Terralaboris asbl

Organismes assureurs : dispense d’inscription en frais d’administration. Petit rappel des conditions

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 6 août 2012, R.G. 2006/AB/49.199

Mis en ligne le mardi 11 décembre 2012


Cour du travail de Bruxelles, 6 août 2012, R.G. n° 2006/AB/49.199

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 6 août 2012, la Cour du travail de Bruxelles rappelle, force jurisprudence à l’appui, les conditions de dispense d’inscription en frais d’administration, en cas d’impossibilité de récupération d’indu.

Les faits

Des paiements indus apparaissent, en faveur d’un laboratoire de biologie clinique, suite à différents de contrôle de l’INAMI. Celui-ci informe l’organisme assureur et une procédure est entamée contre le laboratoire (à la fois contre l’ASBL et contre le médecin responsable) devant le Tribunal du travail de Charleroi.

Après un premier jugement rendu le 7 septembre 1992, déclarant une partie des demandes prescrites, un second est rendu le 15 janvier 1996 ? condamnant le laboratoire à payer un montant de l’ordre de 97.000€ à l’organisme assureur. Pour le tribunal, il y a bonne foi du laboratoire, qui a pu croire, suite à une lettre d’un médecin-inspecteur de l’INAMI, qu’il était autorisé à effectuer les prestations concernées et à introduire une demande d’intervention. Le jugement est rendu contre l’ASBL, le médecin ayant été mis hors cause.

À l’époque, l’ASBL est mise en liquidation et l’organisme assureur assigne la liquidatrice en intervention forcée. Un nouveau jugement est alors rendu mais ne peut être exécuté vu l’absence d’actif. Vu l’état d’irrécouvrabilité, l’organisme assureur sollicite en fin de compte la dispense d’inscription des paiements en frais d’administration. L’INAMI rejette celle-ci, au motif de l’absence de diligence dans le recouvrement.

Le Tribunal du travail de Bruxelles rejette le recours introduit, et ce par jugement du 25 septembre 2006.

Thèse des parties devant la cour du travail

L’organisme assureur, appelant, conteste le manque de diligence. Il considère en effet que la cour n’est saisie que de l’examen de la régularité de l’acte administratif, qui ne faisait pas référence à ce fondement, se référant uniquement à l’article 1409 du Code judiciaire (ainsi qu’à l’absence de saisie conservatoire effectuée). Il rappelle la chronologie des faits et détaille les diverses étapes de la procédure, pour laquelle le tribunal avait considéré qu’il n’y avait pas manque de diligence dans son suivi.

En ce qui concerne l’absence de saisie conservatoire, il considère qu’il est délicat d’imposer à un organisme assureur d’introduire une procédure devant le juge des saisies si les conditions exigées par le Code judiciaire ne sont pas réunies, et ce au seul motif que l’indu à récupérer est important. Il rappelle qu’en cas de dissolution d’une ASBL, il y a concours de créances, auquel sont applicables les règles de concours en cas de faillite, dont l’égalité des créanciers chirographaires. La mesure de saisie est, dans l’hypothèse d’un tel concours, sans effet. En outre, la créance doit être certaine et exigible, liquide, ou susceptible d’une estimation provisoire.

Il fait également valoir qu’il ne disposait d’aucun élément permettant d’affirmer que le laboratoire risquait de devenir insolvable et que la jurisprudence est stricte en ce qui concerne l’autorisation à donner à un organisme assureur de pratiquer une saisie conservatoire. Il invoque notamment un jugement du tribunal du travail de Bruxelles du 13 septembre 2007 (R.G. 69.452/04) concernant une maison de repos, où, en l’absence d’éléments permettant d’établir une insolvabilité éventuelle, le tribunal a considéré qu’une demande de saisie introduite dans ces conditions aurait été « prudemment » rejetée pour défaut de célérité.

Pour l’organisme assureur, l’INAMI n’établit dès lors pas que la condition de célérité était remplie en l’espèce.

