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Reprise d’actif après faillite : quid de l’ancienneté ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 29 juin 2012, R.G. 2011/AB/610

Mis en ligne le jeudi 20 décembre 2012


Cour du travail de Bruxelles, 29 juin 2012, R.G. n° 2011/AB/610

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 29 juin 2012, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les termes de l’article 14 de la C.C.T. n° 32bis, qui permet, en cas de reprise d’actif après faillite, de prendre en compte l’ancienneté acquise par le travailleur chez son ancien employeur.

Les faits

Monsieur C. était au service d’une société depuis juin 1985, lorsqu’elle tomba en faillite le 31 janvier 1994. Le curateur résilia les contrats de travail le 1er février. L’intéressé reçut une indemnité compensatoire de préavis.

Il fut réengagé quelques jours plus tard par la société qui reprit l’actif de la société faillie. Dans un procès-verbal du Conseil d’Entreprise, figure la mention que les travailleurs dans cette situation étaient repris avec leur ancienneté.

L’intéressé fut licencié en septembre 2004.

L’organisation syndicale à laquelle il était affilié fit un courrier à la société, renvoyant à l’article 14 de la C.C.T. 32bis, considérant que l’ancienneté acquise auprès de la société faillie devait être prise en compte et que l’indemnité compensatoire de préavis devait être majorée en fonction de toute la période d’occupation.

La société restant sur sa position, l’intéressé introduisit un recours devant le Tribunal du travail de Bruxelles, qui le débouta, considérant que l’article 14 de la C.C.T. 32bis violait les articles 10 et 11 de la Constitution.

La décision de la cour

La Cour du travail de Bruxelles est amenée à examiner les dispositions de la C.C.T. n° 32bis conclue au sein du Conseil National du Travail et, particulièrement, ses articles 11 et suivants concernant les droits des travailleurs repris en cas de reprise d’actif après faillite. Elle reprend plus précisément l’article 14, en vertu duquel l’ancienneté acquise par le travailleur en raison de ses prestations de travail chez l’ancien employeur, de même que la période éventuelle d’interruption d’activité du travailleur précédant son nouvel engagement, à la suite de la faillite, sont prises en considération pour la détermination du délai ou de l’indemnité de préavis (disposition qui ne trouve cependant pas à s’appliquer en cas de licenciement pendant la période d’essai).

La cour renvoie à la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne, rendue dans le cadre de la Directive 77/187 du 14 février 1977 concernant le transfert d’entreprise et relève qu’elle n’est pas applicable à la faillite. Aussi, la C.C.T. 32bis prévoit-elle la réglementation applicable aux transferts d’entreprise conventionnels (chapitre II, auquel la Directive s’applique) et le transfert après faillite (chapitre III).

La cour relève que les deux situations sont fondamentalement distinctes. Dans le transfert conventionnel, les droits et obligations subsistent, disposition qui est la clé de voûte du système, avec les règles qui en découlent.

Ces dispositions ne valent pas en cas de reprise d’actif après faillite, situation dans laquelle le repreneur peut choisir les travailleurs repris (art. 12), les conditions de travail maintenues (art. 13) et appliquer la règle de l’ancienneté (art. 14) pour la détermination du délai de préavis (ou de l’indemnité), l’ancienneté du travailleur.

La cour renvoie également à l’arrêt de la Cour de cassation du 17 septembre 1990 (Arr. Cass., 1990-1991, p. 28, avec Conclusions du Ministère public), qui a considéré que le travailleur licencié par le curateur après la faillite a droit à un préavis (et, le cas échéant, à une indemnité de congé) même lorsqu’en cas de reprise de l’actif de l’entreprise faillie, il est repris par le nouvel employeur avec maintien des conditions de travail, conclues (ou appliquées) collectivement, qui existaient chez l’ancien employeur.

Par ailleurs, l’article 82 de la loi du 3 juillet 1978 peut également aboutir à ce que l’ancienneté soit prise en compte deux fois et la cour renvoie à plusieurs décisions de la Cour de cassation (dont Cass., 29 octobre 1990, n° 7170), où il a été décidé que, lorsque des parties ont été liées successivement par deux contrats de travail, la relation de travail n’est pas interrompue par la circonstance qu’il a été mis fin au premier contrat de travail par l’employé et que, pendant le délai de préavis en cours, un second contrat de travail a été conclu.

Revenant à la C.C.T. 32bis, la cour considère que les partenaires sociaux ont pu tenir compte de la position de la partie faible dans l’hypothèse d’une faillite et lui garantir des droits liés à son ancienneté, indépendamment du recours qu’elle pouvait faire valoir contre la faillite elle-même. Pour la cour du travail, l’ensemble des mesures doit être examiné et il s’est agi de rechercher un équilibre global, mesure qui n’est pas disproportionnée. Elle renvoie également à un arrêt de la Cour du travail de Liège (15 février 2000, J.T.T., 2000, p. 233), qui a considéré, sur l’article 14 de la C.C.T. 32bis, qu’il avait une justification objective et raisonnable et qu’il n’était pas en contradiction avec le principe d’égalité.

Elle renvoie également à la doctrine (R. PARIJS, “De arbeidsrechtelijke gevolgen van het faillissement en het gerechtelijk akkoord. T.a.v. de individuele arbeidsverhouding. In geval van voortzetting van de activiteiten door wijziging van werkgever – De overname van werknemers in geval van overname van activa na faillissement » in Gerechtelijk akkoord en Faillissement, V.A.31.9, 2007 en ATO-T-870), qui relève que le travailleur d’une société faillie ne dispose que d’un droit hypothétique au paiement d’une indemnité compensatoire de préavis, sans aucune garantie d’obtenir celle-ci, relevant également le délai avant de la percevoir, toutes circonstances qui font qu’une reprise avec l’ancienneté ne peut pas être considérée comme un privilège.

Enfin, la cour rappelle que l’intéressé ne peut prétendre au maintien de ses droits et obligations tels qu’ils découlaient du premier contrat et qu’il faut prendre en compte la rémunération fixée lors de sa reprise. La règle in solidum ne vaut pas davantage.

La cour va dès lors examiner les éléments de l’espèce et allouer une indemnité compensatoire de préavis de 18 mois.

Intérêt de la décision

Le cas tranché par la cour du travail est certes intéressant et il amène à rappeler les termes de l’article 14 de la C.C.T. 32bis, qui permet, dans le cadre d’une reprise d’actif après faillite, de maintenir l’ancienneté acquise par le travailleur en raison de ses prestations de travail chez l’ancien employeur, et ce pour la détermination du délai ou de l’indemnité compensatoire de préavis. La cour rappelle les débats en jurisprudence sur cette disposition. Rappelons que, ainsi que repris dans le commentaire de la C.C.T. lui-même, ce régime relatif à l’ancienneté s’applique aussi bien en cas de rupture du contrat par le travailleur que par l’employeur.


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