Terralaboris asbl

Société dormante

Commentaire de C. trav. Liège, sect. Namur, 16 octobre 2007, R.G. 8.375/2007

Mis en ligne le mardi 30 octobre 2012


Cour du travail de Liège, sect. Namur, 16 octobre 2007, R.G. 8.375/2007

TERRA LABORIS ASBL

L’administrateur d’une société qui n’a plus d’activité n’exerce pas d’activité professionnelle et ne peut dès lors être assujetti au statut social des travailleurs indépendants.

Dans un arrêt du 16 octobre 2007, la Cour du travail de Liège, saisie d’une demande de payement de cotisations sociales pour une période où l’indépendant était mandataire de sociétés « dormantes », estime que, à défaut d’activité des sociétés elles-mêmes, le mandataire ne peut être considéré comme exerçant une activité professionnelle. Elle estime dès lors qu’il n’est pas redevable des cotisations sociales.

Les faits

Monsieur D accède à la pension à l’âge de 60 ans, pension demandée à partir du 1er septembre 1995.

A ce moment, il était administrateur de deux sociétés. La première, la sa A., société d’assurances, a cédé son activité (portefeuille d’assurance) en juin 1993 à une autre société (qui fera faillite en avril 1999). Le mandat a été « exercé » jusqu’à la liquidation judiciaire de la sa A., en date du 20 janvier 2000. La seconde, la sa C. est une société de patrimoine qui ne possédait qu’un seul immeuble, immeuble vendu le 16 janvier 1995 (avec vente complémentaire du mobilier en 1996) et qui n’a plus, à dater de la session, exercé la moindre activité. Cette société C. sera mise en faillite le 6 octobre 2005, sur aveu de monsieur D. Celui-ci possédait, dans la société, un compte courant négatif, ayant fait l’objet d’une taxation par l’administration fiscale (taxation sur intérêts fictifs), de sorte qu’il était considéré, par l’administration fiscale, comme ayant perçu des revenus professionnels.

Ultérieurement, les organismes de pension (ONP et INASTI) prirent, au regard de l’exercice du mandat d’administrateur et de la qualification fiscale de revenus professionnels par rapport à la société C, une décision supprimant le droit à la pension à la date de la demande et ordonnant la récupération de l’indu, le délai de prescription appliqué étant un délai de 5 ans.

L’intéressé ayant contesté la décision devant le tribunal du travail, celui-ci le débouta partiellement de son recours. Le tribunal estima en effet qu’il avait, pendant la période, exercé une activité non autorisée et qu’il avait perçu des revenus qui dépassent le plafond cumulable. Le tribunal confirma ainsi la décision administrative de suppression du droit à la pension mais limita la récupération de l’indu aux 6 derniers mois.

A la suite de cette décision, l’intéressé se vit reconnaître un droit à la pension à dater du 1er janvier 1998.

Vu cependant l’exercice d’un mandat social dans les deux sociétés, de même que la perception de revenus professionnels (taxés comme tels par l’administration fiscale), des cotisations au statut social des indépendants furent réclamées à monsieur D, pour la période du 4e trimestre 1995 au premier trimestre 2006.

Vu l’absence de payement, la caisse d’assurances sociales assigna l’intéressé en novembre 2004, en paiement des cotisations, pour la période limitée du 4e trimestre 1995 au 4e trimestre 2003.

La décision du tribunal

Le tribunal du travail fit droit à la demande introduite par la caisse sociale. Il fonde sa décision sur l’absence de recours fiscal contre la décision de l’administration de retenir l’existence de revenus professionnels dans le chef de l’intéressé, de même que sur l’existence d’actes de gestion posés en qualité d’administrateur (était visé ici l’aveu de faillite concernant la société C.). Le tribunal considère ainsi que l’intéressé ne renverse pas la présomption de l’exercice d’activité de mandataire de société.

La décision de la Cour

Sur le plan des principes, après un rappel des dispositions légales applicables et de leurs modifications successives (articles 3 de l’arrêté royal n° 38 organisant le statut social des travailleurs indépendants et 2 de l’arrêté royal du 19 décembre 1967), la Cour rappelle que, pour être assujetti au statut social des travailleurs indépendants, la personne physique doit exercer une activité professionnelle, c’est-à-dire une activité exercée dans un but de lucre, même si elle ne produit pas de revenus. La Cour rappelle qu’un associé non actif ne se livre pas à une activité et ne peut dès lors être assujetti, au contraire de l’associé actif, dès lors que l’activité exercée par celui-ci l’est en vue de faire fructifier le capital.

