Terralaboris asbl

Le fait de tordre une serpillière peut constituer un accident du travail – Petit rappel en matière de preuve

Commentaire de C. trav. Mons, 19 mars 2007, R.G. 20.218

Mis en ligne le vendredi 22 février 2008


Cour du travail de Mons, 19 mars 2007, R.G. 20.218

TERRA LABORIS ASBL – Sophie Remouchamps

Dans un arrêt du 19 mars 2007, la Cour du travail de Mons, statuant comme juridiction de renvoi après cassation, confirme l’enseignement de la Cour suprême et tranche certaines questions en matière de preuve (valeur probante des déclarations de la victime, preuve par présomption de l’homme, valeur de la déclaration patronale d’accident du travail, …).

Les faits

Mme C. était occupée en qualité de femme d’ouvrage. Elle est victime d’un accident du travail le 17 avril 2002 : en tordant une serpillière, elle ressent un craquement et une violente douleur à l’avant bras.

Elle poursuit sa journée de travail mais, vu l’augmentation des douleurs, finiT par avertir son supérieur, à qui elle demande de compléter une déclaration d’accident du travail.

Sur celle-ci, le supérieur fait état d’une douleur grandissant au fil de la journée et ne mentionne pas le geste posé. Mme C. rectifiera elle-même cette déclaration, précisant les faits ainsi que caractère inadéquat des faits relatés dans la déclaration patronale.

Mme C. consulte son médecin traitant, qui la met en incapacité. Elle est ensuite vue par un spécialiste, qui diagnostique une rupture ligamentaire.

L’entreprise d’assurances refuse de prendre en charge le cas. Elle confirme cependant, dans un courrier ultérieur, ne pas contester que Mme C. a effectivement posé le geste professionnel susmentionné (tordre le torchon).

La décision de refus d’intervention étant maintenue par l’entreprise d’assurances, Mme C. l’assigne devant le Tribunal du travail de Verviers, qui reconnaît les faits comme constitutifs d’accident du travail.

Suite à l’appel interjeté par l’entreprise d’assurances devant la Cour du travail de Liège, celle-ci réforme le jugement, estimant que le fait de tordre une serpillière ne constitue pas un événement soudain, faute pour la victime de faire état d’un effort ou de circonstances particuliers, l’événement étant qualité de banal et insignifiant « qui n’offre pas la particularité d’avoir pu soumettre l’organisme à une agression professionnelle ayant pu entraîner une lésion ».

Un pourvoi en cassation est introduit par la travailleuse. La Cour accueille le pourvoi et casse l’arrêt, estimant que, en refusant d’admettre que l’action de tordre une serpillière pouvait, à elle seule, constituer l’événement soudain, la Cour du travail a violé la loi.

La décision de la cour

Quoique la réalité du fait invoqué comme événement soudain (tordre une serpillière) ait été admis par l’entreprise d’assurances, la Cour fut néanmoins saisie par cette dernière de la question de la preuve des faits.

A cette occasion, la Cour dégage les principes suivants :

  1. si la déclaration de la victime ne suffit pas pour établir les faits, elle peut néanmoins être retenue comme preuve si elle s’inscrit dans un ensemble cohérent et concordant de faits, c’est-à-dire si elle est corroborée par d’autres éléments du dossier, ce qui est d’autant plus nécessaire lorsque l’accident a eu lieu sans témoin, la victime prestant seule ;
  2. en ce qui concerne les éventuelles aménagements ou variations dans les déclarations de la victime, la Cour fait sienne l’enseignement de la Cour du travail de Liège, selon lequel celle-ci a le droit de préciser ou rectifier la version des faits contenue dans la déclaration patronale d’accident du travail, n’étant pas l’auteur de celle-ci et cette déclaration pouvant avoir été rédigée de manière incomplète ou imprécise. Elle s’appuie également sur un arrêt du 2 mai 2001 de la Cour du travail de Mons (RG 16555), qui retient que la déclaration patronale peut être complétée ultérieurement, à condition qu’il n’y ait pas de contradiction ;
  3. la Cour doit donc examiner l’ensemble des circonstances de fait et porter son appréciation sur celles-ci en mesurant l’importance respective des éléments favorables et défavorables à l’établissement des faits ;
  4. la circonstance que des témoignages soient constitués un an après les faits n’entame pas leur portée, la victime ayant légitimement pu attendre l’intentement du débat judiciaire pour solliciter officiellement ceux-ci.

Dans le cas d’espèce, après avoir passé en revue les éléments de fait du dossier, la Cour estime qu’existent des présomptions graves, précises et concordantes quant à la réalité du geste professionnel épinglé au titre d’événement soudain. Elle considère en effet que la déclaration de la travailleuse revêt un valeur probante particulière, vu les éléments suivants, confirmant cette déclaration :

  1. les faits ont été signalés deux heures après leur survenance,
  2. l’intéressée s’est immédiatement plainte de douleur auprès de collègues,
  3. sa version des faits est restée constante tandis que le caractère incomplet de la déclaration patronale ne peut lui être reproché,
  4. elle a consulté son médecin le jour même des faits.

L’événement soudain est dès lors reconnu par la Cour.

Intérêt de la décision

Outre que l’arrêt est un arrêt de renvoi après cassation (la Cour suprême ayant statué une nouvelle fois sur la notion d’événement soudain), il rappelle d’une manière claire et précise les principes en matière de preuve et en fait une application concrète dans une hypothèse fréquente, étant celle où la victime n’a pas vu correctement retranscrites ses déclarations à son employeur.


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