Terralaboris asbl

Conditions de réparation à partir de 65 ans

Commentaire de C. const., 9 février 2012, arrêt n° 17/2012

Mis en ligne le jeudi 12 avril 2012


Cour constitutionnelle, 9 février 2012, RG n° 5105, Arrêt n° 17/2012

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 9 février 2012, la Cour constitutionnelle considère que l’article 35bis des lois coordonnées le 3 juin 1970 (avant la modification de la loi-programme du 23 décembre 2009) n’est pas source de discrimination.

Les faits

Un mineur, atteint de silicose est indemnisé par le Fonds des maladies professionnelles à concurrence de 35% (taux réparti den 25% d’incapacité physique et 10% de facteurs socio-économiques). A l’âge de 71 ans, il introduit une demande d’aggravation et une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Bruxelles, suite au refus du FMP. Le tribunal désigne un expert, qui porte le taux d’incapacité physique à 30%.

En conséquence, entérinant le rapport d’expertise, le tribunal du travail fixe le taux global à 40%, soit 30% d’incapacité physique et 10% pour les facteurs socio-économiques.

Le FMP interjette appel et la Cour du travail de Bruxelles pose, dans un arrêt du 7 février 2011, deux questions à la Cour constitutionnelle. L’affaire porte sur les textes en vigueur avant la modification introduite par la loi-programme du 23 décembre 2009.

Les questions préjudicielles

Les questions préjudicielles portent essentiellement sur une discrimination d’une part avec le régime des accidents du travail (secteur privé et secteur public) et avec celui des maladies professionnelles (secteur public).

Position des parties devant la Cour constitutionnelle

La veuve du demandeur (celui-ci étant décédé entre-temps) rappelle la jurisprudence de la Cour de cassation avant l’introduction de l’article 35bis par la loi du 30 mars 1994. La Cour de cassation était favorable à la prise en compte des facteurs socio-économiques après l’âge de 65 ans, estimant qu’il n’y avait pas lieu de se limiter à l’indemnisation de la seule incapacité physiologique. L’article 35bis a été introduit afin de contrer cette jurisprudence et, après des modifications successives, la loi-programme du 23 décembre 2009 a rétabli entièrement les facteurs socio-économiques en cas de revision après 65 ans.

La demanderesse rappelle également la Convention n° 18 de l’O.I.T. sur les maladies professionnelles, signée par la Belgique, impliquant que celle-ci s’est engagée à accorder une réparation qui ne peut être inférieure à celle existant dans le régime des accidents du travail.

Elle souligne que les deux régimes (accident du travail et maladie professionnelle) présentent de très nombreuses similitudes tant en ce qui concerne l’évaluation que la réparation du dommage subi et que, eu égard en outre au caractère forfaitaire du mode d’indemnisation, la victime – qui se voit supprimer tout facteur socio-économique après 65 ans – est pénalisée deux fois.

En ce qui concerne la comparabilité de la situation avec la réparation des maladies professionnelles dans le secteur public, elle considère que la différence de traitement est dépourvue de toute justification, la limitation de l’article 35bis n’ayant pas son pendant dans celui-ci.

Quant au Conseil des ministres, il rappelle que la Cour a déjà rendu un arrêt en date du 6 mai 1997 (n° 26/97) concluant à l’absence de discrimination, la Cour ayant considéré que les facteurs socio-économiques ne présentent pour les victimes âgées de 65 ans et plus qu’un aspect théorique. Il expose divers éléments tendant à faire constater que les régimes comparés se distinguent par leur organisation, leur structure, leur financement et la nature de la couverture qu’ils offrent (ceci par rapport à la réparation des accidents du travail). Il considère que les dispositions invoquées (art. 23 de la Constitution, art. 1er du Premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme) ne peuvent être interprétées comme donnant droit à une prestation d’un montant déterminé. Sur l’argument tiré de la Convention n° 18 de l’O.I.T., il conclut à l’absence de violation, dans la mesure où en l’espèce les mêmes principes généraux valent dans les deux systèmes.

