Terralaboris asbl

Licenciement intervenu en représailles d’une candidature aux élections sociales : sanction

Commentaire de Trib. trav. Bruxelles, 25 octobre 2012, R.G. 05/21.743/A

Mis en ligne le vendredi 18 janvier 2013


Tribunal du travail de Bruxelles, 25 octobre 2012, R.G. n° 05/21.743/A

Terra Laboris asbl

Dans un jugement du 25 octobre 2012, le Tribunal du travail de Bruxelles condamne une institution de soins à payer 15.000 € à une employée licenciée avant qu’elle ne puisse présenter sa candidature aux élections sociales dans l’entreprise.

Les faits

Au service d’une maison de repos depuis 1992, en qualité de kinésiste, une employée manifeste son intention, vis-à-vis de l’organisation syndicale à laquelle elle est affiliée, de se présenter comme candidate au C.P.P.T. pour les élections sociales de 2004.

A l’époque, l’employeur refuse de mettre en route la procédure d’élections légales M. l’Avocat général la mettra finalement en demeure, sous peine de poursuites, d’entamer celles-ci pour le 10 janvier 2005.

Entre-temps, la candidate reçoit un avertissement sévère le 25 novembre 2004, lui reprochant d’être à l’origine de problèmes relationnels avec ses collègues, ainsi que des négligences dans le cadre de son travail. La Direction l’invite à modifier son comportement d’urgence, sous peine de prendre d’autres mesures à son égard. Le courrier est présenté comme étant un premier avertissement. L’intéressée est licenciée le 6 décembre, en même temps d’ailleurs qu’une autre employée, qui envisageait également d’être candidate aux élections sociales. Elle se voit octroyer une indemnité compensatoire de préavis de 9 mois. Le motif du licenciement est le non-respect de règles internes et des dysfonctionnements.

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Bruxelles.

Décision du tribunal

Dans son jugement du 25 octobre 2012, le tribunal va d’abord rappeler les règles relatives au calcul de l’indemnité compensatoire de préavis, tenant compte des critères habituels. L’intéressée ayant 50 ans et bénéficiant d’une ancienneté de 12 ans, avec un brut annuel de 35.000 €, le tribunal considère que le préavis normal devrait être de 13 mois. Il alloue dès lors un complément, eu égard au premier calcul effectué par l’employeur.

Mais c’est surtout sur le licenciement lui-même que le tribunal s’arrête.

Il rappelle d’abord les principes de l’abus de droit de licencier, étant l’exercice du pouvoir de rupture qui excède manifestement l’usage qu’en ferait un employeur prudent et diligent. Le tribunal rappelle qu’une faute est exigée, faute qui doit se distinguer du non-respect des règles en matière de rupture. Le tribunal reprend ensuite les différentes hypothèses d’abus de droit de licencier, étant (i) l’exercice d’un droit subjectif avec l’intention de nuire, (ii) son exercice sans intérêt suffisant, (iii) celui qui a un intérêt mais qui est mis en œuvre de manière telle qu’il entraîne un préjudice disproportionné à la partie adverse, (iv) le non-respect du critère de proportionnalité, étant la balance des intérêts entre le dommage causé et l’intérêt pour le titulaire du droit, (v) le non-respect du critère de finalité, étant le détournement de l‘exercice du droit du but dans lequel il est conféré à son titulaire et (vi) les circonstances de cet exercice, dans la mesure où elles ne révèlent pas l’usage normal, prudent et raisonnable du droit.

Le tribunal rappelle ensuite que – à supposer une telle faute établie – un préjudice doit être prouvé, préjudice qui se distingue de celui découlant normalement de la perte de l’emploi.

Il s’attache ensuite à un rappel de la jurisprudence en ce qui concerne la preuve, étant que celle-ci repose entièrement sur le demandeur.

En l’espèce, le tribunal constate d’emblée que le licenciement est une mesure de représailles à la candidature aux élections sociales et que l’employeur a d’ailleurs tout mis en œuvre pour empêcher la tenue de celles-ci. Il a d’ailleurs licencié l’intéressée avant qu’elle ne puisse présenter sa candidature, de telle sorte qu’elle ne bénéficiait pas à ce moment de la protection légale.

Le tribunal rappelle ensuite que la maison de repos avait été considérée comme constituant, avec un autre établissement, une seule unité technique d’exploitation et qu’il avait été conclu qu’un C.P.P.T. devait être installé. Le tribunal relève encore que, afin de ne pas atteindre le seuil de 50 personnes, l’employeur avait délibérément supprimé du personnel de la liste et que, par ailleurs, des pressions avaient été exercées sur certains membres de celui-ci, avec menace explicite, afin qu’il fasse des déclarations. Un jugement fut rendu par le tribunal du travail le 23 février 2004, condamnant l’employeur à faire démarrer les élections sociales dans les 5 jours de sa signification. Appel fut interjeté de cette décision et l’affaire fut remise au 25 octobre 2004 et, enfin, au 10 janvier 2005. A ce moment, rien n’avait encore été entrepris par la société et il lui fut notifié que des poursuites seraient entreprises si la procédure ne démarrait pas.

Le tribunal rappelle que l’intéressée fut alors licenciée en décembre avec deux autres collègues, dont une était dans la même situation, et que la procédure démarra le 3 janvier 2005.

Vu la chronologie des faits, la réaction des travailleurs (qui avaient fait des attestations relatives aux pressions dont ils avaient été l’objet, attestations qui avaient été rassemblées par l’autre candidate licenciée), ainsi que l’attitude générale de la société, le tribunal conclut que celle-ci ne voulait pas procéder à des élections sociales et que le licenciement de l’intéressée constituait un boycott de celles-ci, l’intéressée n’ayant, en effet, pas de protection contre le licenciement et ayant perdu une chance d’être élue. Le tribunal retient une attitude malveillante et une faute volontaire dans le chef de l’employeur. Il considère que le recours au licenciement comme représailles suite à l’exercice d’une activité syndicale est manifestement abusif.

Il va également relever, par ailleurs, l’absence de fondement aux griefs faits, étant l’absence de remarques pendant sa carrière professionnelle, et il écarte un témoignage de complaisance, vu la position de son auteur dans le litige. Le tribunal va dès lors fixer le préjudice consécutif à cet abus de droit et il recourt, dans son évaluation, à une indemnisation ex aequo et bono, étant 15.000 €.

Intérêt de la décision

Dans ce litige, le Tribunal du travail de Bruxelles conclut à l’existence d’un licenciement en représailles, vu l’intention manifestée par l’employée de se présenter aux élections sociales. Le refus persistant de l’employeur de faire démarrer la procédure et le licenciement survenu alors que l’intéressée ne pouvait pas encore bénéficier de la protection légale ont emporté la conviction du tribunal de l’existence d’une volonté méchante. Celle-ci constitue, en tant que volonté de nuire, l’un des critères spécifiques de l’abus de droit.


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