Terralaboris asbl

Sanction en cas d’inexécution de l’obligation dans le chef de l’entreprise d’assurances de prévenir la mutuelle

Commentaire de C. trav. Liège, 8 janvier 2007, R.G. 31.065/02

Mis en ligne le vendredi 22 février 2008


Cour du travail de Liège, 8 janvier 2007, R.G. 31.065/02

TERRA LABORIS ASBL – Pascal HUBAIN

Pour éviter la sanction de devoir payer les indemnités d’incapacité de travail, l’entreprise d’assurances qui refuse de prendre à sa charge un accident déclaré comme accident du travail ne peut se contenter d’établir que la mutuelle en a été informée par la victime mais doit elle-même en aviser la mutuelle dans les 30 jours qui suivent la réception de la déclaration.

Les faits

Madame D. est victime d’un accident du travail, survenu le 28 novembre 1994.

Le 6 décembre 1994, l’entreprise d’assurances a reçu la déclaration d’accident (tendinite suite à une activité professionnelle de manutention).

Le 8 décembre 1994, elle a écrit à Madame D. que, selon elle, il ne s’agit pas d’un accident du travail, vu l’absence d’événement soudain clairement identifié.

A une date qui n’est pas précisée, la mutuelle de Madame D. a reçu de son affiliée une déclaration du même accident, datée du 19 décembre 1994.

La mutuelle a payé à son affiliée les indemnités d’incapacité de travail (article 136 § 1er alinéa 2 de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994 et article 295 de l’arrêté royal du 3 juillet 1996 portant exécution de la loi).

Le 4 janvier 1995, la mutuelle a informé l’entreprise d’assurances du fait que, dans l’attente d’une décision définitive de celle-ci, elle a indemnisé Madame D.

Le 21 avril 1995, l’entreprise d’assurances a notifié à la mutuelle son refus d’intervention.

Le 10 décembre 1996, la mutuelle a réclamé à cette dernière le remboursement d’une somme de 113.377 francs belges (soit les indemnités d’incapacité de travail payées du 30 novembre 1994 au 21 avril 1995 inclus).

En effet, l’article 63, § 2, alinéa 3 de la loi du 10 avril 1971 prévoit que, dans l’hypothèse où l’entreprise d’assurances omet d’informer la mutuelle, dans les 30 jours qui suivent la réception de la déclaration, qu’elle refuse de prendre le cas en charge, les indemnités d’incapacité de travail sont payées à la victime par la mutuelle et récupérées directement par elle auprès de l’entreprise d’assurances.

Le 15 avril 2000 la mutuelle a assigné l’entreprise d’assurances en paiement d’une somme de 121.925 francs belges (en y incluant des débours de soins de santé), augmentée « des intérêts légaux et judiciaires courant depuis les dates d’exposition des débours ».

Le jugement

Par un jugement du 18 avril 2002, le tribunal du travail de Verviers, après avoir rejeté la fin de non recevoir tirée de la prescription, soulevée par l’entreprise d’assurances, a déclaré la demande de la mutuelle non fondée et a mis les dépens à sa charge.

Le tribunal du travail s’est fondé sur la lettre du 8 décembre 1994 de l’entreprise d’assurances à la victime et sur celle du 4 janvier 1995 de la mutuelle à l’entreprise d’assurances.

Il a déduit de la reproduction, sur la lettre de la mutuelle du 4 janvier 1995, des références du dossier de l’entreprise d’assurances qu’à cette date au plus tard, la mutuelle connaissait le contenu de la lettre du 8 décembre 1994 car elle n’aurait pas, sinon, indiqué les références de l’entreprise d’assurances.

Le tribunal a donc considéré que la mutuelle a bien été informée par l’entreprise d’assurances, même s’il n’y eut pas en l’espèce de lettre d’information envoyée directement par celle-ci à la mutuelle.

La position des parties en appel

Le 22 août 2002, la mutuelle a interjeté appel du jugement, réitérant les mêmes arguments qu’en première instance.

De son côté, l’entreprise d’assurances a demandé la confirmation intégrale du jugement entrepris et subsidiairement la limitation du remboursement aux indemnités couvrant la période commençant le 6 janvier 1995 et la limitation de la prise de cours des intérêts au 15 janvier 2000, date de la citation.

