Terralaboris asbl

Quel est le délai de prescription applicable à la cotisation spéciale de sécurité sociale des travailleurs salariés ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 1er décembre 2010 et 21 décembre 2011, R.G. 2009/AB/51.997

Mis en ligne le lundi 23 avril 2012


Cour du travail de Bruxelles, 1er décembre 2010 et 21 décembre 2011, R.G. 2009/AB/51.997

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 21 décembre 2011, la Cour du travail de Bruxelles rappelle la jurisprudence récente de la Cour constitutionnelle et de la Cour de cassation sur l’incidence d’un recours fiscal en matière de prescription de cotisation spéciale de sécurité sociale.

Les faits

L’ONEm établit, en décembre 1988, une feuille de calcul relative à la cotisation spéciale due par un couple, sur la base des revenus imposables de l’année 1987, le revenu pris en compte étant supérieur à 18.000€.

Un paiement partiel est effectué et, dans le même temps, un recours fiscal est introduit.

L’affaire ne bouge plus et suite à une demande de l’ONEm auprès du Contrôle des contributions compétent, en 1994, la réponse est apportée qu’une décision est intervenue en octobre 1989, modifiant légèrement (10.000€) le revenu de base. L’ONEm effectue dès lors une nouvelle feuille de calcul, dont il ressort que le montant à payer est de l’ordre de près de 8.000€.

Une mise en demeure est envoyée en novembre 1996. L’époux fait alors valoir que l’affaire le concerne personnellement et il invoque la prescription de la cotisation.

L’affaire est introduite devant le tribunal du travail en 1998.

Le jugement du Tribunal du travail de Nivelles du 8 avril 2003

Le Tribunal du travail de Nivelles pose une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle, qui se prononcera par arrêt du 5 mai 2004.

L’arrêt de la Cour constitutionnelle du 5 mai 2004

La Cour est saisie d’une question portant sur la justification de la différence de traitement entre le recouvrement de la cotisation spéciale et celui des cotisations ordinaires de sécurité sociale.

Elle relève certaines différences, constatant que les cotisations spéciales poursuivent exclusivement un objectif de solidarité, n’ouvrant pas le droit à des avantages supplémentaires. Ces différences sont objectives mais ne peuvent justifier une différence de traitement, l’application de la prescription en droit commun à ces cotisations portant atteinte de manière disproportionnée au droit des assurés sociaux en maintenant pendant de nombreuses années leur patrimoine dans l’insécurité, et ce d’autant plus que la cotisation spéciale a un caractère exceptionnel, puisque destinée à faire face en période de crise économique aux problèmes de financement du secteur de l’assurance chômage.

Le jugement du Tribunal du travail de Nivelles du 3 février 2009

Le tribunal déclare l’action de l’ONEm prescrite, eu égard au point de départ de la prise de cours du délai de prescription.

Position des parties devant la cour du travail

L’ONEm considère que le délai de prescription ne pouvait prendre cours tant qu’il n’avait pas été statué sur la réclamation fiscale et que le montant définitif du revenu imposable n’était pas connu de lui.

L’intéressé demande confirmation du jugement, qui a conclu à la prescription de la demande.

L’arrêt de la cour du travail du 1er décembre 2010

La cour du travail reprend dans un premier temps les dispositions pertinentes de la loi du 28 décembre 1983 portant des dispositions fiscales et budgétaires et de son arrêté royal du 4 juillet 1984 relatif à l’établissement de la cotisation spéciale. L’arrêté royal précise que les personnes qui contestent l’imposition entraînant l’obligation de payer la cotisation spéciale doivent fournir à l’ONEm la preuve de l’introduction d’une réclamation ou d’un recours contre celle-ci (preuve officielle).

En ce qui concerne le délai de prescription, la loi ne précise pas celui qui est applicable à l’action de l’ONEm. La Cour de cassation est intervenue par arrêt du 6 mars 1995 (Cass., 6 mars 1995, Pas. 1995, I, p.704) pour considérer qu’en l’absence de prescription particulière prévue par un texte légal, il faut se référer à la prescription de droit commun, étant celle prévue à l’article 2262bis du Code civil : c’est le délai de trente ans, réduit à dix ans à compter du 27 juillet 1998.

