Terralaboris asbl

L’aide sociale peut-elle être attribuée par seule référence à la notion de seuil de pauvreté ?

Commentaire de C. trav. Liège, 11 janvier 2013, R.G. 2012/AL/198

Mis en ligne le mardi 19 mars 2013


Cour du travail de Liège, 11 janvier 2013, R.G. n° 2012/AL/198

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 11 janvier 2013, la Cour du travail de Liège étudie la notion de seuil de pauvreté au regard des conditions mises à l’octroi d’une aide sociale. Elle rappelle l’exigence d’un examen concret des conditions de vie du demandeur d’aide, ce qui implique l’inadéquation d’une référence générale à une notion théorique de nature essentiellement économique.

Les faits

Une intervention est demandée au CPAS par l’administrateur provisoire d’une dame D. Dans une première décision du 18 avril 2011, le Comité spécial du service social refuse le revenu d’intégration vu les revenus du conjoint (indemnité de mutuelle). Un recours est introduit mais n’aboutira pas, du fait de l’exactitude des constatations à la base de la décision.

Une seconde demande est faite, et ce pendant la procédure judiciaire et le CPAS y fait partiellement droit. Il s’agit d’une aide financière destinée à assurer la couverture d’arriérés de loyers (de l’ordre de 450€). Ce montant est versé directement à la société de logements sociaux. Une aide sociale est également demandée, correspondant au revenu d’intégration au taux cohabitant (aide ponctuelle, la situation du couple ne permettant pas une aide régulière). Une enquête sociale qualifiée de « pour le moins rudimentaire » est faite par le CPAS.

Position de la cour du travail

La cour va reprendre les éléments de fait tels qu’ils lui apparaissent, examiner très brièvement le jugement du Tribunal du travail de Huy ainsi que les moyens d’appel avant de prendre une décision très nuancée.

Sur les faits

Il est constaté que l’intéressée est âgée de 39 ans et que, au moment de la première demande, son mari percevait des indemnités journalières d’assurance maladie aboutissant à un revenu mensuel net moyen supérieur au double du montant du revenu d’intégration au taux cohabitant. Une reprise du travail est intervenue en août 2011 (lui procurant une rémunération mensuelle nette légèrement supérieure au revenu antérieur).

La cour constate qu’elle est très peu informée quant au motif de la mise sous administration provisoire mais il y a eu une procédure de règlement collectif de dettes (sur laquelle elle est également très peu documentée). La cour déplore également le peu d’informations données quant aux droits de l’intéressée dans le secteur du chômage, ainsi que sur son état de santé, sa formation et son aptitude. Il en va de même en ce qui concerne le montant du loyer et les charges.

Le jugement dont appel

La cour constate que le raisonnement du tribunal - qui a alloué au titre d’aide sociale un montant de l’ordre de 335€ consiste, après avoir mis en parallèle les rentrées et les charges, à comparer le montant de l’aide au seuil de pauvreté. Celui-ci est fixé en Belgique par rapport au revenu médian à une somme mensuelle fixée par le tribunal à 973€ pour une personne isolée. Celui-ci a ensuite extrapolé pour l’hypothèse d’un ménage de deux adultes avec deux enfants avec des coefficients de pondération et le résultat obtenu sur la base de ce calcul est de 1.566€. Le tribunal a conclu, sur la base des éléments de fait, que l’aide sociale financière complémentaire qui était ainsi allouée ne permettait même pas à l’intéressée d’atteindre ce seuil de pauvreté.

Les moyens de l’appel

Le CPAS, appelant, conteste l’aide sociale financière accordée, et ce eu égard à la méthode à laquelle le tribunal a recouru, étant un calcul théorique, sans tenir compte d’une évaluation concrète et individualisée de l’état de besoin. Pour le CPAS, le mode de fixation du seuil de pauvreté se fait sur la base d’indicateurs économiques et sociaux et ceux-ci n’ont pas de valeur légale. En réalité, ce serait au législateur d’augmenter le revenu d’intégration, s’il fallait raisonner de la sorte.

Quant à l’administrateur provisoire, il semble ne pas avancer d’arguments très fouillés, la cour relevant un seul fait, étant le licenciement du cohabitant suite à la faillite de son employeur, élément qui n’est par ailleurs pas confirmé au dossier.

