Terralaboris asbl

Légalité de la décision de FEDASIL de supprimer un lieu obligatoire d’inscription « sur base volontaire » ?

Commentaire de Cass., 7 janvier 2013, n° S.11.0111.F

Mis en ligne le jeudi 4 avril 2013


Cour de cassation, 7 janvier 2013, R.G. n° S.11.0111.F

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 7 janvier 2013, la Cour de cassation a confirmé la possibilité pour FEDASIL, vu l’article 13 de la loi du 12 janvier 2007 et dans les conditions de celui-ci, de procéder à la suppression du lieu obligatoire d’inscription.

Les faits

Mme D., de nationalité chinoise, a introduit une demande d’asile le 4 mai 2009 et a résidé dans le centre d’accueil qui lui a été désigné comme lieu obligatoire d’inscription. Le 27 octobre 2009, alors que sa demande d’asile était toujours en cours, elle sollicite la suppression de ce lieu obligatoire d’inscription, demande accueillie par FEDASIL vu la saturation du réseau d’accueil et la preuve apportée par Mme D. d’une solution d’hébergement. FEDASIL lui indique qu’elle peut bénéficier de l’aide sociale à charge du C.P.A.S. de la commune où elle est inscrite au registre d’attente.

Mme D. a loué un logement à Bruxelles et y a été inscrite officiellement depuis le 17 décembre 2009. Elle a demandé l’aide du C.P.A.S. de Bruxelles, qui n’a pas réagi à cette demande.

Elle a introduit un recours contre FEDASIL et le C.P.A.S. de Bruxelles.

La période litigieuse se situe entre le 1er janvier 2010 et le 5 mai 2010, date à laquelle Mme D. a été reconnue comme réfugiée et a obtenu l’aide sociale.

Le tribunal du travail décide que la décision de FEDASIL était illégale, les conditions d’application de l’article 13 de la loi du 12 janvier 2007 sur l’accueil des demandeurs d’asile et de certaines autres catégories d’étrangers - avant la modification de cette loi par la loi du 31 décembre 2009 - n’étant pas réunies. La demande a dès lors été déclarée fondée à l’encontre de FEDASIL et non fondée à l’encontre du C.P.A.S.

Par un arrêt du 9 juin 2011, la cour du travail réforme cette décision. Elle considère que les conditions de légalité de la décision de FEDASIL suite à une demande volontaire de suppression d’un lieu d’accueil après un séjour de plus de quatre mois dans un centre d’accueil étaient réunies. La demande de condamnation à des dommages et intérêts de FEDASIL est donc déclarée non fondée et la cour décide que le C.P.A.S. de Bruxelles est devenu compétent pour accorder l’aide sociale et que, pour la période litigieuse, Mme D. remplissait les conditions de cette aide.

Le C.P.A.S. introduit un pourvoi en cassation contre cette décision.

La décision de la Cour de cassation

La première branche du moyen unique invoquait la violation des articles 11 et 13 de la loi du 12 janvier 2007 dans la version applicable au litige. Le C.P.A.S. soutenait en substance que les circonstances particulières permettant de déroger au principe général que la mise en œuvre du droit à l’aide sociale des candidats réfugiés a cessé d’être une compétence des C.P.A.S. pour devenir une compétence de l’Etat fédéral et de FEDASIL n’étaient pas réunies. Les circonstances particulières sont d’interprétation restrictive. Il peut s’agir d’un changement dans la situation personnelle du demandeur d’asile (statut d’un membre de sa famille se trouvant également en Belgique, mariage ou maladie) ou d’un risque de saturation du réseau d’accueil lorsque les circonstances structurelles sont exceptionnelles. Lorsque FEDASIL a accueilli un demandeur d’asile malgré une situation déjà problématique, il ne peut supprimer ensuite l’accueil accordé alors que cette situation problématique, de nature structurelle, serait par définition inchangée.

La Cour rejette le moyen en cette branche : "en considérant que « la démarche de FEDASIL (suppression volontaire d’un lieu obligatoire d’inscription dans le cadre d’une saturation des centres d’accueil) et son application à (Mme D.) trouvent une assise légale à l’article 13 de la loi du 12 janvier 2007, telle que l’application a été voulue par le législateur lors du vote de la loi » et que « la suppression du lieu obligatoire d’inscription a été décidée par FEDASIL en toute légalité », l’arrêt ne viole pas les articles 11, §1er et 13, alinéa 1er, de cette loi.

La troisième branche moyen faisait grief à l’arrêt attaqué de n’avoir pas examiné la légalité, au regard de l’article 13 in fine de la loi du 12 janvier 2007, de la suppression du lieu obligatoire du lieu d’inscription décidée en dépit de l’absence d’arrêté royal fixant la procédure relative à cette suppression. Le C.P.A.S. invoquait la violation de l’article 13 de la loi du 12 janvier 2007 et de l’article 159 de la Constitution.

La Cour de cassation le rejette également : aucun arrêté royal n’est nécessaire pour fixer les circonstances particulières dans lesquelles FEDASIL peut procéder à la suppression du lieu obligatoire d’inscription prévue à l’article 13 de la loi du 12 janvier 2007.

Intérêt de la décision

Le litige était régi par les articles 11, §3 et 13 de la loi du 12 janvier 2007, dans la version initiale de la loi avant sa modification par la loi du 31 décembre 2009 ayant introduit dans l’article 11 par un §4 permettant à FEDASIL de ne pas désigner un lieu obligatoire d’inscription lorsque la saturation du réseau présente un caractère systémique. Sur cette période et les divisions de la jurisprudence des juges du fond, l’on se réfèrera à M. Dallemagne, P. Lambillon et J.-Ch. Stevens (« Les écueils de la loi accueil, ou de Charybde en Scylla » in Regards croisés sur la sécurité sociale, CUP 2012, pp. 810 et ss.), qui soulignent que la Cour de cassation a été saisie de nombreux pourvois.

La Cour de cassation entérine le raisonnement de la cour du travail que dès l’origine de la loi, des circonstances telles qu’une demande volontaire avec preuve d’un lieu d’hébergement et la saturation du réseau répondaient à la notion de circonstances particulières visée à l’article 11, §1er.

Cette solution n’a pas perdu son intérêt depuis la modification de cet article 11 dès lors que, soulignent les auteurs précités, une partie de la jurisprudence estime encore que la modification de l’article 11 ne change rien à la notion de circonstances particulières.

Ils s’interrogent également sur la pertinence - au regard de la directive de 2003/9/CE du Conseil du 29 janvier 2003 relative à des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile dans les Etats membres de l’Union européenne - de la solution consistant à interpréter la loi du 12 janvier 2007 de la manière dont l’a fait notamment la cour du travail de Bruxelles dans l’arrêt cassé (n°183 et ss.).

La réponse à la troisième branche du moyen présente également de l’intérêt. On rappellera que la procédure à suivre par l’agence FEDASIL pour supprimer le lieu obligatoire d’inscription doit, en vertu de l’article 13 de la loi du 12 janvier 2007, être fixée par le Roi. Une jurisprudence majoritaire estimait que l’absence d’arrêté royal n’affectait ni l’entrée en vigueur ni l’application effective de l’article 13 mais cette solution était controversée dans une partie minoritaire de la jurisprudence (cf. les auteurs précités, n°235 à 238).


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