Terralaboris asbl

Précisions sur le critère d’aptitude dans le licenciement abusif de l’ouvrier

Commentaire de C. trav. Liège, 5 septembre 2012, R.G. 2011/AL/270

Mis en ligne le mardi 30 octobre 2012


Cour du travail de Liège, 5 septembre 2012, R.G. n° 2011/AL/270

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 5 septembre 2012, la Cour du travail de Liège examine l’incidence de périodes d’incapacité de travail sur le critère de licenciement autorisé par l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978 qu’est l’aptitude du travailleur à l’exercice de sa fonction.

Les faits

Un ouvrier, au service d’une société de transports publics, travaille en qualité de chauffeur de bus depuis près de huit ans lorsqu’il est licencié. Le motif repris dans la lettre de licenciement est que sur la période concernée, fixée à sept années par l’employeur, l’intéressé a eu non moins de 199 jours d’absence et que la Commission de passage à l’effectif a d’ailleurs décidé à plusieurs reprises (8) de retarder celui-ci en raison d’un absentéisme trop important. La société signale qu’elle a constaté que l’intéressé ne remplissait plus les conditions requises pour rester en service, d’où la notification du licenciement, intervenu aussitôt.

La société fait figurer sur le C4, comme motif précis du licenciement la mention « absentéisme important ».

Une procédure est lancée contre la société, et ce devant le Tribunal du travail de Bruxelles. Elle porte sur une demande de condamnation au paiement de l’indemnité de six mois prévue à l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978 au titre de licenciement abusif et sur d’autres sommes, étant la régularisation de l’indemnité compensatoire de préavis, le remboursement d’une retenue injustifiée, une prime de fin d’année ainsi que des dommages et intérêts pour absence d’audition préalable au licenciement.

Le Tribunal du travail de Bruxelles déboute l’intéressé et la cour du travail considère que l’appel (formé par chacune des parties sur ses chefs de demande respectifs) est non fondé. La société se pourvoit en cassation et le travailleur saisit également la Cour suprême de sa position.

La Cour de cassation rend un arrêt le 3 janvier 2011, décrétant le désistement du pourvoi de l’employeur et accueillant le pourvoi du travailleur. L’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles ayant été cassé, la Cour du travail de Liège est dès lors saisie de l’appel du jugement rendu par le tribunal du travail de Bruxelles.

Moyens des parties devant la Cour du travail de Bruxelles

A titre principal, l’intéressé, qui avait dans un premier temps demandé la requalification du contrat, avec les conséquences attachées à cette demande, sollicite qu’en application de l’article 63 de la loi sur les contrats de travail la cour reconnaisse le caractère abusif du licenciement. Il forme une demande à titre subsidiaire, étant d’obtenir la condamnation de l’employeur à des dommages et intérêts pour abus de droit de licencier. Il a ainsi abandonné la question de la requalification.

En ce qui concerne le motif de licenciement, il fait essentiellement valoir que les incapacités de travail qui l’ont affecté (et dont il conteste l’importance eu égard aux chiffres avancés par la société) ne peuvent constituer le motif licite requis, étant le motif lié à l’aptitude au travail. Il précise plus particulièrement qu’après chaque période d’incapacité il a pu reprendre le travail normalement et, s’il y a eu un certain absentéisme, dû aux périodes d’incapacité de travail, il considère que l’employeur n’établit nullement le lien de causalité entre ses absences et le licenciement. Pour lui, le motif réel est la décision prise par la Commission (interne) du passage à l’effectif, selon laquelle il ne remplirait plus les conditions requises pour son maintien en fonction, conditions dont il relève qu’elles sont inconnues, aucune précision n’ayant été donnée à cet égard.

Il fait encore valoir, dans un autre ordre d’idées, que l’absence d’audition préalable au licenciement est une faute génératrice d’un dommage spécial, qui réside dans la perte d’une chance de conserver un emploi.

A titre subsidiaire, il demande réparation de l’équivalent du préjudice fixé par l’article 63, dans un autre cadre juridique, étant celui de la théorie générale de l’abus de droit.

Quant à la société, elle fait valoir que le licenciement, au sens de l’article 63, est justifié vu qu’il est fondé sur les nécessités du fonctionnement de l’entreprise et lié au comportement et à l’aptitude physique du travailleur. La société reprend le catalogue des absences du travailleur et, en ce qui concerne l’audition, conteste avoir une obligation légale de procéder à celle-ci préalablement au licenciement de son personnel.