Il fait encore valoir à titre subsidiaire que, à supposer établi un prétendu manque de diligence, celui-ci aurait été sans incidence sur la non-récupération et se réfère à cet égard à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 15 novembre 2006 contre lequel un pourvoi a été rejeté par arrêt de la Cour de cassation du 26 mai 2008 (S.07.0083.F)

Quant à l’INAMI, il conclut que la condition de célérité était remplie et que le caractère certain et liquide de la créance était suffisant pour introduire une procédure de saisie conservatoire.

Sur le caractère aléatoire de la récupération, il rappelle que celui-ci – à la supposer établi – ne justifie pas le manque de diligence de l’organisme assureur dès lors que ce manque de diligence est déjà présent à un moment où ledit organisme assureur ignorait tout de la situation financière de son affilié (se référant ici à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 4 janvier 2007, R.G. n° 47.175).

Il fait encore valoir que l’organisme assureur ne peut invoquer après coup l’insolvabilité de son débiteur pour justifier l’absence d’initiative de sa part en vue de récupérer l’indu (se référant à la jurisprudence de la Cour du travail de Bruxelles - C. trav. Bruxelles, 24 décembre 2008, R.G. n° 49.824).

Décision de la cour du travail

La cour du travail va reprendre très longuement les principes en matière de saisie et va conclure à la réformation du jugement.

Après avoir rappelé les dispositions applicables, étant l’article 164, alinéa 4 de la loi coordonnée du 14 juillet 1994 ainsi que l’article 327 de son arrêté royal d’exécution, la cour souligne que l’appréciation de la condition de célérité est très stricte en jurisprudence, celle-ci exigeant qu’un danger existe quant à l’insolvabilité du débiteur. La célérité signifie que la crainte existe que la récupération de la créance soit mise en péril par l’insolvabilité actuelle ou future, menaçant le débiteur ou par celle que ce dernier se préparerait d’organiser. La cour renvoie à la jurisprudence de la Cour de cassation du 26 juin 2000 (RW 00-01, p. 1166) et constate, d’ailleurs, en l’espèce, le peu d’effet qu’aurait eu celle-ci, vu l’obsolescence frappant rapidement le matériel médical. Elle relève que dans le rapport de la liquidatrice les biens sont repris pour une valeur résiduelle de zéro. Enfin, la cour souligne les difficultés procédurales rencontrées par l’organisme assureur.

Elle conclut que le manque de diligence – à le supposer établi (quod non) – ne pouvait être à l’origine de la non-récupération de l’indu. Or, le manque de diligence de l’organisme assureur à poursuivre la récupération de celui-ci ne peut faire obstacle à la dispense que dans la mesure où il a pu influencer cette récupération. C’est l’enseignement d’un arrêt de la Cour suprême du 26 mai 2008 (S.07.0083.F), auquel la cour renvoie également.

Elle va dès lors réformer le jugement a quo.

Intérêt de la décision

Dans cette délicate question, la cour du travail a rendu un autre arrêt le même jour (R.G. 2007/AB/50.349), où elle a rappelé que l’obligation qui s’impose aux organismes assureurs est une obligation de moyen et non de résultat (Cass., 13 janvier 1992, Pas, 1992, I, p. 423). Il s’agissait d’un cas de fraude, où un ophtalmologue était poursuivi pénalement pour avoir attesté de prestations n’ayant pas été réalisées par une personne disposant du diplôme requis pour ce faire. Dans cette hypothèse, le juge des saisies avait refusé l’autorisation de saisie conservatoire, au motif que la condition de célérité faisait défaut (les organismes assureurs ne mettant en évidence aucun élément établissant qu’ils pouvaient craindre que le recouvrement de leur créance soit mis en péril), et ce malgré l’existence d’un réquisitoire de renvoi correctionnel portant sur un montant très élevé. L’importance de l’indu n’est dès lors pas un élément de la condition de célérité.


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