Terralaboris asbl

Rémunération variable et droit au pécule de vacances : illégalité d’un accord d’entreprise supprimant celui-ci avec effet rétroactif

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 20 mars 2012, R.G. 2011/AB/427

Mis en ligne le mercredi 18 juillet 2012


Cour du travail de Bruxelles, 20 mars 2012, R.G. n° 2011/AB/427

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 20 mars 2012, la Cour du travail de Bruxelles considère qu’un accord collectif d’entreprise ayant pour objet de ne pas accorder, avec effet rétroactif, de pécule de vacances sur une rémunération variable, est nul.

Les faits

Une employée commerciale est engagée en 1996 par une société. Elle bénéficie d’un salaire fixe et d’un bonus trimestriel fixé sur le chiffre de vente réalisé. Elle est licenciée avec effet au 1er mars 2007.

Après le licenciement, l’organisation syndicale demande paiement du pécule de vacances sur les bonus pour toute la période d’occupation.

L’intéressée est alors informée de la signature d’un accord d’entreprise entre une organisation syndicale et la direction, en vertu de laquelle il est convenu qu’aucun pécule de vacances n’était dû sur la rémunération variable, et ce avec effet rétroactif au 1er janvier 1991.

L’intéressée introduit une action devant le tribunal du travail et demande condamnation de la société à montant de l’ordre de 8.450€ en réparation du dommage subi du fait du non-paiement du pécule de vacances sur le variable.

Décision du tribunal

Par jugement du 24 mars 2011, le tribunal du travail fait droit à la demande en totalité. Il considère qu’il y a infraction, dont l’élément matériel est le non-paiement du pécule de vacances sur la rémunération variable et que l’accord d’entreprise dont la société fait état est postérieur à la rupture du contrat. Pour le tribunal, il n’est dès lors pas opposable à la travailleuse.

Position des parties

La société interjette appel. Elle fait valoir qu’il ne peut y avoir infraction, vu que les lois coordonnées du 28 juin 1971 sont respectées. Elle renvoie à la possibilité de dérogation prévue à l’article 39, 5e alinéa de l’arrêté royal d’exécution, qui permet de prendre d’autres décisions sous forme de convention collective.

Il y a en l’espèce convention collective et aucune disposition ne peut empêcher l’effet rétroactif de celle-ci. La société fait également valoir que cette convention collective concerne l’intéressée au même titre que les autres membres du personnel. En outre, depuis l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal social, il ne peut y avoir infraction puisqu’il s’agirait tout au plus de manquement à des prescriptions réglementaires.

Quant à l’intéressée, elle conteste le caractère rétroactif de la convention collective, qui n’est pas compatible avec la volonté du législateur. Elle fait en outre valoir l’article 32 de la loi du 5 décembre 1968, en vertu duquel une convention collective de travail conclue au sein d’un organe paritaire (soit une source de droit supérieure à un accord d’entreprise) ne peut rétroagir qu’à un an. Elle considère qu’il y a infraction, vu l’existence d’un élément matériel et moral (mise en demeure non suivie d’effet).

Décision de la cour

La cour rappelle les dispositions de l’arrêté royal du 30 mars 1967, qui exécute la loi sur les vacances annuelles, et plus particulièrement le 5e alinéa, selon lequel pour les employés dont la rémunération n’est que partiellement valable, les dispositions de l’article 38 (simple pécule) sont applicables pour la partie fixe et les dispositions des alinéas précédents de l’article 39 le sont pour la partie variable, sous réserve d’autres décisions prises sous forme de convention collective.

La cour rappelle également que les conventions collectives peuvent avoir un effet rétroactif, dans la mesure où les signataires peuvent en déterminer la date d’entrée en vigueur.

L’article 32 ne s’applique cependant pas à la question, puisqu’il concerne l’arrêté royal qui rend une convention collective obligatoire.

En ce qui concerne les travailleurs visés, la cour rappelle l’article 19 de la loi du 5 décembre 1968, selon lequel la convention lie tous les travailleurs d’un employeur lié par celle-ci, et ce à partir du moment où leur employeur est lié par elle (en tout cas lorsque celle-ci est déposée).

