Terralaboris asbl

Indemnité journalière de remboursement de frais et cotisations de sécurité sociale

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 24 mai 2012, R.G. 2011/AB/527

Mis en ligne le mercredi 7 novembre 2012


Cour du travail de Bruxelles, 24 mai 2012, R.G. n° 2011/AB/527

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 24 mai 2012, la Cour du travail de Bruxelles examine la solution à réserver, sur le plan des cotisations de sécurité sociale, à des indemnités journalières allouées par l’employeur à du personnel prestant chez des clients.

Les faits

L’Inspection sociale de l’O.N.S.S. effectue une enquête à propos de frais forfaitaires payés par une société et de l’octroi d’avantages en nature (voiture). Suite à celle-ci, elle considère que doivent faire l’objet de cotisations des indemnités allouées d’une part aux travailleurs prestant au siège de la société et, d’autre part, à ceux occupés à l’extérieur. Il s’agissait, pour cette deuxième catégorie, d’informaticiens mis par la société au service de toute une série de sociétés, auprès desquelles ils s’occupaient de gestion de l’informatique, et ce pour des périodes de durée variable.

Citation fut ainsi lancée devant le Tribunal du travail d’Anvers en paiement de plus de 200.000 € de cotisations, majorations et intérêts. La société, qui avait effectué le paiement des sommes demandées, introduisit devant le premier juge une demande reconventionnelle en remboursement.

La décision du tribunal du travail

Par jugement du 5 février 2007, le Tribunal du travail d’Anvers déclara la demande principale fondée en ce qui concerne les indemnités forfaitaires allouées aux travailleurs prestant en dehors de la société et également sur le poste relatif aux avantages en nature (voiture de société).

Pour les travailleurs prestant en interne, le tribunal considéra que les indemnités allouées pouvaient être considérées comme des indemnités de frais, notamment eu égard à la distance parcourue entre le domicile et le lieu de travail. Le tribunal ordonna une réouverture des débats aux fins d’examiner plus avant les éléments de fait.

La décision de la Cour du travail d’Anvers

Suite à l’appel interjeté par la société, qui concluait au débouté entier de la demande de l’O.N.S.S., la Cour du travail d’Anvers confirma par arrêt du 16 janvier 2009 le jugement en ce qui concerne les indemnités forfaitaires de frais payées aux employés prestant en externe, celles-ci ne pouvant être considérées comme des frais. Elle confirma également le jugement sur les avantages en nature, mais le réforma en ce qui concerne les indemnités de frais payés au personnel prestant en interne, considérant que le montant forfaitaire octroyé pouvait être considéré comme des frais réels.

L’arrêt de la Cour de cassation du 4 octobre 2010

La société se pourvut en cassation, qui, par arrêt du 4 octobre 2010, cassa l’arrêt de la Cour du travail d’Anvers, pour une question de contrariété dans les motifs (cassation sur pied de l’article 149 de la Constitution).

L’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 24 mai 2012

Après avoir examiné l’étendue de sa saisine, la cour reprend, dans un examen fouillé, la question des remboursements de frais, sous l’angle de l’assujettissement à la sécurité sociale.

La définition de rémunération, visée à l’article 14, § 2 de la loi du 27 juin 1969 sur la sécurité sociale des travailleurs salariés, renvoie au concept de rémunération retenu par la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération (article 2). Dans l’arrêté royal du 28 novembre 1969 (article 19, § 2, 4°), il est précisé que ne constituent pas de la rémunération les remboursements de frais exposés par le travailleur pour se rendre de son domicile à son lieu de travail.

La cour reprend notamment l’arrêt de la Cour de cassation du 14 janvier 2002 (Cass., 14 janv. 2002, S.000193.F, J.T.T., 14 janv. 2002, p. 116 et conclusions du Procureur général LECLERCQ), selon lequel, en cas de contestation sur le caractère rémunératoire des sommes payées aux travailleurs au titre de remboursement de frais dont la charge incombe à l’employeur, il appartient à l’O.N.S.S., chargée de percevoir les cotisations de sécurité sociale, d’établir que ces sommes ne constituent pas le remboursement de tels frais.

