Terralaboris asbl

Conditions d’exportabilité des pensions hors Union européenne

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 21 mars 2012, R.G. 2009/AB/52.543

Mis en ligne le lundi 16 juillet 2012


Cour du travail de Bruxelles, 21 mars 2012, R.G. n° 2009/AB/52.543

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 21 mars 2012, la Cour du travail de Bruxelles clôture son instruction d’un dossier ayant déjà fait l’objet d’une décision, en date du 17 février 2011, arrêt dans lequel la cour avait rouvert le débat sur l’exportabilité de prestations de sécurité sociale à caractère contributif vers des pays hors Union européenne avec lesquels la Belgique n’a pas conclu de convention internationale.

Les faits

Un citoyen d’origine malgache bénéficie depuis le 1er décembre 1999 d’une pension de retraite de l’ordre de 4.370€ annuelle, eu égard à une carrière de 21 ans de travail salarié en Belgique. A ce montant s’ajoute un complément d’environ 2.400€ annuel octroyé au titre de Grapa.

Envisageant de retourner à Madagascar, l’assuré social s’informe auprès de l’ONP sur l’incidence d’un tel déménagement sur sa pension et sa garantie de revenus.
Il se voit fixé, par diverses réponses données au titre d’information, sur sa situation : d’une part la Grapa n’est pas exportable à l’étranger et d’autre part, il n’y a pas de convention de sécurité sociale entre la Belgique et Madagascar, de telle sorte que la pension de retraite ne l’est pas davantage.
Pour des raisons personnelles, celui-ci quitte la Belgique et le paiement des prestations est suspendu (avec récupération d’un léger indu).

Suite à des régularisations intervenant après des contacts entre parties, reste malgré tout en cause la suspension du paiement de la pension de retraite. Un recours est introduit par l’intéressé, qui rappelle le paiement des cotisations intervenues et soulève la question d’une discrimination éventuelle entre étrangers, certains pouvant percevoir leur pension en dehors du pays et d’autres non.
Décision de la cour du travail

Dans son arrêt du 21 mars 2012, la cour renvoie à la décision intervenue le 17 février 2011, par laquelle elle avait rouvert les débats. Elle s’était interrogée sur le pouvoir donné au Roi par l’article 27, 3° de l’arrêté royal n° 50 du 24 octobre 1967 de déterminer pour quels bénéficiaires de nationalité étrangère et dans quels cas l’obligation de résider en Belgique n’était pas requise pour l’octroi de la pension de retraite. L’article 65, § 1er de l’arrêté royal du 21 décembre 1967 prévoit en effet les catégories d’étrangers pour lesquels il y a dispense de l’obligation de résider en Belgique. La cour en a retenu que cette disposition établit une différence de traitement entre eux. L’étranger privilégié, le réfugié et l’apatride peuvent conserver le bénéfice de la pension même s’ils résident à l’étranger en ce compris dans un pays avec lequel la Belgique n’a pas de conclu de convention de sécurité sociale, et ce au contraire d’autres étrangers, qui perdent le bénéfice de leur pension.

La cour procède dès lors à l’examen de la comparaison entre ces catégories d’étrangers. Celles-ci sont comparables vu que ces personnes, qui ne sont pas de nationalité belge, ont exercé une activité salariée en Belgique, pour laquelle elles peuvent prétendre à une pension de retraite et elles résident toutes deux à l’étranger.

Une différence de traitement est opérée entre eux mais, si celle-ci repose sur un caractère objectif (distinction entre étrangers ordinaires et autres catégories d’étrangers), la différence de traitement n’est pas raisonnablement justifiée, selon l’analyse de la cour, et ce au motif que l’ONP n’a pas indiqué les objectifs et la raison d’être de la différence de traitement. En outre, celle-ci a des effets disproportionnés eu égard à l’adéquation entre les moyens utilisés et l’objectif poursuivi, puisque la personne bénéficiaire de la pension a atteint un âge qui ne lui permet pas d’envisager la reprise d’une activité professionnelle à l’étranger. Il y a dès lors, pour la cour, violation des articles 10 et 11 de la Constitution.

Elle relève en outre surabondamment qu’il y a manquement à l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme et que, selon les critères dégagés par celle-ci, l’on ne constate pas en l’espèce les considérations très fortes qui pourraient justifier la différence de traitement ainsi constatée. La cour rejette que l’absence de signature d’une convention bilatérale soit de nature à justifier une telle différence de traitement. Elle renvoie encore aux arrêts Gaygusuz c/ Autriche et Koua Poirrez c/ France pour rappeler que, même si un état n’est pas lié par des accords de réciprocité, il doit, dans la mesure où il est signataire de la Convention européenne des droits de l’homme, reconnaître les droits et libertés qui y sont définis à toute personne qui relève de sa juridiction.

Enfin, la cour précise que, si la condition de résidence n’est pas nécessairement contraire à certains instruments internationaux, il n’apparaît pas que la matière des pensions peut à cet égard établir des différences de traitement dépourvues de justification objective et raisonnable.

La cour évoque encore l’affaire Stec, dans laquelle la distinction entre un régime de retraite fondé sur un principe de capitalisation ou sur un principe de solidarité ne correspond plus à la jurisprudence actuelle de la CEDH (la Cour soulignant ici que l’affaire concernait des prestations non contributives). A fortiori, conclut-elle, une telle distinction est-elle sans intérêt dans un régime de prestations contributives. Elle renvoie encore à de très nombreuses décisions rendues par la Cour européenne en matière de pensions (retraite ou survie) ainsi qu’à un arrêt de la Cour de cassation de France du 19 février 2009 (pourvoi n° 07-20.668) rendu dans le droit fil de cette jurisprudence.

En conclusion, elle décide d’écarter l’article 27, 3° de l’arrêté royal n° 50 du 24 octobre 1967 ainsi que l’article 65, § 1er de l’arrêté royal du 21 décembre 1967, et ce sur la base de l’article 159 de la Constitution. Pour la Cour, l’alinéa 2 de l’arrêté royal du 21 décembre 1967 doit être lu comme autorisant l’exportation des prestations. L’ONP est dès lors condamné à rétablir le paiement de la pension à dater de la suspension et à payer les arriérés restant dus sur cette base.

Intérêt de la décision

Cet arrêt était attendu, depuis les questions soulevées par l’arrêt rendu le 17 février 2011, relatif à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. La cour du travail procède ici prioritairement à un examen des dispositions litigieuses eu égard au principe d’égalité contenu dans les articles 10 et 11 de la Constitution. Un enseignement peut également être tiré des développements consacrés à la jurisprudence récente de la Cour européenne des droits de l’homme, auxquels elle se réfère longuement.


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