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Travailleur cumulant deux temps partiels : droit aux indemnités de mutuelle en cas de suspension de l’un des deux

Commentaire de C. trav. Liège, sect. Namur, 24 juillet 2012, R.G. 2012/AN/19

Mis en ligne le vendredi 16 novembre 2012


Cour du travail de Liège, section Namur, 24 juillet 2012, R.G. n° 2012/AN/19

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 24 juillet 2012, la Cour du travail de Liège, Section Namur, interroge la Cour constitutionnelle sur la possibilité d’une discrimination en cas d’occupation de deux temps partiels avec suspension de l’un des deux pour raisons de santé par rapport à l’exercice d’un emploi à temps plein, et ce eu égard au droit aux indemnités d’incapacité de travail.

Les faits

Un travailleur salarié cumule deux mi-temps (aide-cuisinier dans une maison de repos et nettoyage). Il cesse quelques mois plus tard son activité de technicien de surface pour des raisons médicales (allergies aux détergents) et est pris en charge par son organisme assureur. Il poursuit cependant l’autre mi-temps. Dans son activité de nettoyage, il est licencié quelques mois plus tard pour force majeure médicale. L’ONEm admet la prise en charge provisoire pour la période précédant son licenciement, période à partir de laquelle le médecin-conseil avait mis fin à l’état d’incapacité de travail, au motif que l’intéressé ne présentait plus une incapacité de travail de 66% pour ses allergies.

Un recours a été introduit devant le Tribunal du travail de Namur qui, par jugement du 15 décembre 2011, a désigné un expert.

Appel est interjeté par l’organisme assureur, qui considère que l’intéressé n’a pas cessé toute activité professionnelle (vu qu’il conservait un mi-temps). A titre subsidiaire, il conteste l’incapacité de travail.

Décision de la cour

La cour est ainsi amenée à rappeler l’article 100 de la loi du 14 juillet 1994 relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités, qui définit l’incapacité de travail dans le secteur. Elle rappelle ensuite les conditions auxquelles un travailleur incapable de travailler doit répondre pour bénéficier des indemnités, conditions parmi lesquelles figure celle d’avoir cessé toute activité. Il ne peut en outre exercer un travail que si celui-ci a préalablement été autorisé par le médecin-conseil.

La cour est ainsi amenée à définir la notion d’activité au sens de la disposition légale et conclut que la reprise d’une activité professionnelle est incompatible avec le maintien de la reconnaissance de l’état d’incapacité et que le travailleur qui se trouve dans cette situation est en effet censé être inapte à exercer une activité, sauf dans l’hypothèse de l’autorisation demandée au médecin-conseil d’une reprise.

En l’espèce, la situation et plus complexe du fait que l’assuré social exerce deux activités professionnelles et que l’une des deux est poursuivie. Il n’y a dès lors pas cessation d’activité, condition exigée par l’article 100, § 1er et il n’y a pas non plus reprise d’activité mais poursuite d’une activité.

Dans une telle situation, la cour du travail rappelle la discussion en jurisprudence, discussion qui oppose deux courants.

Pour les tenants de la première thèse, l’assuré social doit avoir l’accord du médecin-conseil pour poursuivre l’autre activité tout en étant reconnu incapable de travailler. Il est dès lors possible de poursuivre ou de reprendre une activité tout en continuant à bénéficier du droit aux indemnités mais ceci requiert l’accord préalable du médecin-conseil et l’autorisation donnée est ainsi liée à la reconnaissance d’une incapacité de 50% au moins.

Par ailleurs, le courant majoritaire considère qu’un assuré social ne peut bénéficier des articles 100, § 2 et 101 de la loi que s’il était d’abord soumis au régime de l’article 100, § 1er. Le médecin-conseil ne peut dès lors situer à une même date le début de l’incapacité reconnue et la reprise de travail autorisée.

Dans ce débat, une question a d’ailleurs été posée par le Tribunal du travail de Huy à la cour constitutionnelle dans une hypothèse où une assurée sociale exerçait deux activités professionnelles (salariées) et où elle avait dû suspendre l’une des deux suite à un burnout tout en poursuivant l’autre.

En l’espèce, la cour va retenir que le médecin-conseil était au courant de la poursuite de l’activité salariée dans le cadre de l’autre contrat de travail et qu’il aurait dû examiner le droit à l’octroi d’une autorisation « de reprise » d’activité s’il envisageait l’application 100, § 2 de la loi (dans l’interprétation où cette disposition vise à la fois la reprise et la poursuite).

Si, par ailleurs, il fallait adopter une interprétation plus restrictive, la cour considère que se pose une question plus fondamentale, étant une discrimination à l’égard de deux personnes qui exercent deux activités concomitantes, soit deux temps partiels (situation fréquente mais qui n’a pas été envisagée par le législateur en 1963), ou qu’il y a une activité salariée et une activité complémentaire ou non en qualité d’indépendant.

L’hypothèse rencontrée en l’espèce, étant l’obligation de mettre un terme à une des deux activités et non à l’autre est fréquente. Il n’y a dès lors pas de cessation complète.

Il faut dès lors, pour la cour du travail, régler une question fondamentale, étant de savoir si à supposer que s’il faut interpréter la disposition comme signifiant que l’autorisation du médecin-conseil ne peut porter que sur une reprise d’activité après une cessation totale due à l’état de santé, il n’y a pas une discrimination.

La cour relève encore que la discrimination peut se situer non dans l’article 100, § 2 mais dans l’article 100, § 1er en ce qu’il impose la cessation complète de toute activité professionnelle sans égard à la situation des personnes qui exercent simultanément plus d’une activité. Il pourrait s’agir dans ce cas d’un manquement dans le texte de la loi et pour la cour, l’on voit mal comment elle pourrait combler la lacune sans faire œuvre de législateur.

Deux questions sont dès lors posées à la Cour constitutionnelle.

La première porte sur l’interprétation de l’article 100, § 1er de la loi comme limité à la reprise d’une activité après autorisation du médecin-conseil, qui engendrerait dans le cadre de l’article 100, § 2 une discrimination injustifiée entre les travailleurs occupés à temps plein ou dans un seul emploi (travailleurs tenus de suspendre leurs activités professionnelles) et les travailleurs occupés concomitamment dans deux emplois et qui ne devraient suspendre que l’un des deux.

La deuxième question libellée par la cour vise l’hypothèse où la lacune se situerait dans l’article 100, § 1er, qui impose la cessation complète de toute activité. Le texte n’est-il pas ainsi source de discrimination injustifiée entre un travailleur à temps plein occupé dans un seul emploi et un travailleur qui occupe concomitamment deux emplois et ne va suspendre l’exécution de l’un de ceux-ci.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Liège (sect. Namur) demande l’intervention de la Cour constitutionnelle dans une problématique récurrente, qui se développe dans le cadre d’un texte légal non approprié à de nombreuses situations professionnelles, étant en l’espèce le cumul de deux mi-temps. La cour vise particulièrement l’articulation des articles 100 et 101, avec les principes qui y sont développés relatifs à l’obligation de cessation complète d’une activité professionnelle ouvrant le droit aux indemnités d’incapacité.


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