Terralaboris asbl

Prime exceptionnelle payée lors de la prise de pension et cotisations de sécurité sociale

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 10 mai 2012, R.G. 2011/AB/386

Mis en ligne le vendredi 26 octobre 2012


Cour du travail de Bruxelles, 10 mai 2012, R.G. n° 2011/AB/386

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 10 mai 2012, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les conditions dans lesquelles une somme versée à un travailleur peut être exonérée de cotisations de sécurité sociale.

Les faits

Une société verse, à une employée, à l’occasion de la rupture du contrat de travail et au moment de sa prise de pension de retraite, une prime unique d’un montant de 45.000€. Elle ne paie pas de cotisations de sécurité sociale sur celle-ci. Cette prime est versée le dernier jour des prestations de travail. Elle avait été annoncée par écrit et l’employée avait rédigé sa lettre de démission après.

Suite à une visite d’une inspection sociale, la question est posée à l’employeur de la nature du paiement. Celui-ci répond que l’intéressée a travaillé pour la société pendant plus de quarante ans et qu’il s’agit d’un « golden shake hands ».

La société précise avoir demandé le conseil d’un bureau d’avocats en ce qui concerne le statut d’un tel paiement.

L’ONSS maintient qu’il s’agit d’un montant passible de cotisations de sécurité sociale et modifie, en conséquence, les cotisations dues pour le trimestre considéré, majorant celles-ci d’un montant de l’ordre de 18.000€.

Le paiement est effectué sous toute réserve par la société, aux fins de ne pas être considérée comme ayant des dettes vis-à-vis de l’ONSS et eu égard aux intérêts et majorations, qu’elle souhaite éviter.

Citation est cependant lancée devant le Tribunal du travail de Bruxelles en remboursement.

Le jugement du tribunal du travail

Par jugement du 25 février 2011, le tribunal rejette la demande, considérant que la somme versée à été admise par l’employeur comme étant la contrepartie du travail effectué. Il se réfère à la circonstance qu’a été pointée, par la société, une ancienneté de 41 ans à son service ainsi que les bons résultats de la firme auxquels elle a contribué. Le tribunal précise qu’il s’agit également d’un engagement unilatéral et que celui-ci est une source d’obligation.

Position de parties en appel

La société considère que l’indemnité versée n’a pas été accordée en tant que contrepartie du travail fourni. Elle a été octroyée en dehors de toute obligation légale ou contractuelle et en dehors d’un engagement unilatéral, étant payée à l’occasion d’un événement exceptionnel intervenu dans la vie de l’intéressée, à savoir sa prise de pension. Pour la société, il faut distinguer les paiements effectués en tant que contrepartie du travail fourni et les sommes versées une seule fois eu égard à la suspension ou à la rupture du contrat de travail. Dans la première hypothèse tout paiement effectué par l’employeur dans le cours du contrat de travail doit être considéré comme une contrepartie du travail effectué par le travailleur sans que la source de droit ne doive être recherchée. Dans la seconde hypothèse par contre, ne s’agissant pas de contrepartie d’un travail fourni, les sommes versées ne peuvent être considérées comme rémunératoires que lorsqu’elles ont une source de droit bien précise, étant la loi, le contrat, l’usage ou un engagement unilatéral. En l’espèce, la société se trouvait dans la seconde de ces deux hypothèses et elle considère que l’ONSS reste en défaut d’indiquer la source de l’obligation. Pour elle, c’est à tort que le premier juge a conclu à l’existence d’un engagement unilatéral.

Quant à l’ONSS, il demande que le jugement soit confirmé dans toutes ses dispositions.