Sur la comparaison avec le secteur public des maladies professionnelles, il considère que les deux régimes diffèrent à plusieurs égards et qu’ils ont chacun une cohérence interne, permettant de justifier les différences observées. Le Conseil des ministres renvoie encore à d’autres arrêts de la Cour constitutionnelle dans lesquels il a été admis que les travailleurs du secteur public et ceux du secteur privé pouvaient être soumis à des régimes différents, les différences en cause étant objectives.

Décision de la Cour

La Cour rappelle l’évolution des textes, dont la dernière modification a été introduite par l’article 70 de la loi-programme du 23 décembre 2009. Le § 1er de l’article 35 dispose désormais qu’en cas de modification ou de confirmation du taux d’incapacité physique après l’âge de 65 ans, le taux correspondant à la diminution de la capacité de gain normale produite par la limitation effective des possibilités de travail sur le marché de l’emploi, telle que déterminée avant cet âge, n’est plus susceptible de modification. Ce n’est que si le taux d’incapacité permanente de travail est déterminé après l’âge de 65 ans que la diminution de la capacité de gain normale produite par la limitation effective des possibilités de travail n’est pas prise en compte dans l’évaluation.

Entré en vigueur le 1er janvier 2010, ce nouveau texte ne peut cependant pas trouver à s’appliquer. Aussi, la Cour examine-t-elle le système en vigueur avant cette modification. Elle rappelle qu’en cas de maladie professionnelle, deux éléments permettent de fixer le taux d’incapacité permanente : l’atteinte à l’intégrité physique de la victime d’une part et la diminution de sa capacité de gain normale sur le marché général du travail de l’autre. Elle souligne également que, dans un important arrêt du 11 septembre 2006 (Cass., 11 sept. 2006, Pas, 2006, n° 401), la Cour de cassation a rappelé que, si la reconnaissance d’une incapacité permanente de travail suppose certes l’existence d’une incapacité physique, le taux de cette dernière n’est pas nécessairement l’élément déterminant pour évaluer le degré de l’incapacité permanente. En d’autres termes, une incapacité physique peut être minime et entraîner une diminution de la capacité de gain importante.

Sur la première question préjudicielle, la Cour rappelle l’objectif poursuivi par le législateur lors de l’introduction de la mesure, étant de rechercher l’équilibre financier de la sécurité sociale. Les dispositions invoquées par la demanderesse n’interdisent pas, pour la Cour, au législateur d’établir des différences dans le mode de calcul des réparations tenant compte des spécificités des régimes mis en place, pour autant que les mesures adoptées puissent faire l’objet d’une justification raisonnable. La Cour rappelle les distinctions en cause et considère que la disposition en cause n’est pas en elle-même injustifiée et ne peut avoir ce caractère du fait de la modification législative intervenue en 2009.

Sur la seconde question préjudicielle, la Cour considère que la différence de traitement dans la réparation des maladies professionnelles eu égard au secteur concerné (public ou privé) repose sur un critère objectif, étant la différence de régime dans lequel la victime doit être indemnisée et la Cour reprend divers éléments qui constituent pour elle des différences objectives entre les deux catégories de travailleurs (statut des fonctionnaires, …). Elle considère que c’est au législateur qu’il appartient de décider dans le respect de l’égalité et de la non-discrimination si une plus grande équivalence est souhaitable et réalisable.

Elle répond dès lors par la négative aux deux questions posées.

Intérêt de la décision

La Cour constitutionnelle aborde ici une problématique dont une partie avait déjà fait l’objet de divers arrêts, étant la comparaison entre le système de réparation de la maladie professionnelle et celui de l’accident du travail. Elle n’avait cependant pas encore été interrogée sur la différence dans le secteur des maladies professionnelles lui-même, eu égard aux différences existantes, notamment l’absence de mesure équivalente à la limitation existant dans l’article 35bis pour l’indemnisation (en sa partie correspondant à la diminution de capacité de gain) après l’âge de 65 ans.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be