupération d’indu

Commentaire de C. trav. Mons, 19 octobre 2011, R.G. 2004/AM/18.917

Mis en ligne le mardi 24 janvier 2012


Cour du travail de Mons, 19 octobre 2011, R.G. n° 2004/AM/18.917

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 19 octobre, la Cour du travail de Mons rappelle l’articulation des règles applicables en matière de prescription, en cas de récupération d’indu d’allocations familiales dans le régime des travailleurs salariés, et ce eu égard à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle et à la loi-programme du 20 juillet 2006.

Les faits

Un couple a quatre enfants. La mère réside à l’étranger avec ses enfants et le père est en Belgique et reçoit régulièrement les allocations familiales pour ceux-ci.

Suite à la réclamation introduite par la mère afin de percevoir directement les allocations familiales, une demande d’information lui est adressée par la Caisse, en vue de connaître la date exacte de son arrivée à l’étranger ainsi que les éléments relatifs à l’identité des enfants en cause.

L’enquête de police effectuée confirme que le domicile est en Belgique mais que l’intéressée n’y a effectivement jamais résidé, étant essentiellement à l’étranger. Celle-ci ne revient que quelques mois par an pour vivre auprès de son époux et, au fil du temps, c’est même lui qui a été amené à se rendre à l’étranger pour y rendre visite à sa famille. Une radiation d’office intervient, dès lors, quant à la domiciliation de la mère à son adresse en Belgique.

Une demande de remboursement d’indu pour une période de cinq ans est adressée au père, qui, dans un premier temps, rembourse de manière échelonnée. Il cessera bientôt tout payement. Des mises en demeure sont adressées par la Caisse et celle-ci dépose en fin de compte une requête auprès du tribunal du travail de Charleroi. La requête est déposée le 25 février 1997 et la période visée s’étend du 1er septembre 1982 au 31 octobre 1985.

Décision du tribunal du travail

Le tribunal du travail rend un jugement le 25 novembre 2003. Il fixe notamment la date jusqu’à laquelle la mère et les enfants ont résidé en Belgique et aborde la question essentielle, étant la règle de prescription applicable (étant l’article 120bis des lois coordonnées).

En ce qui concerne les éléments d’extranéité, le tribunal relève que la mère est de nationalité espagnole et a résidé pendant la période en cause en Espagne et que le père est marocain. Le premier juge relève que l’accord de coopération entre la CEE et la Royaume du Maroc (voir règlement CEE du 16/09/1978) dispose que les prestations familiales peuvent être versées pour les enfants résidant à l’intérieur de la communauté (art. 41.3) mais que le conseil de coopération n’a pas concrétisé les mesures contenues dans l’accord, ce qui rend, à cet égard, les prestations indues.

Le tribunal considère également que la demande reconventionnelle introduite par le père (en remboursement de ce qui avait été payé) est prescrite, au contraire de la demande principale.

Les arrêts de la cour du travail

La cour du travail a rendu un premier arrêt le 14 juin 2006. L’enseignement essentiel de celui-ci est qu’elle a retenu la compatibilité de la règle de la prescription contenue à l’article 2248 du Code civil avec le mécanisme instauré par l’article 120bis des lois coordonnées.

La réouverture des débats a été ordonnée afin notamment de permettre aux parties de conclure sur les conséquences de l’arrêt rendu par la Cour d’arbitrage le 19 janvier 2005 (arrêt n° 13/2005). Elle a notamment demandé de conclure sur la possibilité, suite à cet arrêt, d’appliquer un délai de prescription plus court, qui serait celui fixé à l’article 30, § 1er de la loi du 29 juin 1981 établissant les principes généraux de la sécurité sociale des travailleurs salariés, soit le délai de trois ans.

Dans la suite de la procédure, lors d’une audience de plaidoiries en 2011, la cour a également demandé aux parties de conclure sur l’application de la réglementation européenne au litige, l’Espagne ayant intégré l’Union européenne après la période litigieuse.

