Terralaboris asbl

Etendue de la subrogation de l’organisme assureur

Commentaire de C. trav. Mons, 22 mai 2012, R.G. 1999/AM/16.308

Mis en ligne le jeudi 27 décembre 2012


Cour du travail de Mons, 22 mai 2012, R.G. n° 1999/AM/16.308

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 22 mai 2012, la Cour du travail de Mons d’une part aborde la question de l’obligation d’information dans le chef de l’entreprise d’assurances vis-à-vis de la mutuelle et d’autre part s’interroge sur la portée de la subrogation de celle-ci dans les droits de la victime de l’accident du travail, dans l’hypothèse où elles ont été fixées par une procédure judiciaire à laquelle elle n’était pas partie.

L’objet du litige

Les séquelles d’un accident du travail survenu à un ouvrier en date du 4 mai 1988 font l’objet d’une procédure judiciaire devant le Tribunal du travail de Tournai, qui ordonne une expertise par jugement du 22 décembre 1989. Dans le cours de l’expertise, l’entreprise d’assurances décide qu’il y a consolidation et signale à l’intéressé qu’il est tenu de reprendre le travail. Cette lettre est adressée en copie à l’organisme assureur en soins de santé et indemnités.

Le tribunal va statuer le 26 avril 1991, sur les séquelles, et ce suite au dépôt du rapport d’expertise. La période d’ITT se termine à la date fixée par l’assureur et l’incapacité permanente est de 15% à dater de celle où il avait considéré que le travail pouvait être repris.

En conséquence, l’entreprise d’assurances signale à l’organisme assureur qu’elle ne prendra pas en charge les soins de kinésithérapie exposés après la date de consolidation.

Près de trois ans plus tard, la mutuelle introduit une action devant le tribunal, demandant condamnation de l’assureur à lui rembourser des soins ainsi que des indemnités journalières qu’elle a versées après cette date. Le montant global avoisine les 30.000€.

Pour l’assureur, le jugement a fixé les séquelles de l’accident et il y a opposabilité à la mutuelle. Celle-ci ne peut avoir plus de droits que son affilié, et ce d’autant qu’elle a été dûment avisée par un courrier lui adressé en son temps. L’assureur fait également grief à la mutuelle de ne pas établir de lien causal entre les prestations en cause et l’accident.

Dans le cours de la procédure, la victime va également se manifester, par une intervention volontaire demandant que l’on reconnaisse une aggravation.

L’ensemble du litige fait alors par jugement du 25 septembre 1998 l’objet d’une mesure d’instruction, un expert devant déterminer la durée et le taux de l’incapacité temporaire, la date de consolidation des lésions et le taux d’IPP. Sont également visés les frais médicaux dont la mutuelle réclame le remboursement (question du lien causal). L’expert doit se prononcer en outre sur la majoration du taux à dater de la demande en intervention.

Pour le tribunal, en effet, le jugement statuant sur le rapport d’expertise n’est pas opposable à la mutuelle et l’assureur-loi a négligé le recours subrogatoire de celle-ci en s’abstenant de l’informer de l’issue du litige.

Décision de la cour du travail

La cour est dès lors saisie de la question de l’obligation d’information de l’entreprise d’assurances, tel qu’il existait à l’époque des faits.

Elle rappelle que, en ce qui concerne la législation en matière de soins de santé et indemnités, était à l’époque applicable l’article 76quater, § 2 de la loi du 9 août 1963. En vertu de cette disposition, il y a subrogation de plein droit de l’organisme assureur au bénéficiaire et une convention intervenue entre celui-ci et le débiteur de la réparation est considérée comme non opposable à la mutuelle à défaut d’accord de celle-ci.

Ce texte a été complété par la loi du 6 août 1993 portant des dispositions sociales et diverses, qui contient une obligation d’information. Est ainsi prévue l’obligation pour le débiteur de la réparation d’avertir l’organisme assureur de son intention d’indemniser (avec obligation de transmettre une copie des accords ou décisions de justice si la mutuelle n’est pas partie à ceux-ci). A défaut d’information, le débiteur de la réparation ne peut opposer à la mutuelle les paiements effectués en faveur du bénéficiaire et, en cas de double paiement, celui-ci reste acquis à ce dernier.

