Terralaboris asbl

Remboursement des avances faites par la mutuelle dans le cadre d’un accident du travail : quid des intérêts ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 16 janvier 2012 et 3 septembre 2012, R.G. 2011/AB/139

Mis en ligne le lundi 11 février 2013


Cour du travail de Bruxelles, 16 janvier 2012 et 3 septembre 2012, R.G. n° 2011/AB/139

Terra Laboris asbl

La Cour du travail de Bruxelles a rendu récemment deux arrêts (16 janvier et 3 septembre 2012) sur la question de l’intérêt à appliquer sur le remboursement par l’assureur-loi (ou le FAT) d’indemnités dont la mutuelle a fait l’avance : nature de l’intérêt et règles de prescription.

Les faits

Une mutuelle intervient à titre provisionnel dans l’indemnisation d’une victime d’un accident du travail. Elle récupère, ensuite, auprès du Fonds des accidents du travail ses débours. Une contestation surgit entre les deux institutions en ce qui concerne les intérêts.

Une procédure est dès lors introduite par l’organisme assureur devant le tribunal du travail.

Etant débouté de son action, celui-ci interjette appel devant la cour du travail, s’agissant d’un cas d’application spécifique de l’article 42, 3e alinéa de la loi du 10 avril 1971.

Décisions de la cour du travail

Arrêt du 16 janvier 2012

La cour examine le dispositif légal en matière d’intérêts. L’article 42, alinéa 3 de la loi dispose que les indemnités portent intérêt de plein droit à partir de leur exigibilité. Depuis la loi du 8 juin 2008 (loi du 8 juin 2008 portant des dispositions diverses (I) – M.B., 16 juin 2008), cet alinéa a été légèrement modifié, précisant que la débition d’intérêts de plein droit vise les indemnités prévues à l’article 42 (le texte antérieur visant les indemnités prévues « par la loi »).

Pour la cour, c’est à tort que le Fonds des accidents du travail considère que les prestations payées par la mutuelle ne seraient pas visées par ce texte, de telle sorte que ne seraient dus que des intérêts moratoires, soit à partir de la mise en demeure. Pour la cour, les termes « indemnités » que le législateur a utilisés dans cette disposition visent tous les montants dus dans le cadre de la réparation des accidents du travail du secteur privé, et ce indépendamment de la personne du débiteur. La cour renvoie à l’arrêt de la Cour de cassation du 19 février 2007 (Cass., 19 février 2007, S.06.0003.N) et conclut que les montants payés par une mutuelle au titre de frais médicaux, chirurgicaux, pharmaceutiques et hospitaliers, dont elle a fait l’avance pour compte du FAT, constituent des indemnités au sens de cette disposition. La mutuelle peut dès lors en exiger le paiement sur les montants dont elle demande le remboursement, et ce à dater des décaissements effectués par elle.

Le Fonds des accidents du travail renvoyant pour sa part à certaines déclarations faites dans les travaux préparatoires de la loi, la cour rappelle qu’en cas de contrariété entre ceux-ci et un texte clair, c’est ce texte qui prévaut (rappelant divers arrêts de la Cour de cassation, dont Cass., 30 juin 2006, C.050117.F).

La disposition figurant à l’article 42 de la loi constitue une exception à l’article 1153 du code civil et la cour précise qu’à son estime ceci vaut pour l’ensemble de cette disposition du code et non seulement son 3e alinéa. C’est donc la totalité de cette disposition qui doit être écartée. L’article 42 constitue en effet par rapport à l’article 1153 du Code civil une lex specialis. Aussi, aucun argument ne peut-il être tiré de cette disposition générale.

Enfin, la cour écarte un argument tiré spécifiquement de la modification introduite dans l’article 42, alinéa 3 par la loi du 8 juin 2008, qui a visé « le présent article » au lieu de « la présente loi ». En effet, les faits sont antérieurs à l’entrée en vigueur (16 juin 2008) de cette nouvelle mouture du texte et la cour ne se prononce dès lors pas sur cet argument.

Dans la suite des débats, elle répond encore à une objection du FAT, selon laquelle l’organisme assureur aurait tardé dans sa réclamation. A ceci, la cour du travail répond qu’il n’y a aucune disposition légale qui impose à la mutuelle d’agir dans un délai déterminé et qu’il faut dès lors se référer à la notion de délai raisonnable, délai qui en l’occurrence a été respecté.

Enfin, se pose un problème de prescription, puisque l’article 69 de la loi dispose que celle-ci est de trois ans en la matière et que, s’agissant de frais médicaux, le point de départ de la prescription est à situer au moment où ils ont été exposés (la cour renvoyant ici à l’arrêt de la Cour de cassation du 18 juin 2001 (Cass., 18 juin 2001, Arr. Cass., 2001, p. 1212). Elle rappelle que les actions en paiement des indemnités d’accident du travail peuvent être introduites par des tiers, en vertu de l’article 73 de la loi qui prévoit qu’une action directe peut être exercée contre le Fonds ou contre l’assureur. La cour considère que la demande relative aux frais médicaux ne diffère en rien des autres demandes visées à l’article 69 de la loi et que la règle de prescription vaut dès lors pour celle-ci également (renvoyant ici à C. trav. Bruxelles, 12 mars 2001, Bull. Ass., 2001, p. 324 et note P. MOREAU). Il faut dès lors conclure de la même manière pour le remboursement des frais médicaux. Sur le point de départ du délai de prescription, ce n’est pas, comme le soutient la mutuelle, la date de paiement du principal qui compte et la cour souligne que celle-ci ne peut pas en même temps réclamer les intérêts sur pied de l’article 42, alinéa 3 de la loi et considérer que l’intérêt ne commence à courir qu’à partir du paiement du principal.

La cour accueille dès lors l’argument du FAT selon lequel la prescription est acquise pour les paiements effectués par l’organisme assureur plus de trois ans avant la date de la citation introductive d’instance. Et la cour de relever encore qu’aucune preuve n’est apportée de l’interruption de cette prescription.

Enfin, le calcul des intérêts n’étant pas clair (la mutuelle ayant adopté dans un souci de simplification une date moyenne), la cour rappelle que, en vertu de la loi, il faut prendre en compte la date d’exigibilité, question qui va ainsi impliquer une réouverture des débats.

Arrêt du 3 septembre 2012

Dans le cadre de la réouverture des débats, la cour rappelle qu’il y a lieu d’appliquer de manière combinée les articles 42 et 69 de la loi et que sont prescrits les montants payés au titre de frais médicaux plus de trois ans avant la date de la citation. En présence d’un nouveau décompte de l’organisme assureur, la cour constate avec le Fonds des accidents du travail qu’il n’y a pas lieu de prendre en compte la date où les prestations ont été fournies par le prestataire de soins mais la date du paiement par la mutuelle. La cour ordonne dès lors une nouvelle réouverture des débats afin que soit déposé un décompte reprenant le taux d’intérêt légal correct et les dates d’exigibilité des indemnités correspondantes.

Intérêt de la décision

Ces deux arrêts de la Cour du travail de Bruxelles abordent une question importante, étant celle de l’application de l’article 42, alinéa 3, qui vise l’octroi d’intérêts de plein droit, aux prestations pour lesquelles la mutuelle intervient à titre provisionnel dans le cadre du règlement des séquelles d’un accident. Si la solution de la cour est logique, étant que doit s’appliquer le délai de prescription fixé par l’article 69 de la loi, la solution dégagée peut prendre de court l’organisme assureur qui n’aura pas interrompu la prescription.


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