La question de savoir si l’effet rétroactif peut viser des travailleurs dont le contrat de travail est rompu a reçu une réponse positive et la cour renvoie également à un avis du Conseil d’Etat (n° 148). Elle en conclut que la convention collective est dès lors applicable aux contrats résiliés. Ceci ne signifie cependant pas que des conventions collectives peuvent être conclues au niveau de l’entreprise, avec effet rétroactif, pour solutionner la question en cours. La cour du travail renvoie à un jugement du 4 mai 2000 du Tribunal du travail de Bruxelles (J.T.T., 2000, p. 324) dont elle reproduit la conclusion, étant que, si un arrêté royal permet de prendre par convention collective des dispositions particulières, les signataires de celle-ci ne peuvent avoir davantage de compétences que n’a le Roi lui-même dans le cadre des pouvoirs qui lui sont conférés par la loi aux fins d’exécuter ces dispositions. Or, un arrêté royal n’a en principe pas d’effet rétroactif. C’est le principe de la non-rétroactivité des lois, inscrit à l’article 2 du Code civil. La convention collective ne pouvait dès lors valoir que pour l’avenir.

La cour va dès lors retenir l’existence d’une infraction, d’autant que le non-paiement du pécule de vacances légal est punissable, précédemment sur pied de l’article 54 de la loi sur les vacances annuelles et actuellement par le Code pénal social en son article 162, 3°.

La cour réserve encore des développements aux discussions intervenus à la fin des années ‘90 sur la définition de la rémunération variable et rappelle qu’un arrêté royal du 28 avril 1999 a modifié celui du 30 mars 1967 sur cette question. Suite à cette modification, l’article 39 de l’arrêté royal précise que sont visées les primes variables dont l’octroi est lié à l’évaluation des prestations de l’employé, à sa productivité, au résultat de l’entreprise ou d’une section de celle-ci ou à tout critère rendant le paiement incertain et variable, quelles que soient la périodicité ou l’époque du paiement de ces primes.

Elle rappelle également l’arrêt de la Cour de cassation du 1er juin 1987 (Cass., 1er juin 1987, J.T.T., 1987, p.313) : il y a lieu à application d’un pécule de vacances sur tout bonus consistant en un pourcentage sur les bénéfices réalisés, en tant que prestation de travail fournie, même sil s’agit de bonus payés une fois seulement par an. Pour la cour le non-paiement du pécule de vacances sur les bonus trimestriels constitue dès lors une infraction vu que la dérogation aux principes inscrits dans la loi ne pouvait intervenir que pour l’avenir.

La cour constate en outre que la conclusion de la convention collective n’avait pour but que de couvrir les irrégularités intervenues dans le passé, irrégularités qui constituaient une infraction et que, en conséquence, elle est nulle vu qu’elle a une cause illicite. Elle en conclut que l’infraction constitue un délit continu qui consiste dans le non-paiement répété du pécule de vacances dû sur la rémunération variable, sanctionné à l’article 54 de la loi sur les vacances annuelles, article actuellement remplacé par l’article 162, 3° du Code pénal social. Il n’y a pas prescription, le délai ne commençant que lors de la commission du dernier fait répréhensible.

Elle répond enfin à l’argument tiré du principe de « la loi la plus douce » et constate que, la convention collective n’étant conclue que pour le passé, elle ne pouvait s’analyser qu’au regard des dispositions de la loi sur les vacances annuelles et de son arrêté d’exécution du 30 mars 1967. Elle rappelle enfin que le principe de « la loi la plus douce » ne s’applique que si la volonté du législateur a été d’adoucir le caractère répressif d’une mesure tant pour le passé que pour l’avenir. Ce principe ne peut s’appliquer si un arrêté d’exécution a été remplacé par un autre dans le cadre d’une même loi, sans que la loi elle-même n’ait été modifiée.

Intérêt de la décision

Cet arrêt rappelle, dans une analyse très fouillée, quelques principes importants au niveau de la hiérarchie des normes et, plus particulièrement, les limites à la délégation qui peut être accordée aux interlocuteurs sociaux de conclure des accords collectifs, autorisés par un arrêté royal.

L‘arrêt rappelle en outre la modification intervenue sur la question du pécule de vacances applicable aux rémunérations variables par l’arrêté royal du 28 avril 1999, qui a ajouté un dernier alinéa à l’article 39 de l’arrêté royal du 30 mars 1967.


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