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Exercice d’une activité professionnelle et bénéfice d’une pension de conjoint séparé : délai de prescription de la récupération d’indu

Commentaire de C. trav. Mons, 10 novembre 2011, R.G. 2010/AM/329

Mis en ligne le mardi 26 juin 2012


Cour du travail de Mons, 10 novembre 2011, R.G. n° 2010/AM/329

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 10 novembre 2011, la Cour du travail de Mons rappelle les obligations du bénéficiaire d’une pension de conjoint séparé qui poursuit une activité professionnelle.

Les faits

Une dame D. séparée de son époux bénéficiaire d’une pension de retraite, poursuit une activité professionnelle mi-temps. Les revenus de celle-ci ne dépassent pas les montants plafonnés autorisés. Elle signe un formulaire (modèle 74) par lequel elle s’engage à informer l’ONP de toute modification qui interviendrait dans l’exercice de son activité ou de toute autre prestation de sécurité sociale qu’elle serait amenée à percevoir. La décision mentionne que l’intéressée sait qu’il sera procédé au recouvrement des arrérages perçus indûment.

Suite à une vérification de revenus effectuée huit ans plus tard, il apparaît que les salaires annuels bruts perçus constituaient un dépassement depuis deux ans. En conséquence, l’ONP notifie une décision par laquelle la moitié de la pension de retraite du conjoint n’est plus payable à dater du 1er janvier du premier exercice de dépassement. L’ONP signale également qu’il y a un indu. La décision étant intervenue en 2001, l’indu considéré concerne les années 1998 à 2000. L’indu est de l’ordre de plus de 20.000€.

Un recours est introduit devant le tribunal du travail de Mons, qui déboute l’intéressée.

Position de la Cour

La cour du travail est dès lors saisie, essentiellement, de la question de la prescription, l’intéressée ne contestant pas que la moitié de la pension de son conjoint ne devait pas lui être payée pendant la période considérée.

Se pose dès lors la question de l’examen de la prescription applicable à la récupération de l’indu, en application des dispositions de la loi du 13 juin 1966 relative à la pension de retraite et de survie des ouvriers, des employés, des marins naviguant sous pavillon belge, des ouvriers mineurs et des assurés libres.

En vertu de ce texte, l’action en répétition de l’indu se prescrit par six mois à compter de la date du paiement ou, si son origine réside dans l’octroi ou de la majoration d’un avantage accordé par un pays étranger ou dans un autre régime, à compter de la date de la décision octroyant ledit avantage.

Cependant, ce délai est porté à cinq ans dans l’hypothèse où il y a eu manœuvres frauduleuses ou encore déclarations fausses ou sciemment incomplètes. La disposition légale prévoit qu’il en est de même en cas d’indu consécutif à l’abstention dans le chef du débiteur de produire une déclaration prescrite par une disposition légale ou réglementaire ou, encore, résultant d’un engagement souscrit antérieurement. Cette précision a été introduite par l’arrêté royal n° 205 du 29 août 1983.

La cour doit répondre à l’argument de l’intéressée, qui considère cette disposition discriminatoire : elle prévoit en effet le même délai de prescription en cas de manœuvres frauduleuses ou de déclarations fausses ou sciemment incomplètes d’une part et en cas d’abstention de produire une déclaration (prescrite par une disposition légale ou réglementaire ou résultant d’un engagement souscrit antérieurement) de l’autre. Pour la cour, l’arrêté royal du 6 juillet 1983 est un arrêté de pouvoirs spéciaux, qui pouvait légalement modifier la loi elle-même, ayant une force supérieure à celle d’un arrêté ordinaire.

Sur la discrimination soulevée, elle rappelle l’arrêt du 19 novembre 2003 (arrêt n° 2003-149) de la Cour constitutionnelle, qui a été saisie de cette question de discrimination. La question préjudicielle qui lui était posée visait d’une part les pensionnés qui avaient posé un acte conscient de nature frauduleuse et d’autre part ceux qui pouvaient n’avoir été confrontés qu’à une simple omission, résultant d’une erreur ou d’une mauvaise compréhension en dehors de tout esprit de fraude.

La Cour constitutionnelle dut dès lors répondre à la question de savoir si l’on pouvait traiter de la même manière ces deux catégories de pensionnés, sans que l’administration ou le juge n’aient la possibilité de prendre une mesure proportionnée à la gravité de la faute commise, pour ceux se trouvant dans la deuxième hypothèse. La Cour constitutionnelle a considéré qu’il n’y avait pas discrimination injustifiée objectivement et hors de proportion avec l’objectif poursuivi. Elle précise que, vu le caractère souvent complexe de la réglementation en matière de sécurité sociale, un délai de prescription court peut être prévu pour récupérer l’indu explicable par une erreur de l’administration mais que, en ce qui concerne la déclaration exigée en cas de poursuite d’activités professionnelles, celle-ci constitue une condition à l’autorisation de cumul, l’administration ayant pu ainsi s’assurer que les revenus perçus ne faisaient pas obstacle à l’octroi de la pension. Elle ajoute que l’interdiction de cumuler une telle activité avec une pension est suffisamment connue pour que le législateur ait pu assimiler cette omission à une déclaration fausse ou sciemment incomplète. Le critère est objectif, s’agissant de traiter différemment l’hypothèse d’une erreur de l’administration et celle où le manquement est dû à l’intéressé lui-même. La Cour rappelle le rapport au Roi précédant l’arrêté royal n° 205, selon lequel les notions de dol ou de fraude doivent être interprétées restrictivement et qu’il n’est pas toujours possible d’y recourir alors que la récupération de l’indu s’impose, notamment dans l’hypothèse présente et que ceci justifie l’extension pour ces cas du délai de prescription de cinq ans.

La cour du travail, en rappelant cet enseignement de la Cour constitutionnelle, conclut qu’il est parfaitement transposable au cas d’espèce, puisqu’il n’est pas contesté que la demanderesse n’a pas produit la déclaration prescrite alors qu’elle s’y était engagée antérieurement. Elle ne pouvait dès lors ignorer l’incidence des modifications intervenues sur son droit à la moitié de la pension de son conjoint.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Mons, qui renvoie à l’enseignement de la Cour constitutionnelle en la matière, rappelle une précision utile pour les bénéficiaires d’une pension de retraite, cumulée à des revenus produits par une activité professionnelle autorisée : l’engagement signé d’informer l’ONP de toute modification pouvant avoir une incidence sur l’octroi de la pension permet, même en l’absence d’intention frauduleuse, d’appliquer le délai de prescription quinquennal.


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