Terralaboris asbl

Chômage : les sanctions d’exclusion prises sur la base des dispositions relatives au contrôle de la recherche active d’emploi ont-elles une nature pénale au sens de l’article 6 C.E.D.H. ?

Commentaire de Cass., 5 novembre 2012, S.10.0097.F

Mis en ligne le lundi 14 janvier 2013


Cour de cassation, 5 novembre 2012, n° S.10.0097.F

Terra Laboris asbl

Les faits

M. D. a été exclu pendant quatre mois du bénéfice des allocations de chômage pour n’avoir pas respecté les engagements souscrits lors du premier entretien d’évaluation de son comportement de recherche d’emploi. Il a contesté cette décision.

Le premier juge a accueilli cette contestation, en considérant que les obligations avaient été remplies par équivalent.

Position de la cour du travail

La cour du travail de Liège, section de Namur, saisie de l’appel de l’O.N.Em., a tout d’abord, dans un premier arrêt du 17 novembre 2009 (13e ch. R.G. n° 8825/09) ordonné une réouverture des débats. Elle constate qu’une sanction s’imposait, une partie des engagements n’ayant pas été respectée. Mais le chômeur a remplacé un engagement non respecté par une démarche axée sur la formation, qui lui a en définitive été profitable. La cour du travail relève que les facilitateurs de l’O.N.Em. peuvent vérifier le respect par équivalent du contrat et s’interroge sur les pouvoirs du juge.

Par l’arrêt du 22 juin 2010, la cour du travail examine la nature de la mesure d’exclusion au regard de l’article 6 premièrement de la C.E.D.H. Elle conclut que ces sanctions ont une nature pénale. Bien que l’arrêté royal ne donne pas le pouvoir au juge de remplacer la sanction par un avertissement, se référant à la jurisprudence de la Cour de cassation en matière fiscale, la cour du travail décide que le principe de proportionnalité de la sanction permet d’appliquer une mesure inférieure à celle prévue par le texte règlementaire.

Exerçant ce contrôle de proportionnalité et vu la disproportion de la sanction par rapport aux manquements du sieur D., la cour du travail remplace l’exclusion par un avertissement.

Ce second arrêt a été soumis à la censure de la Cour de cassation.

L’arrêt de la Cour de cassation

La première branche du moyen soutenait, en substance, que l’exclusion du bénéfice des allocations de chômage ou d’attente en raison de l’indisponibilité du chômeur pour le marché de l’emploi à défaut de rechercher activement pareil emploi, ne constituait que la conséquence du fait que l’intéressé n’est plus dans les conditions règlementaires pour bénéficier desdites allocations. Cette sanction n’a donc pas la nature de sanction pénale au sens notamment de l’article 6 de la C.E.D.H.

La Cour de cassation accueille cette branche : « L’exclusion du jeune travailleur qui n’a pas respecté l’engagement souscrit dans le cadre du contrat définissant les actions qu’il s’engage à mener dans la recherche d’un emploi, prévu à l’article 59quinquies, §5, alinéa 5, et §6, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage, ne constitue pas une sanction mais une mesure qui est prise à l’égard d’un jeune travailleur qui ne remplit pas les conditions d’octroi des allocations d’attente, à savoir rechercher activement un emploi, et, dès lors, être privé de travail et de rémunération par suite de circonstances indépendantes de sa volonté, et qui, partant, n’a pas droit à ces allocations. L’article 6, §3, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne s’applique pas à une telle mesure ».

Intérêt de la décision

Les arrêts de la cour du travail de Liège des 17 novembre 2009 et 22 juin 2010 sont accessibles sur le site www.juridat.be. Ils ont été commentés pour SocialEyes en leur temps et ces commentaires sont accessibles sur le site www.terralaboris.be.

Par cet arrêt, la Cour de cassation confirme ainsi, à propos des sanctions pour non-respect du contrat d’activation, sa position que les sanctions prononcées par l’Onem lorsque le chômeur ne respecte pas les conditions subjectives d’octroi des allocations sont des mesures prises à l’égard du travailleur qui ne remplit pas les conditions d’octroi des allocations de chômage et n’ont pas une nature pénale (Cf. en ce sens not. B. Graulich, Les pouvoirs du juge dans le droit du chômage, Guide social permanent –Sécurité sociale : commentaires, Partie I, Livre IV, Titre VI, Chapitre VIII, n° 40 et 240 à 320).

On relèvera que les trois cours du travail francophones du pays ont été amenées à se prononcer sur le pouvoir du juge de moduler les sanctions prises en cas de non-respect du contrat conclu dans le cadre du plan d’activation de chômeurs, mesures dont l’arrêté royal ne prévoit pas qu’elles peuvent être modulées par l’application d’un avertissement ou d’un sursis alors que tel est le cas en matière de chômage dû au propre fait du chômeur. La cour du travail de Bruxelles, dans un arrêt du 20 mai 2010 (www.terralaboris.be avec commentaires) n’a pas vu dans cette différence de traitement une discrimination inconciliable avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

La cour du travail de Mons, dans plusieurs arrêts dont un arrêt du 29 juin 2010 (J.T.T. 2010, p. 305), après avoir refusé de reconnaître un caractère pénal à l’exclusion prévue en cas de non-respect du contrat d’activation, a décidé que la différence de traitement entre, d’une part les chômeurs soumis à un plan d’accompagnement ou à un parcours d’insertion et d’autre part ceux soumis à un contrat d’activation, ne reposait pas sur un critère objectif et raisonnable et ne se situait pas dans un rapport de proportionnalité avec l’objectif pertinent et légitime poursuivi par les dispositions en matière d’activation. Elle a toutefois décidé qu’elle ne pouvait, sur la base de l’article 159 de la Constitution, réparer cette lacune extrinsèque et qu’elle ne pouvait en conséquence que confirmer la décision administrative d’exclusion.

Cet arrêt a été soumis à la Cour de cassation qui a, par un arrêt du 10 octobre 2011 (Pas. 2011 n°535 ; arrêt commenté sur www.terralaboris.be), cassé l’arrêt de la cour du travail de Mons en retenant que, lorsque le juge constate qu’une décision administrative d’exclusion du bénéfice des allocations de chômage est fondée sur une disposition règlementaire contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution, il ne peut confirmer cette décision. La cause a été renvoyée devant la cour du travail de Bruxelles. Il restera à surveiller le sort réservé à celle-ci par le juge de renvoi.

Il reste également la potentialité offerte par le Code civil pour tempérer la rigueur d’une sanction qui peut s’avérer disproportionnée par rapport à l’importance des manquements. On se réfèrera à cet égard aux contributions de Paul Palsterman : « La figure du contrat dans l’octroi des allocations sociales » Réflexions à propos de l’arrêt de la Cour de cassation du 9 juin 2000, Chron. D.S.2009, pp. 125 et ss. ; de J.F. Neven et E. Dermine : « Le contrôle de l’obligation pour les chômeurs de rechercher activement un emploi » in Actualités de droit social, Revenu d’intégration sociale, activation chômage et règlement collectif de dettes, CUP, vol. 106, p. 46 et ss. et de B. Graulich : Plan d’activation des chômeurs in La réglementation du chômage : vingt ans d’application de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, E.P.D.S., pp.126 et ss.


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