La décision de la cour

La cour rappelle que l’article 1er de la loi du 8 juillet 1976 implique que l’aide sociale est indispensable pour permettre au bénéficiaire de mener une vie conforme à la dignité humaine et que ceci nécessite une approche individualisée de la situation concrète de l’intéressé. Quelle que soit la forme de l’aide sociale (financière, matérielle, psychologique, médicale), il ne peut être fait référence pour son octroi à des critères chiffrés et abstraits, que ce soit par rapport au revenu d’intégration lui-même ou au montant représentant le seuil de pauvreté. La cour relève que ces chiffres livrent cependant des points de référence pouvant être utiles lors de l’appréciation du cas.

Quant à l’articulation entre le revenu d’intégration et l’aide sociale, la cour souligne que le montant de celui-ci n’épuise pas le droit subjectif de chaque individu de mener une vie conforme à la dignité humaine mais qu’il doit établir in concreto que ses ressources ne lui permettent pas soit de faire face à des dépenses de première nécessité soit d’assumer d’autres frais que ceux-ci mais indispensables pour mener une vie digne dans la société. La première catégorie couvre les frais d’alimentation, de logement, de scolarité et de frais médicaux et la seconde, à titre d’exemple, le droit aux relations personnelles et sociales, à l’information, aux loisirs, à la formation, etc.

La cour va encore très longuement rappeler les distinctions à faire dans l’octroi du revenu d’intégration et de l’aide sociale financière et notamment par la référence à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 8 mai 2002 (C. Const., 8 mai 2002, arrêt n° 80/2002), où (statuant dans le cadre du minimum de moyens d’existence) la Cour a relevé que le minimex est une aide financière d’un montant fixé par la loi et variant en fonction de la situation familiale de l’intéressé. Lorsqu’il est octroyé, il est tenu compte des autres moyens d’existence de l’ayant droit et de son conjoint. Quant à l’aide sociale, ses formes sont diverses. Elle peut être octroyée en plus du minimex et même à celui qui n’y a pas droit. Dans cette hypothèse, en cas d’aide financière, son montant peut être inférieur, supérieur ou égal à celui-ci (considérant B.7 de l’arrêt de la Cour constitutionnelle).

La cour du travail reprend encore la suite du raisonnement de la Cour constitutionnelle et, ensuite, relève les conclusions d’une étude de 2004 publiée par l’IWEPS (Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique) quant à la définition du seuil de pauvreté, l’évaluation de la pauvreté monétaire impliquant de quantifier la proportion de la population qui dispose d’un revenu bas. L’étude relève encore qu’il s’agit d’un seuil relatif destiné à établir le revenu médian de chaque pays et qu’il ne s’agit pas de déterminer le niveau de vie minimale.

Pour la cour, le raisonnement du tribunal ne peut être suivi, la conclusion étant absolue et péremptoire et aucune analyse concrète et individualisée de la situation de l’intéressée n’ayant été faite.

C’est au demandeur, conformément à l’article 870 du Code judiciaire, d’établir que ses conditions de vie sont non conformes à la dignité humaine. C’est dès lors l’administrateur provisoire qui doit préciser, à l’attention de la juridiction du travail, les besoins qui ne peuvent être rencontrés (s’agissant de chiffres) et, de manière concrète, l’aide financière qui pourrait y contribuer ou encore toute autre forme d’aide de nature à assurer les conditions d’une vie digne.

Elle rappelle encore le principe de la collaboration à l’administration de la preuve, principe renforcé dans la matière de l’aide sociale par l’article 60, § 1er de la loi du 8 juillet 1976, selon lequel l’intervention du Centre est, s’il est nécessaire, précédé d’une enquête sociale, se terminant par un diagnostic précis sur l’existence et l’étendue du besoin d’aide et proposant les moyens les plus appropriés pour y faire face. Cette disposition contient une obligation de communiquer au Centre tous éléments permettant d’apprécier si les conditions d’octroi de l’aide sont réunies et, relevant encore l’absence d’enquête sociale contenant un diagnostic précis, la cour invite également le CPAS à procéder à une enquête sociale.

La réouverture des débats est dès lors prononcée à cette double fin.

Intérêt de la décision

Si l’objet du litige est factuel, il est pour la Cour du travail de Liège l’occasion de rappeler que l’octroi de l’aide sociale suppose un examen individualisé de l’état de besoin et qu’une référence générale pour l’évaluation du montant de l’aide à la notion de seuil de pauvreté est inappropriée. Elle peut cependant intervenir dans l’appréciation comme indication sur l’état de précarité d’une personne.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be