Terralaboris asbl

Emploi des langues et motif grave

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 1er juin 2012, R.G. 2011/AB/365

Mis en ligne le mercredi 5 septembre 2012


Cour du travail de Bruxelles, 1er juin 2012, R.G. n° 2011/AB/365

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 1er juin 2012, la Cour du travail de Bruxelles examine les effets juridiques de pièces (contrat de travail, lettre de licenciement) rédigées en français alors que l’emploi du néerlandais est obligatoire en vertu du décret du Conseil flamand du 19 juillet 1973.

Les faits

Un contrat de travail est signé entre une société exploitant une résidence pour personnes âgées et une ouvrière. Le contrat est signé à Strombeek et doit y être exécuté. Il est rédigé en français. Un second suit, conclu dans les mêmes conditions.

Un autre contrat est signé, plus tard, modifiant l’horaire de travail et prévoyant une période d’essai de six mois, les fonctions nouvelles étant qualifiées de fonctions d’employée. Le contrat est toujours signé à Strombeek, en vue de prester au même endroit. Il est rédigé en néerlandais.

Dans le cours de la période d’essai, un avertissement écrit au motif d’absences injustifiées est adressé à l’employée, en français. Un second suit, toujours en français, suite à un problème de distribution de médicaments. L’intéressée est licenciée le lendemain, pour motif grave, toujours pour un problème de médicaments. La lettre de licenciement est rédigée en français.

L’organisation syndicale à laquelle l’intéressée est affiliée conteste le licenciement, au motif de non-respect de l’emploi des langues, et demande paiement de l’indemnité compensatoire de préavis.

Une procédure est introduite devant le tribunal du travail, vu l’absence de règlement amiable. Elle porte sur une indemnité compensatoire de préavis de trois mois.

Décision du tribunal

Par jugement du 21 janvier 2011, le tribunal du travail fait droit à la demande, limitant, cependant, l’indemnité compensatoire de préavis à sept jours, vu la clause d’essai.

Le tribunal considère que la lettre de licenciement est frappée de nullité absolue.

L’intéressée interjette appel de ce jugement.

Décision de la cour

La cour est saisie de plusieurs questions.

Une première question oppose les parties, en ce qui concerne l’appel incident de la société. L’intéressée considère que celui-ci – à défaut d’être explicitement formulé – n’est pas valable. La cour rappelle la jurisprudence de la Cour de cassation (dont Cass., 5 février 2004, Arr. Cass., 2004, 177) selon laquelle aucune exigence de forme n’est imposée, pour un appel incident, autre que celles relatives aux conclusions. La cour considère qu’il ressort des conclusions de la société qu’elle a régulièrement formé cet appel incident.

Les parties s’opposent ensuite sur la prescription de la demande de l’employée, dans la mesure où elle a adapté celle-ci en cours d’instance. La cour rappelle longuement les principes sur la question, étant qu’il faut examiner si la demande nouvelle est virtuellement comprise dans la demande originaire. Elle renvoie également à la jurisprudence de la Cour de cassation sur l’objet de la demande, étant que la requalification par le juge ne modifie pas la cause de la demande et n’est pas contraire au principe dispositif (une abondante jurisprudence étant citée, dont Cass., 23 octobre 2006, Chron. Dr. Soc., 2007, p. 270, note S. REMOUCHAMPS).

La cour aborde alors le fond de la demande, étant, en premier lieu la question du respect de l’emploi des langues.

L’employée a été occupée en région néerlandophone. L’article 1er du décret du 19 juillet 1973 dispose que celui-ci s’applique aux personnes physiques et morales qui ont un siège d’exploitation en zone linguistique flamande. Par siège d’exploitation, il faut entendre tout établissement ou tout centre présentant une certaine permanence, auquel est rattaché un membre du personnel et où se déroulent en principe les relations sociales : c’est là que le membre du personnel est normalement chargé de ses tâches, que lui sont données des instructions, que toutes les communications lui sont faites et qu’il s’adresse à son employeur. La cour rappelle ici l’arrêt de la Cour de cassation du 22 avril 2002, (Cass., 22 avril 2002, Arr. Cass., 2002, 1089). Il en ressort que le déplacement du siège social de la société vers Bruxelles est un critère sans intérêt.

L’employeur, établi en zone de langue néerlandaise, doit dès lors utiliser uniquement le néerlandais en matière de licenciement pour motif grave (Cass., 11 juin 1979, R.W. 1979-80, col. 1129).

La nullité des pièces en contradiction avec le décret doit être prononcée par le juge. C’est une nullité absolue, qui vaut ex tunc. Ces pièces sont censées ne jamais avoir existé et ceci concerne également l’expression de la volonté (Cass. 31 janvier 1978, RDS, 1978, p. 329).

La cour énumère dès lors l’ensemble des pièces frappées de cette nullité, étant le contrat de travail initial, le deuxième, les lettres d’avertissement, la lettre de licenciement et le C4.

Quant à l’indemnité compensatoire de préavis, le montant de celle-ci dépend de la validité de la période d’essai figurant dans le dernier contrat signé (resté valable, étant rédigé en néerlandais). Vu la nullité absolue du premier contrat contenant une clause d’essai, il ne peut être retenu que l’intéressée a fait l’objet de périodes d’essai successives. La cour relève que le dernier contrat signé concernait principalement des fonctions intellectuelles et que la période d’essai était valable.

Elle confirme dès lors le jugement en ce qui concerne le montant de l’indemnité compensatoire de préavis.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de a Cour du travail de Bruxelles rappelle, par plusieurs renvois à la jurisprudence de la Cour de cassation, la délicate question de l’emploi des langues, en cas d’application du décret du Conseil flamand du 19 juillet 1973 réglant l’emploi des langues en matière de relations sociales entre employeurs et travailleurs. Les pièces de procédure étant frappées de nullité absolue, elles sont censées ne jamais avoir existé et ceci vaut également pour l’expression de la volonté.


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