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Contrôle de la recherche active d’emploi : illégalité de la sanction fixée par l’article 59sexies, § 6 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991

Commentaire de C. trav. Mons, 17 octobre 2012, R.G. 2011/AM/59

Mis en ligne le lundi 14 janvier 2013


Cour du travail de Mons, 17 octobre 2012, R.G. n° 2011/AM/59

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 17 octobre 2012, la cour du travail de Mons considère illégal, eu égard à l’article 159 de la Constitution, l’article 59sexies, § 6 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, en ce qu’il ne permet pas de modaliser la sanction infligée.

Les faits

Une dame K., née en 1971, a essentiellement travaillé dans des fonctions non spécialisées (serveuse de restaurant, réassortisseuse) et en qualité d’aide-soignante pendant deux ans au début des années 2000. Elle bénéficie des allocations de chômage depuis le 1er août 2002. Elle a trois enfants à charge.

La procédure de contrôle de recherche active d’emploi débute en septembre 2006, période où elle a son premier entretien d’évaluation. Son profil est étudié et il est particulièrement relevé que, étant de nationalité polonaise, elle sait lire le française mais non l’écrire. L’évaluation est à cette époque jugée positive. Deux ans plus tard, après un repos de maternité, elle participe à nouveau à un premier entretien, en janvier 2009. Elle déclare alors avoir suivi des cours de français avant son accouchement. Son évaluation est à cette époque négative, aucune preuve de recherche d’emploi n’étant apportée pour la période des sept mois précédant le repos de maternité. Elle signe un premier contrat, reprenant des engagements précis. Six mois plus tard, lors du deuxième entretien, il est constaté que plusieurs de ceux-ci n’ont pas été respectés et l’évaluation est négative. Un deuxième contrat lui est soumis, avec de nouveaux objectifs. Il est alors décidé, de réduire l’allocation de chômage durant quatre mois au montant journalier de 36,49€. Il s’agit de l’application de l’article 59quinquies, § 5, alinéa 5, § 6, alinéa 2, 1° et § 7 de l’arrêté royal. Cette décision ne fait pas l’objet d’un recours.

Près de six mois plus tard, un troisième entretien a lieu et l’évaluation est alors jugée négative, l’intéressée n’ayant adressé de candidature que de manière très insuffisante.

La décision est prise par l’ONEm de procéder à une réduction des allocations de chômage à un taux journalier de 37,22€ pendant six mois et de l’exclure, à l’issue de cette période (obligation pour elle de réunir à nouveau les conditions d’admissibilité ou d’avoir accompli le stage requis). Cette décision fait l’objet du recours.

L’intéressée en est déboutée par jugement du 21 janvier 2011, au motif qu’elle n’avait pas complètement respecté ses obligations. Le tribunal constate l’absence de possibilité de moduler la sanction en fonction de la gravité de la faute commise dans le cadre du contrat d’activation. Il se réfère pour ce à un arrêt du 29 juin 2010 de la cour du travail de Mons, qui avait conclu à la violation des articles 10 et 11 de la Constitution mais avait relevé que la discrimination résultant d’une lacune extrinsèque, seul le Roi pouvait la corriger.

Appel est dès lors interjeté par l’intéressée.

Position de parties en appel

Outre des explications données quant aux éléments de fait, dont ses problèmes de maniement de la langue française, ainsi que les efforts effectués en vue d’aboutir, l’appelante aborde la question juridique de la légalité de la sanction. Elle considère que l’article 59sexies, § 6 de l’arrêté royal devait être écarté pour contrariété aux articles 10 et 11 de la Constitution, et ce eu égard au dispositif de l’article 159 de celle-ci.

Décision de la cour du travail

La cour reprend de manière très détaillée les démarches effectuées et conclut que la preuve n’est pas rapportée du respect des engagements pris, et ce sur la base des objectifs fixés, l’intéressée étant étonnamment dans l’impossibilité de prouver l’envoi de courriers de postulation, ne produisant que des lettres qualifiées de lettres « de base » (étant des photocopies identiques, en ce compris pour ce qui est de la signature…).

Elle conclut dès lors au non respect d’un engagement important, rejoignant ainsi le tribunal.

En ce qui concerne les conséquences à en déduire, la cour reprend l’enseignement de l’arrêt rendu le 29 juin 2010 (C. trav. Mons, 29 juin 2010, R.G. n° 2008/AM/21.037), constatant qu’elle y a relevé l’existence d’une différence de traitement entre les chômeurs victimes de certaines mesures d’exclusion (soit celles de l’article 51 de l’arrêté royal) et d’autres (en l’occurrence celles visées par l’article 59quinquies, § 6). Le constat a été fait de l’absence de justification objective et raisonnable et manquant de proportionnalité par rapport à l’objectif pertinent et légitime poursuivi par les articles 59bis et suivants de l’arrêté royal. La cour rappelle que c’est précisément cette décision qui a été cassée par la Cour de cassation dans son arrêt du 10 octobre 2011 (Cass., 10 octobre 2011, S.10.0112.F), dans lequel la Cour suprême a rappelé que les juridictions contentieuses ont en vertu de l’article 159 de la Constitution le pouvoir et le devoir de vérifier la légalité interne et externe de tout acte administratif sur lequel est fondée la demande et que, dès lors qu’une violation a été constatée mais que le juge confirme la décision d’exclusion, il y a violation de l’article 159.

La cour va dès lors répondre à divers arguments invoqués par l’ONEm afin de s’opposer au constat d’inconstitutionnalité de la disposition litigieuse étant, d’une part qu’il y aurait lieu d’apprécier le comportement global du chômeur, dans le cadre de l’activation (contrairement au chômage volontaire) et que l’exclusion n’est décidée qu’au terme d’une procédure relativement longue et progressive.

L’ONEm souligne également que, au moment de l’appréciation du respect des obligations, la situation personnelle du chômeur est prise en compte (de même qu’au moment de la fixation des engagements dans le contrat) et qu’il n’y a dès lors plus lieu d’en tenir compte au moment où s’apprécie la hauteur de l’exclusion. Il s’agit pour la cour d’un élément nouveau, mais qui ne peut être retenu car il repose sur une fiction, étant l’infaillibilité du facilitateur. En outre, l’on ferait ainsi abstraction des éléments pouvant survenir en cours de contrat d’activation.

La cour conclut qu’il n’y a pas matière à s’écarter de l’enseignement de la jurisprudence ci-dessus étant qu’il y a inconstitutionnalité de l’article 59quinquies, § 6 de l’arrêté royal et que celle-ci doit être étendue à l’article 59sexies, § 6, qui fait l’objet du présent litige, le raisonnement à tenir dans les deux hypothèses étant identique.

Dès lors l’intéressée est rétablie dans son droit aux allocations de chômage.

Intérêt de la décision

Dans cet arrêt minutieux, la Cour du travail de Mons étend à l’article 59sexies, § 6 de l’arrêté royal la jurisprudence de la Cour de cassation à propos de l’article 59quinqies, § 6 : il y a inconstitutionnalité, qui doit être décrétée par le juge, en application de l’article 159 de la Constitution.


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