La décision de la cour du travail dans son arrêt du 19 octobre 2011

En ce qui concerne l’inapplicabilité de la règlementation européenne au présent litige, la cour reprend d’abord la Convention belgo-marocaine (Convention générale sur la sécurité sociale entre la Belgique et le Maroc - loi du 20 juillet 1970) pour l’écarter : celle-ci n’est en effet pas d’application, les enfants ne résidant pas au Maroc (la convention permettant le paiement des allocations familiales pour les enfants de travailleurs de nationalité marocaine occupés en Belgique dont les enfants résident au Maroc). De même, le règlement CEE n° 1408/71, qui prévoit l’égalité de traitement et l’interdiction de toute discrimination en matière de sécurité sociale pour les ressortissants européens n’est applicable qu’aux ressortissants de l’un des Etats membres de l’Union. Enfin, l’accord de coopération entre la CEE et le Royaume du Maroc (qui forme le règlement CEE du Conseil du 16 septembre 1978) vise les prestations familiales accordées pour les membres de la famille résidant à l’intérieur de la Communauté, ce qui ne peut être appliqué à un pays actuellement membre mais qui l’est devenu postérieurement à la période litigieuse.

Il convient dès lors d’examiner les règles de prescription eu égard à l’article 120bis des lois coordonnées et de l’article 2248 du Code civil.

Le premier prévoit une prescription de cinq ans et le second, dont l’application est autorisée par le texte du premier, dispose que la prescription est interrompue par la reconnaissance que le débiteur ou le possesseur fait du droit de celui contre lequel il prescrivait.

La cour en conclut que la prescription peut être, en cette matière, interrompue conformément au prescrit de l’article 2248 du Code civil.

La cour analyse les actes interruptifs de prescription et particulièrement les paiements intervenus, qui satisfont à la condition légale. En sa mouture à l’époque, l’article 120bis prévoyait que l’action en répétition se prescrivait par cinq ans à partir de la date à laquelle le paiement avait été effectué et que la question de la conformité de cette disposition à la Constitution à été soumise à la Cour constitutionnelle. C’est l’arrêt du 19 janvier 2005 (voir J.T.T., 2005, p.161). Dans cet arrêt, la Cour constitutionnelle a conclu à la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, et ce notamment eu égard à la règle générale fixée dans la loi du 29 juin 1981, qui prévoit un délai de prescription de trois ans pouvant être réduit à six mois (erreur d’institution) ou allongé à cinq ans (fraude, dol ou manœuvres frauduleuses). Dans la suite de cet arrêt, qui avait conclu à l’inconstitutionnalité de l’article 120bis, la loi-programme du 20 juillet 2006 a modifié l’article 120bis (article 35 de la loi-programme) en posant le principe du délai de trois ans pour la répétition des prestations familiales indument payées, délai prenant cours à la date à laquelle le paiement a été effectué.

Le délai est ainsi porté à cinq ans, actuellement, en cas de déclarations fausses ou sciemment incomplètes ou de manœuvres frauduleuses et à un an en cas d’erreur de l’organisme d’allocations familiales, et que l’assuré social ne pouvait pas savoir qu’il n’avait pas ou plus droit à la prestation en cause.

Cette nouvelle disposition étant une règle de procédure, elle trouve à s’appliquer au procès en cours au moment de son entrée en vigueur et se pose, dès lors, la question de savoir si le père peut ici se prévaloir de ce délai de trois ans.

Dans un arrêt du 12 décembre 2005 (Cass., 12 déc. 2005, S.040172.F), la Cour de cassation a pris position sur la question. La cour analyse longuement cet arrêt en relevant qu’elle a jugé que devaient être examinées les circonstances propres à la cause établissant que l’intéressée (en l’occurrence) savait ou devait savoir ne plus avoir droit à la prestation sociale querellée (étant une pension de survie).

Appliquant ce principe en l’espèce, la cour du travail constate qu’il n’est pas établi que l’intéressé savait ne plus avoir droit aux allocations familiales ou qu’il devait nécessairement être conscient qu’il n’y avait plus droit compte tenu du fait que ses enfants n’étaient plus élevés en Belgique (non plus que dans un autre pays de l’Union européenne). Le délai de prescription applicable est dès lors le délai de trois ans.

Intérêt de la décision

Dans ce très intéressant arrêt, la Cour du travail de Mons revient sur l’articulation entre les articles 2248 du Code civil et 120bis des lois coordonnées relatives aux allocations familiales pour travailleurs salariés. Elle rappelle par ailleurs l’enseignement de la Cour de cassation en ce qui concerne l’interprétation à donner à l’article 120bis, étant que l’examen de la situation doit se faire dans chaque cas d’espèce et que s’il n’est pas établi que l’assuré social pouvait, en fonction des circonstances de l’espèce, normalement se rendre compte du fait qu’il n’avait pas droit à la prestation litigieuse, c’est la règle de trois ans qu’il convient de retenir pour la prescription.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be