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Contrôle de la recherche active d’emploi : peut-on invoquer la force majeure ?

Commentaire de C. trav. Liège, 14 décembre 2012, R.G. 2011/AL/656-657

Mis en ligne le jeudi 21 mars 2013


Cour du travail de Liège, 14 décembre 2012, R.G. n° 2011/AL/656 – 2011/AL/657

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 14 décembre 2012, la Cour du travail de Liège rappelle que la Cour de cassation a confirmé l’approche contractuelle du contrat d’activation et que, en conséquence, l’on peut lui appliquer les principes régissant le droit du contrat, dont l’exécution de bonne foi et la force majeure.

Les faits

Dans le cadre d’une procédure de recherche active d’emploi, Monsieur F. est convoqué à un premier entretien. Il a à ce moment-là 13 mois de chômage et est chef de ménage. Il a un diplôme d’études primaires et une qualification peu élevée. Il prouve, pendant la période de référence, avoir assisté à une session d’information collective et à un entretien de diagnostic avec une proposition de parcours d’insertion. Il se déclare prêt à travailler sans aucune réserve, déclare consulter des offres d’emploi et se rendre dans des agences d’intérim plusieurs fois par semaine. Le rapport d’entretien ne contient pas une évaluation des efforts de recherche d’emploi et la lettre adressée à l’intéressé mentionne que les efforts sont insuffisants. Le contrat écrit signé à l’issue de l’entretien contient certains engagements déterminés. Il lui est annoncé qu’il sera reconvoqué dans les 4 mois, entretien qui n’aura cependant lieu que plus de deux ans plus tard. Pendant cette période, l’intéressé a eu quelques périodes d’emploi mais surtout a connu un drame familial (décès de sa compagne après la naissance d’un enfant).

Un deuxième contrat d’activation sera signé et l’évaluation du second contrat se conclura négativement.

Entre-temps, l’ONEm avait pris une première décision, après l’évaluation négative du premier contrat, étant de réduire pendant 4 mois l’allocation journalière de chômage et, suite à l’évaluation négative du second contrat, l’intéressé est exclu définitivement de l’assurance chômage après une réduction de l’allocation pendant une période de 6 mois.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Liège, qui considère celui-ci non fondé vu le non respect intégral des engagements pris, engagements considérés ni excessifs ni disproportionnés par rapport à la situation résultant de l’entretien avec le facilitateur.

L’auditeur du travail avait quant à lui relevé que le rapport établi aux termes du premier entretien n’était pas motivé (la raison pour laquelle l’évaluation avait été considérée comme négative n’étant pas connue), alors que ceci avait entraîné la signature du premier contrat d’activation. Pour le ministère public, la nullité de la décision administrative avait pour conséquence de vicier toute la procédure.

Moyens de parties devant la cour

Pour l’appelant, il faut suivre l’avis du ministère public sur l’absence de motivation formelle. Il considère également, si la cour devant se substituer à l’administration dans l’appréciation de ses droits, que ses efforts ont été réels, ainsi que les démarches accomplies. Il fait valoir, pour la période postérieure au décès de sa compagne, qu’il y avait force majeure.

Quant à l’ONEm, il sollicite la confirmation pure et simple de la décision. Il considère que, dans l’hypothèse où le juge se substituerait à l’administration, il devrait constater l’absence de respect des engagements pris.

Décision de la cour du travail

Examinant la question de la substitution à l’administration, la cour constate qu’il n’y a pas lieu en l’espèce d’apprécier les efforts de l’intéressé, dans la mesure où il a signé un premier contrat d’activation et que ce contrat implique la reconnaissance par lui-même du caractère insuffisant de ses efforts. Elle renvoie à l’arrêt du 9 juin 2008 de la Cour de cassation (Cass., 9 juin 2008, J.T.T., 2008, p. 446), qui a considéré que le chômeur qui a signé le contrat et qui s’est engagé à la respecter ne peut plus affirmer qu’il a fourni des efforts suffisants pour s’insérer sur le marché du travail ou que les engagements proposés étaient inadéquats ou inadaptés. Ce n’est que s’il avait refusé de signer le contrat et qu’il avait contesté la sanction qui s’en serait suivie que le chômeur pourrait demander d’examiner les conséquences de l’absence de motivation de la décision administrative.