L’entreprise d’assurances a également invoqué un argument nouveau : ce n’est que dans l’hypothèse où l’affilié n’aurait pas transmis lui-même la déclaration d’incapacité auprès de sa mutuelle qu’elle doit être sanctionnée, en prenant en charge les indemnités , lorsqu’elle a omis de remplir son obligation d’information de la mutuelle.

A l’appui de son argumentation, l’entreprise d’assurances invoque la présence, dans le texte de l’article 63, § 2, alinéa 3, des mots « hormis la formalité de déclaration ».

La position de la cour du travail

Dans son arrêt du 8 janvier 2007, la cour du travail de Liège commence par rappeler les dispositions légales applicables en la matière.

Selon l’article 63, § 2, alinéa 1er de la loi du 10 avril 1971, lorsque l’entreprise d’assurances refuse de prendre le cas en charge ou estime qu’il existe un doute sur l’application de la loi à l’accident, elle en avise la mutuelle de la victime, dans les trente jours qui suivent la réception de la déclaration d’accident.

Par ailleurs, selon l’article 63, § 2, alinéa 3, les indemnités d’incapacité de travail prévues par l’assurance obligatoire contre la maladie et l’invalidité sont dues par l’entreprise d’assurances qui omet de faire en temps utile la déclaration prévue à l’alinéa 1er, du début de l’incapacité jusqu’au jour de la déclaration incluse, au travailleur qui, hormis la formalité de déclaration, remplit les conditions pour les obtenir.

La même disposition ajoute que les indemnités sont payées à la victime par la mutuelle et récupérées directement par celle-ci auprès de l’entreprise d’assurances.

Selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, le remboursement des dites indemnités à la mutuelle constitue une sanction infligée à l’entreprise d’assurances qui a omis de prévenir la mutuelle en temps utile et qui a de la sorte manqué à son devoir de bonne collaboration (Voyez Cass. 3 octobre 1994, J.T.T. 1995, p. 127).

La question qui est posée est donc de savoir si le fait que l’entreprise d’assurances a écrit à la victime et que la victime a écrit à sa mutuelle est suffisant pour permettre d’éviter la sanction.

La Cour du travail répond par la négative : l’entreprise d’assurances est en effet tenue de prévenir elle-même la mutuelle et n’a donc pas satisfait à son obligation lorsque, comme en l’espèce, c’est l’affilié de la mutuelle qui a averti celle-ci, peu importe qu’il soit ou non invité à le faire par l’entreprise d’assurances.

La Cour de cassation s’est déjà prononcée à ce sujet en décidant que la sanction que l’article 63, § 2 de la loi du 10 avril 1971 attache à l’inexécution par l’entreprise d’assurances de son obligation de prévenir la mutualité de la victime n’est pas évitée par le fait que celle-ci a informé la mutualité (Cass., 14 décembre 1987, J.T.T., 1988, p. 69).

De même, il appartient à l’entreprise d’assurances de rechercher activement l’identité de la mutuelle, n’étant pas déchargée de son obligation de la prévenir, notamment lorsque l’identité de celle-ci ne lui a pas été communiquée par le formulaire de déclaration de l’accident.

C’est donc à tort que les premiers juges ont considéré l’action de la mutuelle non fondée sur la base des deux lettres du 8 décembre 1994 (de l’entreprise d’assurances à la victime) et du 4 janvier 1995 (de la mutuelle à l’entreprise d’assurances).

Les pièces retenues par le tribunal relèvent seulement que l’entreprise d’assurances a informé la victime et que la victime a informé sa mutuelle mais non que l’entreprise d’assurances elle-même a prévenu directement la mutuelle.

N’est pas pertinent le fait que la mutuelle ait communiqué au dossier une photocopie de la lettre du 8 décembre 1994 de l’entreprise d’assurances à la victime avec la mention « copie mutuelle de la lettre adressée à Madame D. ». La mutuelle a produit en effet une autre copie, sans cette mention. Dès lors, il est uniquement établi que la victime a remis à sa mutuelle la lettre du 8 décembre 1994, que la mutuelle en a tiré deux copies et a porté sur l’une d’elle cette mention mais non que l’entreprise d’assurances a fait elle-même à la mutuelle la déclaration nécessaire pour éviter la sanction.

