Terralaboris asbl

Une prime récompensant l’apport d’un client est-elle soumise à cotisation de sécurité sociale ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 6 septembre 2012, R.G. 2010/AB/659

Mis en ligne le mardi 26 février 2013


Cour du travail de Bruxelles, 6 septembre 2012, R.G. n° 2010/AB/659

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 6 septembre 2012, la Cour du travail de Bruxelles rappelle, avec les derniers arrêts de la Cour de cassation, que les montants alloués en raison de l’engagement du travailleur ont en principe un caractère rémunératoire.

Les faits

A l’occasion d’une visite de contrôle du service d’inspection de l’ONSS auprès d’un Secrétariat Social, il est apparu que diverses indemnités sont accordées au personnel, sur lesquelles aucune cotisation n’est versée : indemnité de garage, intervention dans la location d’un garage ou d’un parking ainsi que des commissions qualifiées de commissions d’apport, étant des indemnités versées à des travailleurs sans fonction commerciale en cas d’apport par eux d’un nouveau client.

Un avis rectificatif est dès lors notifié et le Secrétariat Social effectue sous toute réserve le paiement des cotisations calculées par l’ONSS sur ces montants. Il introduit un recours devant le tribunal du travail.

Devant le premier juge, les parties se mettent d’accord sur le caractère non rémunératoire des indemnités de garage et le remboursement correspondant intervient.

Position du tribunal

Par jugement du 7 mai 2010, le tribunal du travail fait droit à la demande et condamne l’ONSS au remboursement du solde versé par le Secrétariat Social.

Pour le tribunal, les commissions d’apport n’ont pas un caractère rémunératoire parce qu’elles n’ont pas été accordées en contrepartie du travail fourni et qu’il n’existe pas de lien ou de lien suffisant avec la qualité du travailleur permettant de considérer que les commissions ont été octroyées suite à l’exercice des fonctions.

Position des parties devant la cour

L’ONSS fait valoir, se fondant sur la jurisprudence de la Cour de cassation, que les paiements par l’employeur au travailleur trouvent leur origine dans l’occupation de ce dernier. Lorsque l’indemnité constitue la contrepartie du travail fourni, il y a rémunération. Lorsque ce n’est pas le cas mais qu’elle est la conséquence de l’engagement en lui-même, il s’agit également de rémunération si le travailleur peut faire valoir un droit à celle-ci en suite du contrat, de l’usage ou d’un engagement unilatéral de l’employeur. Si celui-ci veut faire admettre qu’il s’agit d’une gratification tombant en dehors du contrat de travail, il doit établir une circonstance particulière relevant de la vie privée du travailleur ou de sa famille ou un élément exprimant la satisfaction personnelle de l’employeur. Pour l’ONSS, la prime d’apport figure dans un règlement et tous les travailleurs de l’entreprise peuvent y prétendre s’ils sont dans les conditions. Elle est dès lors rémunératoire.

Pour la société, l’ONSS doit apporter la preuve du caractère rémunératoire desdites indemnités. Pour elle, il y a indemnité payée dans le cadre de l’engagement du travailleur si celle-ci correspond à cet engagement. Tel n’est pas le cas pour des primes d’apport qui ne sont pas liées à la fonction exercée, qui ne sont pas attribuées à des collaborateurs commerciaux et auxquelles peuvent également prétendre des tiers à l’entreprise.

Les arrêts de la cour du travail

L’arrêt du 13 octobre 2011

Dans un premier arrêt du 13 octobre 2011, la cour ordonne une réouverture des débats pour permettre au Secrétariat Social de communiquer des éléments, étant (i) le montant des primes d’apport, (ii) leur mode de calcul, (iii) le mode de sélection des bénéficiaires, (iv) le rapport entre le nombre total des membres du personnel qui pourraient en bénéficier et ceux qui en ont effectivement perçu et (v) la preuve que de telles primes étaient également payées à des personnes étrangères à la société.

L’arrêt du 6 septembre 2012

Dans son arrêt du 6 septembre 2012, la cour constate que les informations demandées ont été produites et qu’il en ressort que les primes en question représentent une commission de l’ordre de 10% sur les prestations facturées aux entreprises ainsi apportées. En moyenne, un travailleur sur cinq en bénéficie et des différences très sensibles sont constatées entre bénéficiaires, essentiellement en fonction du nombre de clients qu’ils ont apporté et de l’importance de ceux-ci. La preuve est également apportée que de telles primes étaient octroyées à des personnes n’ayant pas la qualité de travailleur. Sur la base de ces éléments, la cour va rencontrer les arguments des parties.

Elle examine les conditions d’octroi desdites primes, telles que fixées dans le règlement interne et conclut que tous les travailleurs peuvent y prétendre, s’ils satisfont aux conditions prévues – et ce même si l’employeur s’est réservé le droit de modifier le règlement d’année en année. L’objectif de celui-ci est d’assurer une certaine publicité de l’entreprise dans divers milieux (famille, amis et connaissances) et donc de permettre de conclure de nouvelles adhésions. Il s’agit pour la cour d’une fonction « commerciale » même si ceci ne constitue pas la tâche habituelle des bénéficiaires. La cour va reprendre les dispositions de la loi du 27 juin 1969 sur la sécurité sociale des travailleurs (article 14, alinéa 1) ainsi que l’article 2, alinéa 1er, 1° de la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération. Elle rappelle également les travaux préparatoires de la loi ainsi que la jurisprudence de la Cour de cassation, dont elle souligne qu’elle tend à évoluer vers une interprétation extensive de la notion « en raison de son engagement ».

La cour reprend ainsi les arrêts des 13 septembre 2010 et 5 janvier 2009 (Cass., 13 septembre 2010, S.09.0076.F et Cass., 5 janvier 2009, S.08.0064.N). La Cour suprême a retenu comme exception au principe du caractère rémunératoire l’hypothèse de la gratification, à savoir l’avantage qui n’est pas accordé en raison de l’exécution du travail prévu par le contrat de travail et donc qui n’est pas alloué en raison de l’engagement.

En conséquence, même si lesdites primes ne sont pas allouées en contrepartie du travail convenu, elles récompensent un certain zèle ainsi que la loyauté des travailleurs envers leur employeur. Elles interviennent dès lors nécessairement en conséquence du contrat de travail. Pour ce qui est des tiers à l’entreprise, la cour relève que le pourcentage qui est accordé dans ce cas est inférieur et que la circonstance que ceux-ci peuvent également en bénéficier est indifférente. La cour souligne en outre que la prime est renouvelée chaque année si le client reste fidèle - d’où intérêt également pour les travailleurs d’y veiller.

Il s’agit dès lors d’un droit à une commission annuelle et la cour retient encore que, dans certains cas, les montants en cause sont très importants, pouvant pour certains travailleurs aller de 2.000€ à 4.000€ par an.

Elle accueille dès lors l’appel de l’ONSS.

Intérêt de la décision

La conclusion à laquelle aboutit la cour du travail est importante : dans la mesure où la jurisprudence de la Cour de cassation tend à considérer que le principe en la matière est le caractère rémunératoire des montants payés (l’exception étant la gratification), il y a dès lors lieu d’être particulièrement attentif aux paiements effectués aux membres du personnel sous forme de primes diverses.

En l’occurrence, même si les bénéficiaires n’ont pas le statut de commerciaux au sein de l’entreprise, il n’en demeure pas moins qu’ils exercent une part – même parfois infime – d’activité de ce type aux fins d’apporter des clients à l’employeur : la prime allouée est ainsi manifestement due en raison de l’engagement.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be