Décision de la cour du travail

La cour rappelle les dispositions pertinentes de la loi du 27 juin 1969 sur la sécurité sociale des travailleurs et particulièrement l’article 14, dont le § 2 définit la notion de rémunération par renvoi à l’article 2 de la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération des travailleurs. Elle va alors reprendre la définition du terme « rémunération », dans le cadre de la loi du 12 avril 1965, rappelant qu’elle est large. Citant plus particulièrement les conclusions de l’avocat général LENAERTS précédant l’arrêt de la Cour de cassation du 20 avril 1977 (Cass., 20 avril 1977, R.W., 1977-1978, Col.1871), elle considère, avec la société, qu’il y a une distinction à faire entre les avantages accordés pendant l’exécution du contrat de travail et ceux alloués à la rupture. Pour la cour, la distinction ainsi opérée est trop générale et l’on ne peut conclure que tout avantage accordé lors de la rupture du contrat de travail ne serait pas rémunératoire, dès lors qu’il n’aurait aucun caractère obligatoire. La nature et l’importance dudit avantage peuvent indiquer qu’il ne s’agit pas d’une gratification mais de l’exécution d’un engagement, même si l’origine de celui-ci n’est pas connue.

La cour renvoie également à l’arrêt de la Cour de cassation du 5 janvier 2009 (Cass., 5 janvier 20009, R.G. S.08.0064.N), qui a posé le principe que les paiements effectués par l’employeur au travailleur doivent en principe être considérés comme des paiements dus suite à la relation de travail et dès lors constituer de la rémunération passible de cotisations de sécurité sociale. La seule hypothèse retenue est celle de la gratification, qui n’est pas accordée en raison du travail effectué en exécution du contrat de travail et, en conséquence, découlant de l’occupation.

La cour rappelle également l’arrêt du 13 septembre 2010 (Cass., 13 septembre 2010, R.G. S.09.0076.F), qui a considéré que l’indemnité payée à des travailleurs qui se sont portés volontaires pour être licenciés dans le cadre d’une restructuration est rémunératoire, cette indemnité réparant le dommage subi par les travailleurs concernés et étant, partant, la conséquence de leur engagement.

La cour examine, à la lumière de ces principes, le paiement effectué et conclut qu’il a un caractère rémunératoire. Elle constate en outre que l’intéressée a certes démissionné mais après que le paiement de l’indemnité lui avait été annoncé, de telle sorte qu’il n’est pas exclu qu’il s’agisse d’un règlement intervenu entre travailleur et employeur sur les conditions de la rupture.

Le jugement du tribunal du travail est dès lors confirmé.

Intérêt de la décision

Cet arrêt rappelle des principes importants, sur la question des montants versés à la rupture du contrat de travail. Il reprend deux récents arrêts de la Cour de cassation sur la question.

Dans son arrêt du 5 janvier 2009, la Cour suprême avait rappelé que, en principe les paiements effectués par l’employeur sont considérés comme des paiements découlant de l’engagement. En conséquence, il s’agit de rémunérations sur lesquelles des cotisations de sécurité sociale sont dues. Si le législateur entend exclure les gratifications, seul l’avantage accordé à l’occasion de la résiliation du contrat de travail, d’une interruption de travail ou de circonstances particulières telles qu’une marque personnelle de sympathie ou de considération de la part de l’employeur ou un événement particulier dans la vie privée ou familiale du travailleur peuvent avoir ce caractère mais non l’avantage accordé en raison du travail effectué en exécution du contrat de travail, qui découle de l’occupation. Ne pouvait dès lors avoir ce caractère de gratification l’indemnité versée à des travailleurs en vue de compenser des désagréments subis par les membres du personnel à la suite de la réorganisation du travail au sein de l’entreprise et qualifiée comme telle.

Dans son arrêt du 13 septembre 2010, la Cour de cassation a également considéré que si des travailleurs se sont portés volontaires pour être licenciés dans le cadre d’une restructuration et qu’ils ont consenti au sacrifice de la perte de leur emploi pour permettre aux autres travailleurs de conserver le leur, une indemnité payée au titre de dommage moral doit être considérée comme réparant le poids de ce sacrifice. Elle est, partant, la conséquence de l’engagement.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be