La Cour du travail répond également à l’argument nouveau soulevé par l’entreprise d’assurances en degré d’appel et dit ne pas partager l’interprétation faite par celle-ci du texte légal.

La Cour estime en effet que ces mots (« hormis la formalité de déclaration), tels qu’insérés dans l’article 63 § 2 alinéa 3 de la loi concernent, non pas les conditions auxquelles les indemnités d’incapacité de travail sont dues par l’entreprise d’assurances, mais bien les conditions auxquelles la victime est en droit d’obtenir ces indemnités, à savoir que les indemnités sont dues à la victime qui remplit toutes les obligations pour les obtenir, sauf la déclaration de son incapacité.

Il s’agit en effet de ne pas pénaliser la victime qui, croyant être couverte par l’assurance contre les accidents du travail, a omis de déclarer son incapacité à sa mutuelle.

Cette interprétation résulte non seulement des travaux préparatoires de la loi mais également de l’article 63, §1er, alinéa 2, qui précise que la déclaration adressée par l’entreprise d’assurances à la mutuelle est considérée comme étant la déclaration d’incapacité faite par la victime à sa mutuelle en temps utile.

La Cour du travail en conclut que l’entreprise d’assurances ne prouve pas avoir prévenu la mutuelle qu’elle refusait de prendre le cas en charge ou qu’elle avait des doutes sur l’application de la loi, et ce dans les 30 jours qui ont suivi la date à laquelle elle a reçu la déclaration d’accident du travail (le 6 décembre 1994).

Dès lors, elle est tenue de rembourser des indemnités d’incapacité de travail et l’appel de la mutuelle est fondé.

Concernant la période de remboursement, la Cour du travail rappelle que l’article 63, § 2, alinéa 3 prévoit que les indemnités d’incapacité de travail qui sont dues par l’entreprise d’assurances sont celles qui courent depuis le début de l’incapacité jusqu’au jour de la déclaration inclus (en l’espèce du 30 novembre 1994 au 21 avril 1995) et non, comme l’entreprise d’assurances l’a soutenu, à compter du 6 janvier 1995, soit le premier jour qui suit l’expiration du délai de 30 jours.

La Cour rappelle enfin que ce sont les indemnités d’incapacité de travail mais non les soins de santé que l’entreprise d’assurances doit rembourser, en sorte que la mutuelle peut récupérer 120.644 francs belges (et non 121.925 francs belges, la différence correspondant aux soins de santé).

Pour ce qui concerne les intérêts, la Cour considère que l’obligation de rembourser les indemnités d’incapacité de travail est une obligation de sommes au sens de l’article 1153 du Code civil en sorte que des intérêts moratoires ne sont dus, au taux légal, qu’à compter d’une sommation à payer.

Cette sommation résulte de la mise en demeure adressée par la mutuelle à l’entreprise d’assurances le 10 décembre 1996.

Par contre, les intérêts n’étant pas dus de plein droit, la mutuelle ne peut pas les calculer depuis la date de ses débours, s’agissant au demeurant d’intérêts moratoires et non d’intérêts compensatoires qui feraient partie intégrante de l’indemnité à allouer pour la réparation complète du dommage causé par la faute de l’entreprise d’assurances.

L’intérêt de la décision

La Cour du travail de Liège rappelle utilement la rigueur de la sanction prévue par l’article 63, § 2, alinéa 3 de la loi du 10 avril 1971.

Hormis le cas de force majeure, si l’entreprise d’assurances ne déclare pas dans les 30 jours de l’accident soit son refus de prendre le cas en charge, soit l’existence d’un doute sur l’application de la loi, elle doit rembourser à la mutuelle toutes les indemnités que celle-ci a avancées en faveur de son affiliée, depuis le début de l’incapacité de travail.

L’information visée concerne exclusivement les rapports entre l’entreprise d’assurances et la mutuelle.

En aucune façon, la victime ne peut être pénalisée, l’article 63, § 2, alinéa 2, facilitant même la déclaration d’incapacité de travail de la victime à sa mutuelle par le biais de la déclaration adressée par l’entreprise d’assurances à la mutuelle.


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