Terralaboris asbl

L’exercice d’une activité bénévole et d’une activité accessoire est-il compatible avec l’octroi d’allocations de chômage ?

Commentaire de C. trav. Liège, 8 février 2013, R.G. 2009/AL/36.231

Mis en ligne le mardi 14 mai 2013


Cour du travail de Liège, 8 février 2013, R.G. 2009/AL/36.231

Terra Laboris asbl

Dans un arrêt du 8 février 2013, la Cour du travail de Liège met un terme à un long litige, dans lequel un chômeur exerçait à la fois une activité bénévole et une activité accessoire pour diverses personnes morales, se déployant dans le domaine de la formation d’enseignants en chômage.

Les faits

Les faits remontent à l’année 1994, l’ONEm ayant refusé d’indemniser un chômeur à compter de la demande introduite le 31 janvier de cette année. Un recours a été introduit contre cette décision, qui se fondait sur l’exercice d’activités déployées par l’intéressé dans trois ASBL, deux Coopératives et une S.P.R.L.U. dans lesquelles il détenait des mandats d’administrateur à titre gratuit. Pour l’ONEm, il ne pouvait s’agir ni d’une activité accessoire ni d’une activité bénévole. L’existence de celles-ci avait été reprise dans le formulaire C.1.1. Dans le cours de l’instruction, il apparut qu’il avait été mis un terme à certaines de ces activités, de telle sorte que le débat judiciaire s’est focalisé sur le caractère accessoire ou non d’une activité au sein d’une S.P.R.L.U. (« Ambitions pour l’emploi ») ainsi que le caractère bénévole ou non d’une activité au profit d’une ASBL I.L.E. (Initiatives locales pour l’emploi) – BORINAGE.

L’intéressé expose dans le cours de l’instruction du dossier que cette ASBL envisageait la formation d’enseignants en chômage afin de dispenser des cours, dans des locaux inoccupés, à des chômeurs aux fins de faciliter leur insertion professionnelle.

Parallèlement à la déclaration faite dans le cadre du dossier chômage, l’intéressé avait sollicité l’autorisation d’exercice d’activité bénévole par formulaire distinct ainsi qu’une demande de dispense de pointage.

L’ONEm a fait application de l’article 45 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, au motif qu’il y avait « abus du système du volontariat », vu l’importance, la durée et la nature des activités. Celles-ci auraient dû normalement être rémunérées et se trouvent soustraites au circuit économique, et ce en vue de faire l’économie d’une rémunération.

Dans le cadre de la S.P.R.L.U., la possibilité existait en outre d’acquérir un immeuble et de s’occuper de sa gestion, chose que l’intéressé expliquait rentrer dans l’objet social, s’agissant de mettre des infrastructures à la disposition de chômeurs ou d’ASBL. Les recettes perçues servaient, pour lui, à financer les investissements de la société ainsi qu’à payer le comptable, lui-même ne percevant aucune rémunération ni aucun avantage matériel, le mandat d’administrateur étant exercé à titre gratuit et en-dehors de la tranche horaire 7-18 heures. Pendant celle-ci, il déclarait se consacrer bénévolement à l’activité au sein de l’ASBL I.L.E. – BORINAGE.

Rétroactes de la procédure

Arrêt de la Cour du travail de Mons du 6 mars 2003

Le premier juge fit droit au recours de l’intéressé mais, par arrêt du 6 mars 2003, la Cour du travail de Mons réforma cette décision, au motif que l’activité bénévole avait été exercée mais sans que l’intéressé n’ait obtenu préalablement l’accord du directeur du bureau de chômage. Cette décision était fondée sur l’article 18, § 2 de l’arrêté royal ministériel du 26 novembre 1991, qui prévoit la possibilité d’exercice d’une activité bénévole et gratuite pour compte d’une ASBL à la condition que la déclaration écrite préalable ait été introduite au bureau de chômage. La cour du travail avait considéré que cette demande n’ayant pas fait l’objet d’une réponse spécifique du bureau régional, mais ayant été jointe au dossier global, elle se retrouvait dans la décision de refus d’indemnisation. Il fallait conclure que, faute d’avoir reçu préalablement l’autorisation du directeur du bureau régional, l’intéressé ne remplissait pas les conditions permettant le cumul des allocations et l’exercice d’une activité dont le caractère bénévole n’était pas préalablement reconnu.

Arrêt de la Cour de cassation du 22 décembre 2003

Dans son arrêt du 22 décembre 2003, la Cour de cassation cassa cet arrêt, considérant qu’il y avait violation des articles 45 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 et 18 de l’arrêté ministériel du 26 novembre 1991.

Arrêt de la Cour du travail de Liège du 8 février 2013

La cour du travail reprend l’enseignement de l’arrêt de la Cour de cassation, dont il résulte que le chômeur est seulement tenu d’effectuer la déclaration préalable de l’activité en cause et peut l’entamer sans attendre l’accord du directeur du bureau de chômage. Ceci cependant à ses risques et périls, si cet accord lui est ultérieurement refusé du fait que l’une ou l’autre des conditions visées dans les dispositions ci-dessus est considérée comme n’étant pas remplie.

