Terralaboris asbl

Portée de la subrogation de l’organisme assureur et droit communautaire

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 15 février 2012, R.G. 2010/AB/644

Mis en ligne le mercredi 18 juillet 2012


Cour du travail de Bruxelles, 15 février 2012, R.G. n 2010/AB/644

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 15 février 2012, la Cour du travail de Bruxelles fait une application de la jurisprudence communautaire dans l’hypothèse d’un trop versé dans le cadre de versements provisionnels sur prestations sociales dues par une institution de sécurité sociale d’un autre Etat de l’Union européenne.

Les faits

En 1984, Monsieur D. bénéficie d’indemnités d’incapacité de travail à charge de sa mutuelle (belge) et obtient une pension d’invalidité à charge d’une institution italienne de sécurité sociale. Il perçoit les arrérages versés par l’institution italienne à l’INAMI, qui estime que reste dû un solde de l’ordre de 400€. L’institution belge continue à verser les indemnités belges complètes tout en considérant que reste dû un solde d’arrérages en sa faveur. L’INAMI écrit ensuite à l’intéressé lui demandant de rembourser une somme de +/- 1.200€ constatant qu’il y a eu, pour une courte période, un double paiement (prestation provisionnelle payée en sus des arrérages) et qu’une partie des sommes a été retenue par l’institution italienne au titre d’impôt et de cotisations sociales, retenues qui ne peuvent être prises en charge par l’assureur belge.

Un recours est introduit par l’intéressé et, dans le cadre de celui-ci, la mutuelle fait une demande reconventionnelle relative au remboursement du montant litigieux.

Suite au décès de l’intéressé, l’instance est reprise par sa veuve.

La décision administrative est confirmée par jugement du 28 mai 2010.

Décision de la cour du travail

La cour reprend le cadre juridique de la discussion, étant l’article 136, § 2 de la loi cordonnée le 14 juillet 1994 relatif aux règles de cumul des prestations prévues par la loi et d’autres réparations (intervenues en vertu de la législation belge ou étrangère ou, encore, en droit commun). En vertu de cette disposition, les prestations de l’assurance indemnité ne peuvent être cumulées avec des prestations étrangères couvrant le même dommage. La cour relève que le mécanisme légal prévoit la subrogation de l’organisme assureur belge dans les droits que l’assuré social peut faire valoir auprès d’une institution étrangère.

S’agissant d’un autre Etat de l’Union européenne, la cour renvoie alors au règlement applicable à l’époque étant le Règlement (CEE) n° 574/72 du Conseil. Il s’agit du règlement d’application du règlement (CEE) n° 1408/71.

Celui-ci autorise l’institution qui a procédé à un versement provisionnel à demander à l’institution de l’autre Etat membre débitrice de prestations correspondantes de retenir le montant payé en trop sur les arrérages à verser au bénéficiaire. Si ce n’est pas possible, le montant payé en trop peut être retenu sur les sommes versées à celui-ci.

La cour rappelle qu’il s’agit ici du règlement – exhaustif – de la question de la répétition d’un trop versé en cas de paiement effectué à titre provisionnel en vertu de l’article 45, § 1er du règlement n° 574/72 et la cour renvoie ici à un arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE, 14 mai 1981, aff. 111/80, Fanara) – et ce même si la même disposition précise que ce mode de restitution ne fait pas obstacle à une récupération auprès de l’intéressé (l’arrêt renvoyant ici à une autre décision de la Cour de justice – CJUE, 21 mars 1990, aff. C-199/88, Cabras). La Cour de justice a également précisé ultérieurement (CJUE, 19 juin 2003, aff. C-34/02, Pasquini) que le droit national doit cependant respecter le principe d’équivalence, principe communautaire qui impose que l’intéressé ne soit pas traité de manière moins favorable que si il s’était agi d’une situation purement interne. A celui-ci s’ajoute le principe d’effectivité, autre principe communautaire, qui impose de ne pas rendre impossible en pratique ou même excessivement difficile l’exercice des droits résultant de la situation d’origine communautaire.

Il n’y a, dès lors, pour la cour pas d’obstacle à l’application des limitations prévues par la loi belge sur l’assurance soins de santé et indemnités, pour ce qui est des possibilités de recouvrement.

La cour examine dès lors les arguments avancés par l’ayant droit au regard du mécanisme de la subrogation de l’article 136, § 2 de la loi coordonnée. Elle conclut, vu le mécanisme prioritaire de la subrogation légale, que la retenue effectuée par l’institution italienne ne pouvait être récupérée auprès de l’assuré social. En outre, la cour rappelle que l’organisme assureur a droit au remboursement du montant brut de la prestation non cumulable, en ce comprise la retenue fiscale (et cite diverses décisions, dont Cass., 8 février 1999, Pass., 1999, I, n° 70).

Ayant la possibilité de récupérer la somme correspondant à la retenue opérée par l’institution italienne par la voie de la subrogation, l’organisme assureur belge ne pouvait la récupérer auprès de son affilié.

Les avances effectuées étaient dès lors régulières et ne pouvaient être récupérées que par cette voie ou, encore, en application de l’article 111, § 2 du règlement n° 574/72, sur les prestations dues ultérieurement par l’institution italienne.

La cour conclut dès lors au non fondement de la demande de l’organisme assureur.

Intérêt de la décision

Cet arrêt est un cas d’application du règlement n° 1408/71 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs mobiles (et de son règlement d’application n° 574/72). Il rappelle essentiellement que la question de la répétition d’un trop versé dans le cadre de paiements provisionnels est réglée de manière exhaustive par le mécanisme de l’article 111 du règlement n° 574/72 (applicable à l’époque) et que le droit national doit respecter, dans le cadre de ces règlements, à la fois le principe d’équivalence et celui d’effectivité, deux principes communautaires fondamentaux guidant les modalités procédurales de traitement de situations trouvant leur origine dans l’exercice d’une liberté communautaire.

Il énonce en outre que la subrogation de l’article 136, § 2 de la loi coordonnée le 7 juillet 1994 et la récupération auprès de l’assuré social ne sont pas des modalités alternatives, principe que la Cour de cassation avait dégagé dans son arrêt du 19 décembre 1988 (Cass., 19 décembre 1988, J.T.T., 1989, p. 474).


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