Terralaboris asbl

Convention de rupture d’un contrat de travail et vice de consentement

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 18 octobre 2011, R.G. 2009/AB/52.636

Mis en ligne le jeudi 23 février 2012


Cour du travail de Bruxelles, 18 octobre 2011, R.G. n° 2009/AB/52.636

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 18 octobre 2011, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les conditions imposées par l’article 1112 du Code civil pour qu’il y ait violence constitutive d’un vice de consentement.

Les faits

Une éducatrice au service d’une asbl est convoquée à un entretien chez sa directrice, et ce en présence de sa supérieure. Des griefs lui sont faits et l’asbl lui annonce la rupture du contrat de travail, avec un préavis de trois mois.

Le même jour, les parties signent une convention par laquelle, l’asbl ayant communiqué la décision de mettre fin au contrat de travail, diverses modalités sont convenues entre les parties concernant le préavis (dispense des prestations). Le congé est alors notifié par lettre recommandée.

L’employée va contester, en justice, la validité de la convention. Elle introduit une action devant le tribunal du travail demandant de la déclarer nulle (et subsidiairement résolue aux torts de la société), de lui allouer une indemnité compensatoire de préavis ainsi qu’une indemnité pour licenciement abusif.

Décision du tribunal du travail

Par jugement du 13 octobre 2009, le Tribunal du travail de Bruxelles déclare la demande d’annulation (et subsidiairement de résolution) de la convention non fondée et considère la demande d’indemnité pour licenciement abusif irrecevable. L’intéressée, qui a abandonné sa demande relative à une indemnité de préavis, est condamnée aux dépens.

Position des parties en appel

L’appelante réitère sa demande d’entendre déclarer nulle la convention signée et subsidiairement résolue aux torts de l’asbl. Elle maintient son chef de demande relatif à une indemnité de l’ordre de 19.000€ pour abus de droit.

L’asbl demande confirmation du jugement dans toutes ses dispositions.

Décision de la cour du travail

La cour examine la validité de la convention à la fois eu égard à la loi du 3 juillet 1978 et aux dispositions du Code civil (articles 1112 et suivants) relatives aux vices de consentement.

En ce qui concerne l’article 82, § 3 de la loi du 3 juillet 1978, la cour relève que la convention a été conclue après la notification du licenciement et qu’elle est dès lors valable au regard de cette disposition légale en ce qu’elle a fixé la durée du préavis. La cour rappelle que, dès la notification du congé, le travailleur peut valablement renoncer à tous les droits nés du contrat de travail et même à ceux qui découlent de dispositions impératives, vu qu’il ne se trouve plus à ce moment dans la position où la crainte de perdre son emploi pourrait infléchir sa volonté.

La renonciation contenue dans la convention ne portait donc pas sur un droit qui n’était pas encore né, le droit de réclamer une indemnité pour abus de droit de licencier existant dès l’annonce du licenciement.

Sur le plan du droit civil, c’est l’article 1112, relatif à la violence, qui est examiné. Selon cette disposition, il y a vice de consentement lorsque la violence est de nature à faire impression sur une personne raisonnable et qu’elle peut lui inspirer la crainte d’exposer sa personne ou sa fortune à un mal considérable et présent. Interviennent dans cette appréciation l’âge, le sexe et la condition des personnes.

La cour du travail rappelle la jurisprudence bien établie de la Cour de cassation sur les conditions requises pour qu’il y ait violence. Il faut que (i) la violence ait été déterminante du consentement, (ii) qu’elle soit de nature à faire impression sur la personne concernée, (iii) qu’elle fasse naître la crainte d’un mal considérable, physique ou moral et (iv) qu’elle soit injuste ou illicite.

L’article 1114 du Code civil précise que ne présente pas un caractère injuste ou illicite l’existence d’un rapport de subordination morale ou économique normale. Dans un arrêt du 23 mars 1998 (S.970031.F), la Cour de cassation a rappelé que le fait pour un employeur d’obtenir la démission d’un travailleur sous menace d’un licenciement pour motif grave – le fait reproché n’ayant cependant pas ce caractère – n’est pas une violence morale s’il n’est pas établi que l’employeur aurait fait un usage abusif de ses droits au moment où il a menacé le travailleur de licenciement pour motif grave. Inversement, la Cour de cassation a retenu dans un arrêt du 24 mars 2003 (S.020092.F) que, dès lors que les conditions dans lesquelles la signature du travailleur a été obtenue par l’employeur sont constitutives de violence injuste et illicite, il importe peu que les faits soient ou non constitutifs d’un motif grave.

En conséquence, la menace d’un licenciement pour motif grave – outre qu’elle n’est pas établie en l’espèce – ne peut constituer la violence morale requise au sens de l’article 1112 du Code civil, puisqu’il est exigé que le consentement du travailleur ait été obtenu dans des conditions injustes ou illicites et que le fait d’énoncer des reproches pour décider du licenciement n’est pas davantage constitutif de violence morale.

En l’espèce rien n’établit le caractère injuste ou illicite de la convention, qui a été rédigée dans des conditions normales. Aucune contrainte n’est retenue et la cour relève même qu’il apparait des éléments de fait qu’un délai de réflexion semble avoir été proposé à l’intéressée et qu’elle l’a refusé.

En conclusion, la convention est valable.

Celle-ci contenant une renonciation, la demande en justice est irrecevable, la cour confirmant ainsi l’appréciation du tribunal.

Intérêt de la décision

Cette décision contient un petit rappel des conditions requises pour que puisse être annulée une convention (en l’occurrence convention de rupture) pour vice de consentement. Parmi ceux-ci c’est généralement la violence morale qui est invoquée et la cour du travail rappelle ici les conditions strictes exigées par la Cour de cassation pour que ce vice de consentement puisse être retenu. Il est intéressant de constater que la menace d’un licenciement pour motif grave, en tant que telle, ne peut constituer la violence morale requise.


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