En ce qui concerne l’activité accessoire, la cour du travail, se fondant sur l’arrêt de la Cour de cassation, rappelle qu’une modification est intervenue au § 4 de l’article 48 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 par un arrêté royal du 12 août 1994 dont l’effet a été de supprimer l’obligation de la consultation préalable de la commission consultative. Or, en l’espèce, concernant des faits antérieurs à l’entrée en vigueur de cet arrêté royal, l’avis de la commission n’a pas été sollicité. La décision administrative est dès lors, pour la cour du travail, nulle à défaut de respect d’une formalité substantielle. La cour constate qu’elle se trouve dans le cas d’un contentieux de pleine juridiction et qu’elle va dès lors devoir se substituer à l’administration pour statuer sur les droits de l’intéressé.

Deux questions se posent dès lors, étant (i) le caractère bénévole de l’activité exercée pour l’ASBL et (ii) le caractère accessoire pour celle déployée au sein de la S.P.R.L.U. La cour se livre, dès lors, à un très long examen de ces deux types d’activité, soulignant avec le conseil de l’intéressé que l’activité bénévole n’est pas concernée par l’article 48 de l’arrêté royal (relatif à l’activité accessoire). En effet, il ne s’agit pas a priori d’une activité intégrée dans le courant des échanges économiques de biens et de services. Si elle a un caractère bénévole, cette activité ne peut donc être considérée ni comme une activité exercée pour compte propre ni pour compte d’un tiers.

Abordant l’examen de l’activité bénévole, la cour énonce les règles concernant la charge de la preuve, étant qu’il appartient à l’ONEm de prouver l’absence de caractère bénévole de l’activité, et ce sur la base d’un faisceau de présomptions graves, précises et concordantes (article 18, § 2, alinéa 2 de l’arrêté ministériel). Un débat se noue sur l’importance en temps de cette activité et ce eu égard à la disponibilité sur le marché de l’emploi. L’intéressé souligne ici que la condition de disponibilité ne peut être comprise de manière théorique et mathématique, c’est-à-dire en fonction du nombre d’heures de travail. Le critère à retenir ici est l’utilité de l’activité bénévole au regard des chances de réinsertion professionnelle qu’elle procure ou non à celui qui l’exerce. Et, en l’espèce, l’examen concret du dossier permet de constater que celle-ci a engendré plusieurs remises au travail, de même la reconnaissance par les autorités régionales, dans le cadre d’un projet PRIME. La cour va dès lors constater l’absence de rémunération, le caractère non marchand de l’activité et conclure que l’ONEm ne rapporte par la preuve qu’il lui incombe, étant que cette activité s’intégrait dans le courant des échanges économiques de biens et de services et/ou avait pour effet par sa nature, sa durée ou sa fréquence de diminuer sensiblement la disponibilité de l’intéressé sur le marché de l’emploi.

Sur l’activité accessoire, déclarée, la cour rappelle également que la charge de la preuve réside dans le chef de l’ONEm et que les présomptions que ce dernier doit réunir concernent soit le temps de travail consacré à l’activité soit les revenus générés ou encore les deux critères. La cour rappelle ici l’arrêt de la Cour de cassation du 20 mars 2000 (Cass., 20 mars 2000, J.T.T., 2000, p.169), selon lequel, pour l’application des dispositions en cause, c’est le montant des revenus de l’activité qu’il faut retenir et non pas le revenu que le chômeur perçoit lui-même de la part de ces revenus.

La cour va dès lors procéder à l’examen du temps consacré à cette activité et confirmer qu’il n’est pas établi qu’elle aurait été exercée en-dehors de la plage 7 – 18 heures, les premiers juges ayant par ailleurs retenu une durée d’exercice de l’ordre de 2 heures par mois, ce qui n’a pas été démenti par la suite.

En ce qui concerne les revenus de l’activité, se posent plus particulièrement deux questions étant la propriété d’un bien immobilier et la nature des relations entre l’ASBL et la S.P.R.L.U. Sur le premier point, la cour constate que l’intéressé ne tire aucun revenu ou avantage de l’immeuble, qu’il ne lui a pas servi d’habitation mais a uniquement été affecté aux activités de formation. Aucun loyer ne lui a été versé et aucun avantage n’a dès lors été perçu en lien avec cet immeuble. Quant aux relations entre les deux personnes juridiques, il n’est pas non plus établi qu’il aurait pu être question d’une couverture pour une activité commerciale.

En conséquence, la cour du travail fait droit à la demande introduite … le 31 janvier 1994.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Liège met un terme à un très long litige, dans lequel ont été précisées les deux notions d’activité exercée à titre bénévole et d’activité accessoire.

L’on aura noté que, sur la question de l’activité bénévole, les faits portent sur une période précédant l’entrée en vigueur de la loi du 3 juillet 2005 sur le volontariat, dont les termes devraient également être respectés, aujourd’hui.


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