Terralaboris asbl

Cotisations au statut social des travailleurs indépendants – prescription des cotisations dues par les mandataires de société

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 23 avril 2012, R.G. 2010/AB/805

Mis en ligne le mercredi 7 novembre 2012


Cour du travail de Bruxelles, 23 avril 2012, R.G. n° 2010/AB/805

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 23 avril 2012, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les règles relatives à la prescription des cotisations de sécurité sociale dans l’hypothèse de débiteurs solidaires.

Les faits

Un mandataire de S.P.R.L. débute une activité indépendante le 1er septembre 1997.

12 ans plus tard, la société et lui-même sont poursuivis en paiement de cotisations sociales et d’accessoires, relatives à l’activité exercée par ce dernier. Ces cotisations sont relatives au 4e trimestre 1998.

La décision judiciaire

Par jugement du 26 avril 2010, le Tribunal du travail de Bruxelles fait droit à la demande, par défaut à l’égard du gérant (sans domicile ni résidence connue en Belgique) et contradictoirement à l’égard de la société. La condamnation est prononcée solidairement.

Appel est interjeté par la société.

La décision de la cour

La cour est saisie d’un argument tiré de la prescription de la demande, argument présenté en vain devant le tribunal.

Elle rappelle d’abord les principes en matière de recevabilité de la demande, dans la mesure où l’arrêté royal du 19 décembre 1967 (exécutant l’arrêté royal n° 38) précise qu’avant de procéder au recouvrement judiciaire (ou à la contrainte), les caisses d’assurances sociales doivent envoyer un dernier rappel à l’assujetti, et ce par lettre recommandée. Ceci n’a pas été fait en l’espèce. La cour du travail rappelle cependant l’arrêt du 3 mai 2010 de la Cour de cassation (Cass., 3 mai 2010, S.09.0031.N), selon lequel cette obligation n’est soumise à aucune sanction, visant à éviter le recouvrement par voie judiciaire et les dépens résultant de la procédure. Il s’agit d’une obligation de diligence instaurée dans le chef des caisses sociales, mais qui ne s’oppose pas aux poursuites elles-mêmes. Le juge ne peut dès lors déclarer irrecevable une action qui ne serait pas précédée de cette mise en demeure.

Elle en vient ensuite aux règles en matière d’interruption de la prescription.

Le délai de 5 ans prévu à l’article 16, § 2 de l’arrêté royal n° 38 commence le 1er janvier qui suit l’année pour laquelle les cotisations sont dues. En ce qui concerne les cotisations de régularisation dues en cas de début d’activité, le délai prend cours à partir du 1er janvier de la troisième année qui suit celui-ci (article 49 de l’arrêté royal). La prescription est interrompue non seulement selon les modes des articles 22, 44 et suivants du Code civil, mais également par une lettre recommandée de l’organisme en charge du recouvrement.

La cour rappelle également que la reconnaissance par le débiteur (ou le possesseur) du droit de celui contre lequel il prescrivait constitue également une cause d’interruption. Ceci n’est cependant pas le cas de la reconnaissance de dette, qui n’a d’effet interruptif qu’à l’égard d’une dette qui n’est pas encore prescrite. Par ailleurs, ceci ne vaut pas davantage en cas de prescription d’ordre public, où la reconnaissance de dette n’est pas – sauf dispositions expresses – une cause d’interruption.

Enfin, pour être valable en tant que cause d’interruption de la prescription, la lettre recommandée doit être signée par la personne compétente, et ce même si l’organisme qui en est l’expéditeur est celui qui est effectivement chargé du recouvrement (la cour rappelant ici l’arrêt de la Cour de cassation du 22 septembre 2003 (Cass., 22 septembre 2003, S.03.0014.N).

En ce qui concerne la solidarité, la société est en l’espèce tenue au paiement des cotisations sociales de ses mandataires à ce titre, et ce en application de l’article 15, § 1er, alinéa 3 de l’arrêté royal n° 38. La portée de cette solidarité n’est pas précisée dans la loi et doit dès lors être soumise aux règles du droit commun, étant d’une part que les poursuites faites contre l’un des débiteurs solidaires interrompent la prescription à l’égard de tous (article 1206 du Code civil) et que, d’autre part, en ce qui concerne les personnes morales, tout acte d’interruption de la prescription fait à l’égard d’un associé (ou d’un mandataire, ou encore d’un autre codébiteur solidaire) interrompt la prescription vis-à-vis de la société.

En l’espèce, la cour examine les actes interruptifs invoqués, étant une reconnaissance de dette (consistant en une demande de termes et délais), une demande de levée de responsabilité solidaire, ainsi encore qu’une lettre recommandée adressée ultérieurement à l’intéressé à son ancienne adresse.

La cour constate que la reconnaissance de dette, datant du 30 septembre 1999, peut être retenue comme une cause d’interruption de la prescription faisant courir un nouveau délai de 5 ans (la cour supposant que la prescription a déjà pris cours à ce moment, c’est-à-dire qu’il ne s’agissait pas de cotisations de régularisation).

Quant à la demande de levée de responsabilité solidaire, la cour estime ne pas pouvoir lui donner d’effet, n’étant pas une reconnaissance de dette et ne présentant pas le caractère de certitude requis (la société ignorant manifestement les éléments de la réclamation). N’ayant manifestement qu’un caractère conservatoire, cette demande n’est pas une cause d’interruption de la suspension.

Enfin, quant à l’envoi de la lettre recommandée, la caisse n’a pas à l’époque consulté le Registre national. L’intéressé avait quitté la Belgique pour l’Espagne sans adresse connue. La lettre recommandée envoyée à son ancienne adresse, étant la dernière adresse connue, est valable, dans la mesure où la nouvelle adresse n’apparaît pas au Registre national. Il y a dès lors une nouvelle cause d’interruption de la prescription. Reste encore à examiner si, du point de vue chronologique, cette dernière cause d’interruption est intervenue à temps et, pour ce, la cour considère qu’elle doit connaître la nature des cotisations réclamées, afin de déterminer si le délai a débuté le 1er janvier 1999 ou le 1er janvier 2000, la lettre de la caisse portant la date du 28 décembre 2004… Ceci conditionne en effet la recevabilité de la citation du 8 juin 2009.

Une réouverture des débats est dès lors ordonnée sur cette question.

Intérêt de la décision

Cet arrêt est un petit exercice où se mêlent les actes interruptifs, leurs effets dans le temps et, surtout, le point de départ de la prescription des cotisations réclamées.

Affaire à suivre…


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be