La Cour rappelle par ailleurs qu’un administrateur de société n’exerce une activité que dans le cadre de son mandat et que la gratuité de celui-ci constitue la preuve de l’exercice d’une activité qui n’est pas exercée dans un but de lucre. Les juridictions du travail, qui sont les seules compétentes pour déterminer si un associé ou un administrateur a exercé une activité professionnelle au sens de la réglementation, ne sont par ailleurs pas liées par la qualification donnée par l’administration fiscale aux revenus taxés par elle.

La Cour précise encore que, si la société n’a plus d’activité, le mandataire de société n’exerce pas non plus d’activité professionnelle. Elle retient dès lors qu’une société commerciale qui a cédé son fonds de commerce sans en reprendre un autre ne peut pas être considérée comme ayant une activité commerciale. A cet égard, le seul fait de récupérer quelques créances ou de faire aveu de faillite ne constitue pas des actes révélateurs de l’exercice d’une activité commerciale. Ces actes sont qualifiés d’actes isolés de gestion.

Quant aux présomptions irréfragables instituées parles articles 3, § 1er, al. 4 de l’arrêté royal n° 38 et 2, § 2 de l’arrêté royal du 19 décembre 1967, la Cour relève l’arrêt prononcé par la Cour constitutionnelle en date du 3 novembre 2004 (J.T.T., 2005, p. 210) par lequel cette dernière a estimé que le caractère irréfragable de la présomption viole les articles 10 et 11 de la Constitution. Par analogie avec le raisonnement tenu par la Cour constitutionnelle, la Cour du travail estime que la présomption irréfragable contenue dans l’arrêté royal du 19 décembre 1967 est également contraire au principe d’égalité, de sorte qu’elle doit être écartée en application de l’article 159 de la Constitution. La Cour relève par ailleurs l’illégalité de l’arrêté royal eu égard à l’absence de motivation de l’urgence pour la dispense de l’avis au Conseil d’état. Elle en conclut dès lors, pour l’application des présomptions, qu’il faut en revenir à la situation antérieure et admettre ainsi la possibilité pour l’indépendant de rapporter la preuve contraire.

Après cet important rappel des principes, la Cour du travail examine la situation en l’espèce. Elle relève que la décision critiquée se fonde sur l’exercice d’un mandat d’administrateur au sein de la société A., de même qu’au sein de la société C. et, pour celle-ci, également sur la taxation opérée par l’administration fiscale.

Sur le mandat au sein de la société B., la Cour relève qu’à la suite de la cession du fonds de commerce et l’absence de reprise d’un nouveau en juin 1993, la société n’a plus exercé la moindre activité, de sorte que le mandataire n’a pas non plus pu exercer lui-même une activité professionnelle. Aucune cotisation ne peut dès lors être réclamée eu égard à l’existence du mandat d’administrateur au sein de cette société.

Sur le mandat au sein de la société C. et la qualification de revenus professionnels appliqués par l’administration fiscale, la Cour du travail relève que la société n’a eu qu’une seule activité, consistant à la vente d’un bien immobilier en janvier 1995 et d’un solde de biens mobiliers l’année suivante. Estimant que la vente en 1996 du petit mobilier constitue un acte isolé de liquidation, la Cour retient que, depuis le 2e trimestre 1995 la SA C. n’a plus eu d’activité commerciale, de sorte que les administrateurs n’ont pas pu non plus exercer une activité professionnelle au sens de la réglementation. Quant à l’aveu de faillite, il s’agit d’un acte isolé de gestion. Ce n’est dès lors pas non plus le mandat exercé au sein de la société C. qui peut justifier la débition des cotisations sociales. La Cour rappelle à cet égard que, vu le caractère d’ordre public de la réglementation, le fait que le droit à la pension n’a été ouvert qu’à dater de janvier 1998 ne peut être opposé à l’intéressé.

En conséquence, la Cour réforme le jugement et déboute la caisse de sa demande originaire.

Intérêt de la décision

La décision commentée contient une synthèse claire et précise des dispositions en matière d’assujettissement des mandataires de société.

Elle présente également un intérêt en ce qu’elle se prononce sur la possibilité de retenir l’existence d’une activité professionnelle dans le chef d’un mandataire dès lors que la société commerciale n’a elle-même plus aucune activité. Dès lors que l’absence d’activité dans le chef de la société est démontrée, l’administrateur prouve l’absence d’activité dans son chef et échappe dès lors à l’assujettissement. Il est intéressant de noter que l’absence d’activité dans le chef de la société commerciale peut être établi dès lors que celle-ci a cédé son activité sans en reprendre une autre.


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