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Chômage et cohabitation avec un enfant : existence d’un avantage économico-financier ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 5 septembre 2012, R.G. 2011/AB/420

Mis en ligne le lundi 11 février 2013


Cour du travail de Bruxelles, 5 septembre 2012, R.G. n° 2011/AB/420

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 5 septembre 2012, la Cour du travail de Bruxelles conclut que l’exigence posée par la Cour constitutionnelle et la Cour de cassation en matière de cohabitation, à savoir que celle-ci exige l’apport d’un avantage économico-financier, a peu d’incidence dans la matière du chômage en cas de cohabitation avec un enfant.

Les faits

Monsieur O. vit avec sa fille (âgée d’une trentaine d’années) et son fils, ce dernier ayant été domicilié chez lui entre janvier 2005 et avril 2008 et ayant perçu des allocations de chômage à partir de mars 2006.

Il est entendu par l’ONEm sur la question de la cohabitation avec ce dernier et il précise que celui-ci occupe une chambre dans son habitation mais ne vit plus avec lui. Il explique que les locaux sont séparés et individualisés, le fils partageant cependant les sanitaires et la cuisine. Aucun bail n’est produit et aucun loyer n’est payé.

L’ONEm décide dès lors d’exclure le père du droit aux allocations de chômage comme travailleur ayant charge de famille, sa situation étant celle d’un travailleur cohabitant. Il y a également décision de récupération et exclusion de huit semaines (sur base de l’article 153 de l’arrêté royal).

Le recours introduit devant le Tribunal du travail de Nivelles est déclaré non fondé.

L’intéressé interjette appel devant la cour.

Décision de la cour du travail

La cour est ainsi amenée à rappeler les dispositions pertinentes de l’arrêté royal (étant l’article 110) et de l’arrêté ministériel (étant l’article 59). C’est la définition de la cohabitation qui est ainsi au cœur de la discussion. L’arrêté ministériel reprend comme critère le fait pour deux ou plusieurs personnes de vivre ensemble sous le même toit et de régler principalement en commun les questions ménagères. La notion de vie sous le même toit a été définie par la doctrine comme étant le partage des pièces principales de vie dans un logement (et la cour de renvoyer à J.-F. FUNCK, « La situation familiale du chômeur : ses effets sur le droit aux allocations et sur leur montant », in La réglementation du chômage : 20 ans d’application de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, Kluwer, EPDS, 2011/5, p. 212).

La cour souligne que des précisions ont été apportées tant par la Cour constitutionnelle que par la Cour de cassation. Ainsi dans un arrêt du 10 novembre 2011 (C. Const., 10 novembre 2011, arrêt n° 176/2011 rendu dans le cadre de la loi du 26 mai 2002 concernant le droit à l’intégration sociale), la Cour constitutionnelle a considéré qu’il ne faut pas uniquement un partage de tâches ménagères mais que l’allocataire doit tirer un avantage économico-financier de la cohabitation. Ceci a été confirmé par la Cour de cassation dans un arrêt du 21 novembre 2011 (Cass., 21 novembre 2011, S.11.0067.F, idem).

Cette précision n’a, pour la cour du travail, pas d’importance décisive en matière de chômage, dans la mesure où l’arrêté royal dispose en son article 110, § 1er, 2°, a) que la qualité de bénéficiaire ayant charge de famille n’est perdue, en cas de cohabitation avec un enfant, que si celui-ci a des revenus professionnels ou de remplacement. Pour la cour du travail, la réglementation a dès lors toujours considéré qu’il n’y a cohabitation que si l’allocataire a la possibilité de tirer un avantage économico-financier de la présence d’enfants dans son ménage.

En l’espèce, la cour examine le droit pour le père de maintenir sa qualité de travailleur ayant charge de famille. Si la cohabitation avec la fille ne pose pas de problème, c’est la domiciliation du fils chez son père pendant une période de plus de trois ans avec perception des allocations de chômage pendant deux ans qui fait l’objet de l’examen attentif de la cour. Y a-t-il vie sous le même toit ?

La cour relève que le père pouvait démontrer que, nonobstant l’inscription dans les registres, il n’y avait pas cohabitation dans la réalité mais les déclarations faites vont dans le sens contraire : partage des sanitaires, de la salle de bain ainsi que de la cuisine, absence de bail, …

La cour considère insuffisant le fait d’avoir une chambre à coucher distincte, une entrée séparée et une boîte aux lettres particulière (ce dernier point témoignant du souci d’avoir une certaine autonomie). Il ne peut, vu ces explications, être conclu à l’existence de logement distinct.

Par ailleurs, sur la question du règlement principalement en commun des questions ménagères, les revenus de remplacement perçus par le fils lui donnaient la possibilité de participer aux charges. La cour relève à cet égard que, si le père doit apporter la preuve de l’absence de contribution de son fils dans celles-ci, il s’agit d’un fait négatif. Elle se réfère ici à la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 26 novembre 2010, C.09.0584.N notamment) pour conclure que le juge peut considérer que la preuve d’un fait négatif ne doit pas être apportée avec la même rigueur que celle d’un fait positif et que, en l’occurrence, l’on peut conclure que n’est nullement établi le fait que, tout en étant bénéficiaire d’allocations de chômage et n’ayant pas d’autres charges, le fils n’aurait pas du tout contribué aux charges auxquelles son père devait faire face. Le jugement est dès lors confirmé.

Cependant, sur la sanction (exclusion de huit semaines), prise sur pied de l’article 153 de l’arrêté royal, visant les déclarations inexactes ou incomplètes, la cour – tout en retenant que celle-ci est fondée dans son principe – la ramène à 4 semaines, au motif qu’il n’y a pas une réelle volonté de fraude.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles transpose à la matière du chômage l’enseignement des arrêts de la Cour constitutionnelle et de la Cour de cassation ci-dessus. Vu les termes de l’article 110 de l’arrêté royal, la cour conclut très logiquement que, en cas de cohabitation avec un enfant, cet apport jurisprudentiel ne change rien à la question, la réglementation chômage ayant intégré l’exigence de l’avantage économico-financier pour que soit retenue la notion de cohabitation.


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