Terralaboris asbl

Résolution judiciaire d’un contrat de travail suite à des faits de harcèlement : indemnisation

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 15 septembre 2010 et 14 décembre 2011, R.G. 2009/AB/51.708

Mis en ligne le mardi 6 mars 2012


Cour du travail de Bruxelles, 15 septembre 2010 et 14 décembre 2011, R.G. n° 2009/AB/51.708

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 14 décembre 2011, la Cour du travail de Bruxelles fixe la réparation due suite à des faits de harcèlement au travail, ayant entraîné la résolution judiciaire du contrat aux torts de l’employeur.

Les faits

Une éducatrice affectée par son employeur, CPAS, à une institution d’aide à la jeunesse depuis 1998 voit se succéder diverses directrices, à la tête de son institution. S’installe une crise institutionnelle très grave.

Divers événements se produisent à partir de l’année 2003, événements que l’éducatrice va progressivement ressentir comme des vexations gratuites.

Suite à l’intensification du conflit avec la directrice de l’établissement et le chef éducateur, l’intéressée va vivre divers incidents. Son mal-être va croissant à partir du mois de janvier 2007 et elle tombe en incapacité de travail à partir du 1er mars.

Elle souffre alors d’anxio-dépression sévère, mise en relation avec un processus de harcèlement au travail. Cette situation est relatée dans des rapports de médecins et psychiatres, ainsi que par le médecin-conseil de l’organisme assureur. Une procédure est introduite par l’intéressée en résolution judiciaire du contrat, procédure qui aboutit à un jugement du tribunal du travail de Bruxelles du 15 décembre 2008 la déboutant.

Les décisions de la cour du travail

La cour du travail rend deux arrêts, l’un en date du 15 septembre 2010, sur la résolution judiciaire et l’autre, le 14 décembre 2011, sur la réparation.

L’arrêt du 15 septembre 2010

Dans un imposant arrêt reprenant de manière fouillée tous les éléments du litige, la Cour du travail de Bruxelles pointe chacun des éléments invoqués comme faits de harcèlement.

Si certains faits ne sont pas suffisamment établis, elle retient en tout cas un manque de soutien de la part de la hiérarchie, ainsi que le défaut de prévoyance et de précaution de celle-ci dans l’organisation du travail, qui implique l’accompagnement de jeunes enfants. La cour relève que l’éducatrice a agi conformément à ses obligations légales et à sa déontologie. La cour va rappeler les dispositions légales et essentiellement celles relatives à la prévention du harcèlement moral au travail. L’employeur est en effet tenu en vertu de l’article 32quater de la loi du 4 août 1996, de déterminer les mesures à prendre pour protéger les travailleurs contre la violence au travail et le harcèlement. Après avoir énuméré en quoi consistent les mesures de prévention reprises par la loi, la cour reprend les critères du harcèlement tels que dégagés en doctrine et en jurisprudence. Elle se réfère plus particulièrement à un arrêt de la même cour (C. trav. Bruxelles, 19 août 2008, J.T.T., 2009, p. 156 à 160) qui, s’il a constaté la difficulté de distinguer une situation de harcèlement moral d’un simple conflit de personnes, a mis en exergue les manifestations de harcèlement moral et les conséquences de celui-ci sur les personnes harcelées (malaise, peur, incompréhension, impossibilité de discuter).

La cour reprend également les réflexions doctrinales sur la question et se livre à une analyse très détaillée des critères d’appréciation du harcèlement par le juge. Appliquant ces dispositions au cas d’espèce, elle aboutit à la conclusion qu’il y a eu des conduites abusives et répétées, qui sont allées croissant à partir du moment où l’éducatrice a porté à la connaissance de sa direction d’importants problèmes (amiante, sécurité incendie, encadrement,...). Elle constate que l’intéressée s’est heurtée à partir de février 2006 à une hostilité manifeste et dont le caractère était profondément déstabilisant et destructeur. Elle en conclut qu’il y a eu entre février 2006 et février 2007 inclus un harcèlement moral au travail dont les effets se prolongent encore au moment où la cour a dû connaitre du litige.

En conséquence, la cour fait droit à la demande de résolution judiciaire du contrat de travail, non sans avoir rappelé le dispositif de l’article 1184 du Code civil et son interprétation en doctrine et en jurisprudence. Elle retient la faute de l’employeur (occupation au travail dans des conditions non conformes au bien-être, absence de respect des dispositions inscrites au règlement de travail, mise en œuvre tardive des mesures de prévention). Pour la cour il s’agit de manquements graves. Elle va dès lors prononcer la résolution judiciaire du contrat à la date du 13 mars 2008, étant celle où l’INAMI a constaté que l’intéressée était définitivement inapte au travail, et ce en raison du harcèlement moral dont elle avait été victime.

En ce qui concerne le dommage, la cour ordonne la réouverture des débats.

L’arrêt du 14 décembre 2011

Cet arrêt se prononce essentiellement sur les chefs de demande relatifs à la rémunération pour la période de mars 2007 au 13 mars 2008, sur l’indemnité compensatoire de préavis, ainsi que sur le dommage consécutif à l’atteinte à l’intégrité physique et psychique.

Sur la rémunération, pour l’année avant la rupture, la cour constate qu’il y a un lien de causalité entre les fautes retenues à charge du CPAS et l’incapacité de travail. La rémunération est dès lors due (hors la rémunération mensuelle garantie et le montant correspondant aux indemnités d’incapacité primaires payées par l’organisme assureur). Il s’agit de la réparation du préjudice matériel subi.

En ce qui concerne le préjudice subi suite à la résolution judiciaire du contrat de travail, la cour considère cette demande comme fondée dans son principe et fixe les dommages et intérêts à l’équivalent du délai de préavis auquel l’éducatrice aurait eu droit en cas de licenciement. Il s’agit d’une indemnité de préavis de neuf mois, dont à déduire les indemnités d’incapacité perçues pendant cette même période.

Pour ce qui est de la réparation réclamée suite à l’atteinte à l’intégrité physique et psychique, en ce compris des frais de traitement thérapeutique et le dommage moral, la cour relève en premier lieu que les dommages et intérêts dus dans le cadre de la résolution judiciaire couvrent le dommage matériel et moral découlant de la rupture irrégulière du contrat, et ce à l’instar de ce qui est admis pour l’indemnité compensatoire de préavis (la cour renvoie à Cass., 26 septembre 2005, Pas., 2005, 1745). L’intéressée disposant de peu d’éléments permettant de fixer autrement son dommage, la cour retient l’évaluation forfaitaire et alloue pour les différents préjudices subis un montant de 4.000€.

Elle rejette cependant la demande d’indemnité de protection, celle-ci ayant été considérée dans l’arrêt du 15 septembre 2010 comme non due dans l’hypothèse de la résolution judiciaire.

Intérêt de la décision

Cette affaire présente deux volets particulièrement importants étant, d’une part dans le premier arrêt l’examen fouillé des circonstances professionnelles ayant pu entraîner la reconnaissance de faits de harcèlement dans le cadre d’un conflit institutionnel grave et, d’autre part, dans le second le montant de la réparation admissible. Dans la réparation du préjudice matériel, la cour retient qu’il y a lieu de faire venir en déduction de celui-ci l’indemnisation perçue dans le cadre du régime de soins de santé et indemnités.


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