La cour du travail rejette que l’O.N.S.S. puisse se fonder sur la loi-programme du 23 décembre 2009 (articles 64 et 65), celle-ci n’étant entrée en vigueur que le 1er janvier 2010, soit postérieurement aux faits de la cause.

Elle examine ensuite les éléments apportés par la société, étant de savoir à quoi correspondent les indemnités allouées, la société exposant qu’elles étaient destinées à l’achat de littérature professionnelle, à la participation à des séminaires, à l’achat d’un ordinateur, ainsi qu’à des frais relatifs au domicile (frais de téléphone, frais de représentation et indemnités de repas).

Le personnel ayant été entendu à ce propos, la cour relève qu’aucune obligation n’était faite aux membres du personnel d’effectuer les achats correspondants et qu’il n’est pas non plus établi qu’il s’agissait de frais propres à l’employeur, ceux-ci visant à la fois les achats de littérature professionnelle, la présence à des séminaires, ainsi que l’achat d’un ordinateur.

Par ailleurs, la réalité de frais exposés au domicile, en ce compris les frais de téléphone, n’était pas établie, non plus que les frais de représentation.

La cour s’attache cependant plus particulièrement aux frais de repas. Elle rappelle que, en règle, l’employeur n’a pas l’obligation de prévoir des repas pour les travailleurs pendant leurs heures de travail. Il est cependant tenu de mettre à leur disposition l’infrastructure suffisante afin qu’ils puissent consommer leur repas dans le calme et les conditions d’hygiène requises.

La question se pose dès lors pour les travailleurs non sédentaires. La cour relève que, pour ce genre de travailleurs, prestant en externe, l’O.N.S.S. admet qu’une indemnité journalière forfaitaire peut leur être allouée, indemnité non soumise aux cotisations de sécurité sociale. La cour relève que, à partir du site web de l’O.N.S.S., les montants admis sont de 6 € ou 10 €, selon les situations.

La cour constate cependant que les informaticiens prestant en externe ne peuvent être comparés à des travailleurs non sédentaires, dans la mesure où ils se trouvent, la totalité du temps, dans un environnement de travail normal et dans la mesure où, par exemple, ils peuvent avoir accès au restaurant d’entreprise de la firme où ils sont attachés, moyennant, cependant, une contribution financière égale au tarif appliqué aux visiteurs de ladite firme (un peu plus élevé que celui des travailleurs de l’entreprise).

Sur cette base, et par analogie avec la situation des travailleurs amenés à l’époque à prendre leur repas à l’extérieur de l’entreprise et pour qui une indemnité journalière de 4,46 € était admise, à titre forfaitaire, la cour retient ce chiffre comme pouvant constituer le remboursement de frais propres à l’employeur. Si celui-ci n’a pas l’obligation de prendre en charge le coût du repas, il peut être tenu d’assumer le surcoût.

La cour va dès lors réformer partiellement le jugement du Tribunal du travail d’Anvers et considérer que la régularisation des cotisations sur les indemnités journalières visant les travailleurs prestant en externe doit être limitée à la partie de l’indemnité qui dépasse les 4,46 € par jour. Une réouverture des débats est ordonnée aux fins de procéder à un calcul exact.

Intérêt de la décision

Dans cet arrêt – tranchant une question fréquemment rencontrée –, la Cour du travail de Bruxelles s’attache à définir la notion de frais propres à l’employeur. S’agissant d’une hypothèse tout à fait spécifique, concernant essentiellement des travailleurs prestant en externe et amenés à exposer des frais en vue de leur repas de midi, la cour retient, par analogie, le montant admis au titre de remboursement de frais pour les travailleurs amenés à prendre un repas en dehors de leur domicile, comme pouvant constituer le remboursement de frais propres à l’employeur, et ce même si le montant réel est différent (à la hausse ou à la baisse).


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