La cour constate qu’à l’époque des faits, cette obligation n’existait pas et que seul était applicable l’article 63 de la loi du 10 avril 1971, qui prévoit une obligation d’information tant au FAT qu’à la mutuelle en cas de refus par l’assureur-loi de prendre le cas en charge, de doute quant à l’application de la loi ou encore en cas de modification du pourcentage d’incapacité, toutes hypothèses absentes dans la présente espèce.

La cour en conclut dès lors qu’il ne peut être reproché à l’entreprise d’assurances d’avoir failli à une obligation d’information et relève que la mutuelle était avisée de l’existence d’une procédure, et ce avant l’audience de plaidoiries.

Le jugement rendu par le tribunal du travail, statuant sur les séquelles, entre l’entreprise d’assurances et la victime est passé en force de chose jugée et la cour en examine les effets, sur le plan des exceptions.

Il y a en effet subrogation de plein droit, en vertu de l’article 76quater, § 2 de la loi du 9 août 1963 de l’organisme assureur au bénéficiaire, c’est-à-dire que la totalité des droits et actions que celui-ci pourrait exercer à l’égard de son débiteur peuvent l’être par l’organisme assureur à concurrence de la totalité de ses débours. L’organisme assureur ne peut cependant exercer d’autres droits que ceux que la victime aurait pu faire valoir et l’entreprise d’assurances peut soulever contre lui les moyens de défense et exceptions, y compris celle de chose jugée, qu’il pourrait opposer à la victime. La cour du travail rappelle un arrêt de la Cour de cassation su 30 mai 1986 (Cass., 30 mai 1986, Pas., I, p.1087), selon lequel l’autorité de la chose jugée en matière civile ne s’impose pas uniquement aux parties à la décision judiciaire mais également à ceux qui sont subrogés dans leurs droits.

Cette règle est valable pour les exceptions qui existent avant la subrogation. Elle ne l’est cependant pas pour celles nées postérieurement au paiement des prestations qui a réalisé le transfert de la créance. La cour cite ici plusieurs arrêts de la Cour de cassation (dont Cass., 23 février 1990, Bull., 1990, p.750). En effet, à dater de ce paiement, le droit de créance est acquis au subrogé et aucun acte relatif au subrogeant n’est susceptible de l’affecter. N’est dès lors pas opposable au subrogé l’exception de chose jugée afférente à un jugement qui serait rendu contre le subrogeant après le paiement effectué par le subrogé. En conséquence, l’exception de chose jugée ne peut en principe être opposée à la mutuelle que pour les débours exposés après la date du jugement et non pour ceux antérieurs à celui-ci.

La cour va dès lors considérer que la subrogation implique une double limitation des recours du subrogé, étant (i) limitation aux montants qui ont effectivement fait l’objet d’un paiement par le subrogé et (ii) limitation aux droits, actions et autre avantages dont bénéficiait le subrogeant envers le débiteur. Elle ordonne une réouverture des débats aux fins de permettre aux parties de faire valoir leurs arguments sur les conséquences à tirer de l’inopposabilité des exceptions nées après le paiement et aux effets de la subrogation (qui permet au subrogé d’exercer des droits du subrogeant contre le débiteur tels qu’ils auraient pu être exercés par lui).

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Mons contient un premier rappel clair, étant l’étendue des obligations de l’assureur-loi vis-à-vis de l’organisme assureur en soins et de santé et indemnités, dans le cadre de la loi du 10 avril 1971 d’une part et dans celui de la législation en matière de soins de santé et indemnités de l’autre. Il aborde, par ailleurs, une question complexe, étant l’étendue de la subrogation de l’organisme assureur dans les droits de la victime vis-à-vis de l’assureur loi, avec la question des exceptions pouvant être opposées, eu égard au paiement des prestations ayant réalisé le transfert de la créance.

Affaire à suivre donc …


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