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Inaptitude physique définitive : preuve de la force majeure

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 23 avril 2012, R.G. 2010/AB/304

Mis en ligne le mardi 2 octobre 2012


Cour du travail de Bruxelles, 23 avril 2012, R.G. n° 2010/AB/304

Terra laboris asbl

Dans un arrêt du 23 avril 2012, la Cour du travail de Bruxelles rappelle que la preuve de la force majeure définitive peut être apportée par toutes voies de droit

Les faits

Un ouvrier, au service d’une société, dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée, tombe en incapacité de travail en septembre 2008. En juin 2009, le formulaire d’évaluation de santé prévu par l’arrêté royal du 28 mai 2003, prévoit au titre d’examen de pré-reprise, que l’intéressé doit être maintenu en congé de maladie et qu’il doit être revu à la reprise effective, muni de rapports médicaux. Huit jours plus tard, la société lui reproche de ne plus s’être présenté au travail et lui demande de justifier son absence, ainsi que de communiquer son dossier au médecin du travail.

Un certificat médical ayant cependant été envoyé par recommandé (mais n’ayant pas touché son destinataire) dès le résultat de la visite médicale, un duplicata est transmis. La réalité de l’incapacité de travail est alors contrôlée par un médecin-contrôleur, à la demande de l’employeur et la conclusion de ce rapport est qu’il y aptitude (à partir d’une date ultérieure) mais à la condition de changer « absolument » d’employeur.

L’incapacité de travail est maintenue par le médecin traitant et suite à une nouvelle visite chez le conseiller en prévention – médecin du travail, ce dernier conclut à l’inaptitude définitive pour raisons médicales. L’organisation syndicale à laquelle l’intéressé est affilié fait alors un courrier, constatant que l’inaptitude définitive rend impossible la poursuite du contrat et qu’il y a rupture pour force majeure. Le document C4 est demandé. Un certificat médical de prolongation est encore envoyé.

Convoqué à nouveau par la médecine du travail, deux mois plus tard, l’intéressé ne s’y présente pas au motif de la rupture du contrat vu l’incapacité définitive déclarée par celle-ci.

Il introduit alors une procédure réclamant son document C4 et demande en condamnation de la société au paiement de dommages et intérêts fixés à un euro provisionnel.

La société demande, reconventionnellement, une indemnité de préavis.

Décision du tribunal du travail

Par jugement du 2 mars 2010 le tribunal du travail condamne la société à délivrer un document C4 faisant état d’un cas de force majeure, comme motif précis du chômage. Le jugement est assorti d’une condamnation à une astreinte. Il déclare en sus les deux demandes (originaire et reconventionnelle) non fondées.

La société interjette appel du jugement.

Position des parties en appel

La société considère que, ayant adressé un document C4 portant comme motif précis du chômage la mention « rupture unilatérale par M. … », elle a satisfait à ses obligations et qu’il n’y avait dès lors pas lieu de la condamner à la délivrance de ce document. En ce qui concerne la rupture, elle fait valoir que, selon la procédure de l’arrêté royal du 28 mai 2003, il ne pouvait y avoir constat de la rupture du contrat de travail pour force majeure à la date retenue. Elle demande dès lors à la cour d’accueillir sa demande reconventionnelle.

En ce qui concerne le travailleur, il demande confirmation du jugement en ce qui concerne la constatation de la rupture du contrat pour force majeure, ce qui entraîne le même sort pour la demande reconventionnelle de l’employeur.

Décision de la cour du travail

La cour va dès lors examiner les obligations des parties en ce qui concerne le document C4, ainsi que la force majeure.

Sur la première question, elle va essentiellement considérer que, la délivrance du formulaire C4 étant intervenue postérieurement à la citation introductive d’instance, la condamnation prononcée ne se justifiait plus et que l’appel était fondé, compte tenu du défaut d’intérêt que représente la condamnation de la société à délivrer ce document.

Sur la rupture pour force majeure, la cour rappelle la motivation du jugement dont appel, tirée des articles 72 et 50 de l’arrêté royal du 28 mai 2003, selon laquelle la contestation concerne moins l’existence d’une force majeure mettant fin au contrat que le non-respect de certaines dispositions légales ou réglementaires. Le premier juge ayant énuméré celles-ci (essentiellement les procédures fixées aux articles 28, 55 à 58 et 59 à 69 de l’arrêté royal du 28 mai 2003, ainsi que l’article 31 de la loi du 3 juillet 1978), la cour reprend, avec le tribunal, que (i) le travailleur a été définitivement déclaré inapte à la fois par le conseiller en prévention-médecin du travail et son médecin traitant, (ii) aucune recommandation n’a été formulée pour le réaffecter auprès du même employeur (de telle sorte qu’il n’y avait pas lieu de recourir à l’article 72), (iii) l’absence de recommandation confirme l’avis du médecin du travail en ce qui concerne l’inaptitude définitive et (iv) il n’y a pas eu de contestation en temps utile de cette appréciation médicale, ni par le demandeur, ni par l’employeur, ni par le médecin traitant. Pour la cour, celle-ci peut dès lors être considérée comme définitive.

Ces constatations, faites par le premier juge, sont faites siennes par la cour, qui relève l’article 32, 5° de la loi du 3 juillet 1978, selon lequel le contrat de travail peut prendre fin en cas de force majeure. Celle-ci peut résulter d’une incapacité permanente empêchant le travailleur de reprendre le travail convenu, ainsi que la Cour de cassation l’a jugé dans un ancien arrêt du 5 janvier 1981 (Cass., 5 janvier 1981, J.T.T., 1981, p. 184). En outre, l’employeur n’est pas tenu de fournir un autre travail que le travail contractuellement convenu.

Pour exister, la force majeure doit être invoquée et constatée et elle peut être établie par toute voie de droit, et non seulement par le médecin du travail.

Il en découle, pour la cour, qu’il ne peut être question d’exiger des modalités particulières en ce qui concerne la preuve, au seul motif que sa cause résulte d’une incapacité définitive d’effectuer le travail convenu. Le juge doit seulement vérifier si la preuve de l’incapacité définitive d’effectuer celui-ci est rapportée.

Cette preuve existe, en l’espèce, et le premier juge l’a d’ailleurs relevé, étant les avis convergents du médecin du travail et du médecin traitant (avis relayés, de surcroit, par le médecin-contrôleur).

La cour va dès lors confirmer le jugement sauf en ce qui concerne le C4.

Intérêt de la décision

Dans cet arrêt, la Cour du travail de Bruxelles, rappelle que la force majeure peut être établie par toute voie de droit et non seulement médicalement, par le médecin du travail.

Elle résulte ici de la convergence des avis médicaux et de la position du travailleur lui-même.


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