Dans la mesure où le premier contrat d’activation a été signé, l’on ne peut plus par ailleurs soutenir que l’ensemble de la procédure serait entachée d’un vice vu la nullité de la décision initiale et serait viciée. Il s’agit dès lors d’examiner s’il y a eu respect des engagements pris dans le cadre du premier contrat d’activation. La cour rappelle encore un arrêt plus récent de la Cour de cassation (Cass., 23 mai 2011, R.G. S.10.0087.F), selon lequel le juge saisi d’un recours contre une décision d’exclusion doit en contrôler la légalité et statuer sur les droits du chômeur aux allocations dont il est exclu. Il ne peut dès lors se contenter de faire une application automatique de la mesure d’exclusion (de l’article 59sexies) mais examiner si l’intéressé a recherché activement un emploi conformément à l’engagement souscrit en vertu de l’article 59quinquies, § 5.

La cour rappelle ensuite sa propre jurisprudence (C. trav. Liège, 2 février 2010, R.G. n° 8813/2009 ; voir également B. GRAULICH, « Plan d’activation des chômeurs » in La réglementation du chômage : vingt ans d’application de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, Etudes pratiques de droit social, Kluwer, p. 127) sur le pouvoir d’appréciation du juge à propos du pouvoir donné au facilitateur : si celui-ci peut apprécier le respect strict ou par équivalent des engagements figurant dans le contrat, le juge a également ce pouvoir et il peut également dire si les éventuels manquements ou engagements pris par le chômeur justifient ou non l’application stricte de la réglementation. Ce faisant, le juge respecte la jurisprudence de la Cour de cassation. En d’autres termes, le juge a les mêmes pouvoirs que le facilitateur dans l’évaluation des efforts consentis par le chômeur pour respecter les engagements pris.

C’est également l’enseignement d’un autre arrêt de la cour (C. trav. Liège, 10 juin 2010, R.G. 2009/AL/36.595), selon lequel le facilitateur n’a pas un pouvoir discrétionnaire, et la cour de renvoyer au vade-mecum du facilitateur, qui précise que le fait que le chômeur ait repris le travail pendant une certaine période peut compenser le fait qu’il n’ait pas réalisé toutes les autres actions auxquelles il s’était engagé, une reprise du travail pendant une ou plusieurs périodes valant plus que quelques sollicitations spontanées.

En ce qui concerne l’appréciation des efforts, la cour raisonne alors comme suit : la Cour de cassation ayant considéré qu’il y a contrat, s’applique à celui-ci le principe d’exécution de bonne foi consacré par l’article 1134, alinéa 3 du Code civil ainsi que le principe de la force majeure. La cour du travail va dès lors constater que pendant une période de plusieurs mois l’intéressé a été occupé come intérimaire et qu’il s’est ensuite orienté vers la MIREL aux fins d’entamer un processus d’insertion professionnelle, et ce jusqu’au décès brutal de sa compagne, qui l’a laissé seul avec deux enfants à charge dont un nouveau-né.

Il ressort, pour la cour, que ce sont ces circonstances particulières – expliquées au facilitateur – qui ont expliqué le non respect des engagements pris. L’on peut voir là une situation de force majeure découlant du profond désarroi dans lequel l’intéressé a été plongé. Elle considère que, vu ces circonstances, la conclusion de deuxième entretien aurait dû être postposée de quelques mois pour laisser à l’intéressé l’occasion et le temps raisonnable de prendre des dispositions réalistes. En conséquence, la cour considère que la première décision litigieuse a été prise sans considération des éléments affectant la situation familiale et sociale de l’intéressé et qu’il y a lieu de l’annuler, les engagements contractés devant être considérés comme remplis par équivalent. L’annulation de cette décision entraîne comme conclusion que le deuxième contrat ne pouvait être conclu et que la seconde décision prise doit également être annulée.

Intérêt de la décision

Cet arrêt est important sur l’étendue du contrôle judiciaire des engagements pris dans un contrat d’activation. La Cour de cassation en en effet jugé dans l’arrêt du 9 juin 2008 cité ci-dessus que, dès qu’il a signé le contrat et s’est ainsi engagé à le respecter, le chômeur ne plus affirmer qu’il a fourni des efforts suffisants pour s’insérer sur le marché de l’emploi ou que les engagements proposés dans le contrat étaient inadéquats ou inadaptés. Saisi du recours du chômeur contre la décision du directeur du bureau régional du chômage évaluant, en vertu de l’article 59quinquies, § 1er, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, les efforts qu’il a fournis pour s’insérer sur le marché du travail conformément à l’engagement qu’il a souscrit dans le contrat, le juge ne peut apprécier le caractère adéquat ou adapté des conditions imposées par le contrat mais il a le pouvoir de vérifier si le chômeur s’y est conformé.

Il peut dès lors appliquer, dans cette vérification, les principes généraux du droit des obligations, notamment l’inexécution due à un cas de force majeure.


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