Terralaboris asbl

Prestations familiales garanties : la Cour constitutionnelle de nouveau interrogée

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 22 décembre 2011, R.G. 2010/AB/333

Mis en ligne le jeudi 12 avril 2012


Cour du travail de Bruxelles, 22 décembre 2011, R.G. n° 2010/AB/333

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 22 décembre 2011, la Cour du travail de Bruxelles pose une question à la Cour constitutionnelle : deux enfants de la même mère, dont l’un est belge et l’autre non, ne sont-ils pas victimes d’une discrimination en matière de prestations familiales garanties, dès lors que le premier en bénéficie et l’autre non ?

Les faits

Une personne de nationalité congolaise arrive en Belgique en octobre 2004. Elle introduit une demande d’asile. Elle a un premier enfant né au Congo en novembre 2003. Un second enfant nait en janvier 2006. Il est belge et son père l’est également.

La mère acquiert le droit de séjour en Belgique en mars 2008 et sollicite à ce moment le bénéfice des prestations familiales garanties.

L’ONAFTS refuse par courrier du 4 avril 2008, dans lequel il conteste que la condition de cinq ans de séjour effectif en Belgique soit remplie. L’intéressée introduit une demande de dérogation, qui est refusée.

Ayant entrepris une activité salariée, elle ouvre plus tard le droit à des allocations familiales dans ce secteur pendant six mois. Elle réintroduit, en 2009, une demande de prestations familiales garanties, à laquelle il est fait droit.

Elle forme, cependant, un recours en ce qui concerne la première décision.

Décision du tribunal

Par jugement du 2 mars 2010, le Tribunal du travail de Bruxelles condamne l’ONAFTS à payer les prestations familiales garanties pour l’enfant né en Belgique, et ce pour la période litigieuse, de six mois en 2008.

Position des parties devant la cour

La demanderesse interjette appel, considérant que le droit doit également être ouvert pour son fils ainé, né au Congo en 2003.

L’ONAFTS demande, pour sa part, qu’une question soit posée à la Cour constitutionnelle.

Décision de la cour

La cour rappelle les dispositions légales applicables, étant les articles 1 et 2 de la loi du 20 juillet 1971 instituant des prestations familiales garanties applicables avant la modification légale introduite le 1er mars 2009.

Ces dispositions prévoyaient notamment l’obligation de résidence non interrompue pendant cinq ans, dans le chef de la personne physique qui a l’enfant en charge et l’article 2 prévoyait également, dans les conditions à satisfaire par l’enfant, l’obligation d’avoir un droit de séjour.

La cour examine, dans ce contexte, la condition de résidence dans le chef de la mère, ainsi que la différence de traitement possible entre les enfants belges et les enfants étrangers.

En ce qui concerne la mère, la cour va rejeter, dans un premier temps, les arguments tirés par celle-ci du droit européen relatif au droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des Etats membres, et ce au motif qu’il n’y pas eu de déplacement au sein de l’Union européenne. Le litige concerne une situation purement interne et, à supposer que la question puisse être d’un intérêt pour le litige, la cour rappelle que les citoyens de l’Union qui n’ont jamais fait usage de leur droit à la libre circulation et qui ont toujours séjourné dans l’Etat membre dont ils ont la nationalité ne relèvent pas de la notion de bénéficiaire au sens de la directive 2004/38/CE. La cour renvoie ici au dernier arrêt de la Cour de justice (CJUE, 15 novembre 2011, aff. Dereci, C-256/11). Elle ne peut par ailleurs revendiquer la qualité d’étudiante au sens du règlement 1408/71 et elle ne peut davantage être considérée comme citoyenne européenne, n’ayant pas la nationalité d’un des Etats membres. Renvoyant plus particulièrement à l’arrêt Ruiz Zambrano (CJUE, 17 mars 2011, C-34/09), la cour relève que l’intéressée ne pourrait invoquer de droits dans ce cadre que pour son enfant belge, or ce n’est pas celui-ci qui est en cause.

En ce qui concerne la différence de traitement pouvant exister entre un enfant étranger et un enfant belge, la cour du travail renvoie aux divers arrêts rendus par la Cour constitutionnelle à cet égard, d’abord en ce qui concerne la condition de résidence ininterrompue de cinq ans appliquée aux Belges (arrêt n° 83/95 du 14 décembre 1995), l’exigence pour l’attributaire de disposer d’un droit de séjour en Belgique (arrêt n° 110/206 du 28 juin 2006) et enfin, la condition de cinq ans de résidence ininterrompue dans le chef de la personne physique qui demande les prestations familiales garanties pour un enfant né en Belgique et y résidant depuis lors (arrêt n° 62/2009 du 25 mars 2009).

La cour rappelle longuement la motivation de la Cour constitutionnelle dans ce dernier arrêt, qui a conclu à la violation des articles 10 et 11 de la Constitution dans la mesure où la condition de résidence était exigée dans le chef d’un demandeur étranger de prestations familiales garanties qui était admis ou autorisé à séjourner en Belgique alors que l’enfant dont il avait la charge est Belge et réside effectivement en Belgique (hors dispenses prévues à l’article 7 de la loi du 20 juillet 1971). Il en résulte, pour la cour du travail, que l’exigence d’une résidence ininterrompue de cinq ans est disproportionnée lorsqu’un lien suffisant avec l’Etat belge résulte de divers éléments (enfant Belge, résidence en Belgique, exigence pour l’attributaire d’être admis ou autorisé à séjourner en Belgique ou à s’y établir).

La cour rappelle encore la modification législative intervenue suite à cet arrêt par la loi du 30 décembre 2009, avec effet rétroactif au 1er mars 2009. Ceci a abouti à faire sauter la condition de résidence ininterrompue de cinq ans en cas de séjour légal de l’attributaire en Belgique, dans l’hypothèse où il s’agissait d’un enfant ressortissant d’un Etat de l’Union européenne (ou d’un Etat ayant ratifié la Charte sociale européenne). La cour rappelle encore un arrêt du 29 avril 2010 (n° 48/2010) de la Cour constitutionnelle, où celle-ci a élargi la dispense prévue, dans l’hypothèse d’un enfant citoyen européen (pour une situation antérieure à la modification légale). Il en résulte pour la cour du travail que, dans les limites de l’autorité relative renforcée de ce dernier arrêt, la condition de résidence ne peut être imposée dans l’hypothèse d’un enfant citoyen européen, et ce même pour la période avant le 1er mars 2009.

Cependant, elle constate que l’hypothèse qui lui est soumise n’a pas été envisagée dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, s’agissant de prestations familiales sollicitées en faveur d’un enfant en bas âge, ressortissant d’un Etat tiers, résidant régulièrement en Belgique, ayant une sœur belge pour qui des prestations familiales garanties sont perçues.

Il y a dès lors lieu, pour la cour du travail, de s’interroger sur l’exigence de la condition de résidence eu égard aux liens qui rattachent l’enfant étranger à l’Etat belge. En conséquence, la question est posée de la différence de traitement entre les deux enfants de la même mère, l’un étant Belge et l’autre étranger.

Intérêt de la décision

L’espèce soumise à la cour du travail est intéressante, puisque, en présence de deux enfants dans la même situation (hors nationalité de l’un des deux), les prestations familiales sont accordées ou ne le sont pas.

L’arrêt se fonde, par ailleurs, sur une abondante jurisprudence récente à la fois de la Cour européenne des droits de l’homme, lorsqu’elle envisage les liens très forts existant entre l’enfant et la Belgique, ainsi que de la Cour de justice.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be