Terralaboris asbl

Un citoyen européen régulièrement entré en Belgique pour y exercer une activité de travailleur indépendant peut-il ensuite bénéficier du revenu d’intégration sociale ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 6 décembre 2012, R.G. 2012/AB/267

Mis en ligne le mardi 7 mai 2013


Cour du travail de Bruxelles, 6 décembre 2012, R.G. n° 2012/AB/267

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 6 décembre 2012, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les droits attachés au statut de citoyen européen, ainsi que les conditions dans lesquelles celui-ci est susceptible de perdre son droit au séjour.

Les faits

Un citoyen de nationalité espagnole introduit en mars 2010 une demande d’attestation d’enregistrement en tant que travailleur indépendant. Il est titulaire d’une carte E. Un an plus tard il s’adresse au CPAS et demande une aide sociale. Le rapport social relève qu’il a exercé avec difficulté une activité d’indépendant (sans qu’il n’y ait faillite), qu’il vit modestement et déclare ne plus avoir de ressources. Le rapport conclut également que, l’intéressé étant titulaire d’une carte E, il a droit au revenu d’intégration et non à une aide sociale même s’il est inscrit au registre des étrangers.

La demande de revenu d’intégration est cependant refusée au motif que la libre circulation est accordée aux personnes disposant de ressources suffisantes pour l’exercer, soit par un travail salarié, soit par une activité indépendante (ou encore par des ressources propres). Le CPAS considère qu’il n’appartient pas à la collectivité de prendre en charge l’aide sociale de citoyens européens qui ne disposent pas de ressources financières suffisantes.

Un recours est introduit devant le tribunal du travail de Bruxelles. L’Intéressé y expose que lorsqu’il est arrivé en Belgique c’était avec l’intention de travailler, que son projet n’a pas été rentable et, même, qu’il a perdu l’investissement qu’il avait fait dans cette activité.

Décision du tribunal

Par jugement du 10 février 2012, le tribunal du travail accueille la demande et condamne le CPAS au paiement du revenu d’intégration au taux isolé. Le jugement est exécutoire.

Position des parties

Le CPAS demande à la cour de considérer que les conditions d’octroi ne sont pas réunies, à savoir essentiellement la condition de séjour. Tout en relevant qu’il n’est pas l’autorité compétente en la matière, le CPAS considère que l’intéressé a obtenu son droit au séjour en tant qu’indépendant sur la base d’activités professionnelles inexistantes ou quasi nulles. Il demande de considérer qu’il y a séjour illégal et que de ce fait il n’y a pas de droit au revenu d’intégration.

L’intéressé déclare quant à lui avoir retrouvé du travail en janvier 2012, ce qui limite la période litigieuse à sept mois environ (juin 2011 - janvier 2012).

Décision de la Cour

La cour rappelle les principes en la matière, étant les articles 18, 21 et 45 du Traité sur le fonctionnement de l’Union, qui contiennent les principes de libre circulation et de séjour ainsi que leurs conditions essentielles d’exercice.

La cour reprend ensuite la définition de travailleur, dans ces matières, et ce à la lumière de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, étant que ne peuvent être exclues de cette notion que les activités tellement réduites qu’elles se présentent comme purement marginales et accessoires. En outre, les autorités nationales peuvent ne pas réserver à l’intéressé la qualité de travailleur au sens du Traité eu égard aux éléments de l’appréciation globale de la relation de travail (C.J.U.E., 4 juin 2009, Aff. Vatsouras et Koupatantze, C-22/08 et C-23/08).

Elle passe ensuite à l’examen des articles 7, 14 et 16 de la directive 2004/38 du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leur famille de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres et aborde également la question de l’égalité de traitement (article 24, § 1 de la directive) dans les matières de prestations d’assistance sociale.

Quant au droit interne, elle relève les termes de l’article 42bis, § 1er de la loi du 15 décembre 1980, qui permet de mettre fin au droit de séjour du citoyen de l’Union lorsqu’il ne satisfait plus aux conditions fixées à l’article 40, § 4 (qui vise l’exigence de la qualité de travailleur salarié ou non salarié ou l’existence de ressources suffisantes) lorsqu’il constitue une charge déraisonnable pour le système d’aide sociale du Royaume. Il peut dès lors être mis fin au droit de séjour dans diverses situations énumérées par la loi. La cour relève qu’il ressort du texte que le droit au séjour dépend des conditions objectives mais que, pour le retrait, les autorités compétentes bénéficient d’un large pouvoir d’appréciation. Elle renvoie ici à diverses décisions rendues par la même cour (C. trav. Bruxelles, 23 mars 2011, R.G. n° 2010/AB/17 et C. trav. Bruxelles, 15 décembre 2010, R.G. n° 52.370) où elle a confirmé le caractère discrétionnaire de la compétence de retrait.

Appliquant ces principes à l’espèce examinée, la cour constate dès lors qu’elle ne peut écarter le droit de séjour de l’intéressé et considérer qu’il est illégal. C’est au Ministre (ou à son délégué) qu’il appartiendrait de procéder au retrait de l’attestation d’enregistrement.

Elle souligne par ailleurs que le retrait ne peut pas intervenir d’office dès la demande d’octroi d’une prestation d’assistance et elle renvoie à cet égard à diverses décisions de la Cour de Justice de l’Union Européenne (dont C.J.U.E., 23 mars 2006, Commission c/ Belgique, C-408/03). Elle conclut sur cette question que le CPAS ne peut – même sous le contrôle des juridictions – s’arroger la compétence de vérifier l’existence de motifs permettant de remettre en cause le droit de séjour. Les effets de l’attestation d’enregistrement ne peuvent dès lors être écartés et le séjour n’est pas illégal.

Sur les circonstances de l’espèce, la cour les examine minutieusement, confirmant d’une part l’exercice de l’activité, le paiement du loyer du bail commercial, les démarches effectuées par l’intéressé et enfin son inscription comme demandeur d’emploi. Ayant activement cherché du travail suite à la cessation de son activité indépendante, l’intéressé avait donc pour la cour toujours la qualité de travailleur au sens de l’article 40, § 4, alinéa 1er, 1°, de la loi du 15 décembre 1980.

Etant citoyen de l’Union, autorisé à un séjour de plus de trois mois sur le territoire, le demandeur répondait dès lors à la condition d’octroi relative au séjour.

Remplissant par ailleurs les autres conditions, la cour déboute le CPAS de son appel.

Intérêt de la décision

Cet arrêt aborde une problématique délicate, étant la situation des citoyens de l’Union européenne, titulaires d’une carte E, qui se retrouvent sans ressources sur le territoire et qui peuvent, conformément au principe, se voir retirer la qualité de travailleur et en conséquence perdre le droit au séjour.

La cour reprend ici de manière très claire les principes applicables, tels que figurant dans le Traité, dans la jurisprudence de la Cour de justice et dans la directive 2004/38.


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