Décision de la Cour du travail de Liège

La cour va statuer sur deux questions bien distinctes, étant d’abord celle de savoir si les conditions figurant dans l’article 63 sont réunies et, ensuite si l’employeur a commis une faute en ne procédant pas à l’audition du travailleur.

En ce qui concerne le premier point, elle rappelle les principes en la matière, en ce compris sur le plan de la preuve et précise qu’elle s’attachera essentiellement à l’examen du motif tel qu’invoqué par l’employeur, étant un important absentéisme au travail, envisagé sous tous les aspects de la disposition légale, étant le comportement ou l’aptitude du travailleur et les nécessités du fonctionnement de l’entreprise.

Elle va en premier lieu procéder à un recalcul des journées d’absence, dans la mesure d’une part où ont été pris en compte des jours de repos (qui ne sont dès lors pas à comptabiliser) et d’autre part où une absence de plus de trois mois a été due à un accident (absence continue).

Après avoir procédé ainsi à un recomptage, la cour compare le taux d’absence de l’intéressé au taux admis par la société pour l’ensemble de ses chauffeurs pour la même année. Il y a, dans le chef du chauffeur concerné, un taux de 7,3% alors que celui admis par la société comme moyenne est de 6,23%. La cour précise que, si l’on neutralise la longue période d’incapacité liée à un accident, le taux moyen est de 3,5%. Elle en conclut qu’il ne peut s’agir d’un absentéisme anormalement important.

Elle écarte ensuite que cette situation puisse être examinée à partir du critère du comportement du travailleur, rappelant que le fait d’être malade s’impose à celui-ci et qu’il ne s’agit dès lors pas d’un acte volontaire. Elle stigmatise la position de la société qui avait fait grief au chauffeur de ne pas avoir « essayé de s’améliorer » précisant qu’une absence pour cause de maladie échappe au contrôle et à la volonté du travailleur.

Plus délicate est la question de savoir si l’absentéisme peut constituer un motif serait licite lié à l’aptitude ou encore aux nécessités du fonctionnement de l’entreprise (à la condition, pour ce dernier critère, que les absences fréquentes du travailleur désorganisent l’activité de celle-ci).

Pour la cour, il faut examiner la question sous un angle bien précis, étant de savoir si les absences ont un lien avec l’aptitude physique, c’est-à-dire qu’elles sont susceptibles de démontrer que l’état de santé de l’intéressé aurait tant soit peu porté atteinte à sa capacité d’exercer sa tâche de chauffeur, tâche qu’il exerçait d’ailleurs, ainsi que l’arrêt le révèle, sans difficultés apparentes qui soient prouvées, lorsque le licenciement est intervenu.

Et la cour de rappeler les difficultés d’organisation qui découlent de l’absence d’un travailleur mais également de préciser que celles-ci ont un impact différent en fonction de la taille de l’entreprise, du nombre de travailleurs qu’elle occupe ainsi que d’autres critères annexes (caractère spécialisé ou non des tâches de l’intéressé).

S’il fallait examiner la question sous l’angle des nécessités du fonctionnement de l’entreprise, il faudrait, comme elle le précise, établir que le bon fonctionnement de celle-ci est perturbé. Or, rien de tel ne ressort des pièces déposées par la société.

Dès lors, la cour considère ne pas pouvoir suivre la position de celle-ci, qui expliquait qu’il lui était impossible de compter sur la disponibilité de l’intéressé, et ce au motif qu’elle ne pourrait davantage compter sur celle de la moyenne de ses agents. De l’ensemble de tous ces éléments, la cour retient qu’il n’est pas établi que le motif du licenciement licite. Elle alloue dès lors l’indemnité prévue à l’article 63 de la loi du 3 juillet 1978.

Sur la deuxième question, elle va cependant conclure que, même si l’employeur est une autorité administrative, il ne commet aucune faute en ne procédant pas à l’audition du travailleur.

Intérêt de la décision

Cet arrêt est certes très intéressant, essentiellement sur l’analyse qu’il fait du lien entre l’incapacité du travail donnant lieu à un certain absentéisme et le critère licite de licenciement contenu à l’article 63 qu’est l’aptitude du travailleur. En l’occurrence, il n’est pas établi que les périodes d’absence pour incapacité de travail détermineraient le manque d’aptitude du travailleur à sa fonction et la cour révèle d’ailleurs qu’au moment où il fut licencié, l’intéressé exerçait celle-ci normalement.

Sur la deuxième question, il y a lieu de relever que cette position de la Cour du travail de Liège est minoritaire.


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