Vu l’ampleur de la discussion, la Cour constitutionnelle a été saisie à diverses reprises, rendant plusieurs arrêts, dont celui du 5 mai 2004 ci-dessus. Elle a considéré, sur le point de départ de la prescription, que la différence de traitement n’était pas justifiée, au motif que le délai de prescription ne commence à courir qu’à partir du jour où l’obligation de paiement de ladite cotisation devient exigible, l’action en recouvrement étant une action personnelle au sens de l’article 2262bis, § 1er, alinéa 1er du Code civil (voir arrêts du 9 juillet 2009, n° 104/2009 et du 12 novembre 2009, n° 177/2009). La Cour en conclut que la durée du délai est de cinq ans et que, en ce qui concerne le régime applicable (dont les actes interruptifs), il faut se référer au droit commun.

Sur le point de départ, reprenant les principes relatifs à la prescription extinctive, la cour rappelle que celui-ci coà¯ncide avec la date d’exigibilité de la dette et que deux conséquences en découlent : (i) la prescription ne court pas contre celui qui se trouve dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement résultant de la loi et (ii) elle court si l’empêchement résulte d’une autre cause que la loi, ainsi l’incapacité physique du demandeur.

Dans le cas d’espèce, la cour considère que la cotisation spéciale est exigible à partir du moment où elle peut être calculée. Dès que les revenus imposables ont été enrôlés et que le rôle a été rendu exécutoire par l’administration fiscale, il y a exigibilité. La cour constate cependant une évolution des règles, étant qu’il était régulièrement jugé (voir notamment C. trav. Bruxelles, 7e ch., 10 septembre 2009, R.G. n° 51341) que le délai de prescription n’était pas suspendu par la réclamation fiscale. Elle constate cependant que la Cour de cassation a cassé cette décision par arrêt du 4 octobre 2010 (Cass., 4 octobre 2010, S.10.0006.N) et que, cet arrêt étant intervenu en cours de délibéré, elle doit rouvrir les débats, aux fins d’apprécier cette nouvelle jurisprudence.

L’arrêt de la cour du travail du 21 décembre 2011

Dans cet arrêt, la cour du travail examine essentiellement la prise de cours du délai de prescription de cinq ans et la question des intérêts de retard. La cour reprend l’arrêt de la Cour de cassation du 4 octobre 2010 (constatant également qu’elle a rendu deux autres arrêts en date des 27 juin 2011 (S.10.0016.F) et 5 septembre 2011 (S.10.0098.N)). Il s’agit d’une jurisprudence nouvelle : le délai de prescription ne peut prendre cours qu’après le dernier jour du mois suivant l’envoi de la feuille de calcul établie à la suite de la décision définitive statuant sur la réclamation fiscale. Dès lors, dans le cas d’espèce, le délai de cinq ans n’était pas échu lors de l’introduction de l’action devant le tribunal. La cour du travail retient que la solution est peu satisfaisante sur le plan de la sécurité juridique, vu l’absence d’obligation dans le chef de l’ONEm de faire diligence pour l’établissement de la feuille de calcul.

Sur les intérêts de retard, la cour rappelle que l’article 2277 du Code civil est applicable aux intérêts réclamés par l’ONEm, et ce indépendamment de la prescription elle-même applicable à la cotisation spéciale. La cour renvoie ici à un arrêt de la Cour de cassation du 2 novembre 1998 (Cass., 2 novembre 1998, Pas., 1998, I, p.467). En l’occurrence, les intérêts échus cinq ans avant l’introduction de l’action ne peuvent plus être réclamés.

Cependant, l’intéressé plaidant la lenteur exceptionnelle de l’ONEm tant au stade de la phase administrative qu’après l’introduction de la procédure judiciaire, la cour retient, avec lui, qu’il y a dépassement du délai administratif raisonnable et que celui-ci constitue une faute. En guise de réparation du dommage causé, vu la lenteur de la procédure administrative, la cour décide de l’exonération des intérêts échus à la date de l’introduction de l’affaire en justice et, pour ce qui est du déroulement de la procédure, elle rappelle sa propre jurisprudence – abondante – tirée de la celle de la Cour européenne des droits de l’homme en matière de dépassement du délai raisonnable. Elle constate que la procédure judiciaire a duré plus de treize ans et malgré sa complexité (ayant notamment donné lieu à une question préjudicielle posée à la Cour constitutionnelle et à différentes réouvertures des débats), elle conclut qu’il y a dépassement manifeste du délai raisonnable, imputable dans une certaine mesure à l’ONEm. Celui-ci est mis à charge de l’Office à concurrence de deux ans, pendant lesquels la cour ordonne la suspension des intérêts.

Intérêt de la décision

Cette affaire complexe débouche sur un constat d’insécurité juridique et retient qu’il y a lieu de s’interroger sur la conformité de la détermination du point de départ de la prescription avec l’objectif de sécurité juridique que la Cour constitutionnelle a retenu dans ses arrêts sur la question.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be