Terralaboris asbl

Secteur du transport : notion de temps de travail, temps de liaison et de temps de repos : rappel

Commentaire de Trib. trav. Charleroi, 9 juillet 2008, R.G. 04/170.948/A

Mis en ligne le mardi 11 juin 2013


Tribunal du travail Charleroi, 9 juillet 2008, R.G. n° 04/170.948/A

TERRA LABORIS Asbl

Dans un jugement du 9 juillet 2008, le Tribunal du travail de Charleroi rappelle les principes régissant le temps de travail dans le secteur du transport et les obligations de l’employeur aux fins de vérifier celui-ci.

Les faits

Le demandeur est chauffeur routier, affecté à des transports internationaux sur poids lourds. Il quitte, ainsi, régulièrement son domicile le lundi et n’y rentre qu’en fin de semaine ou dans le courant du week-end.

L’employeur omet d’utiliser les feuilles journalières de prestations prévues dans les conventions collectives de travail applicables au secteur du transport. Il recourt cependant à des documents internes (feuilles de route), l’une interne à la société elle-même et l’autre interne à la société cliente pour laquelle les transports sont effectués. Sur la base de ces feuilles de route, la facturation est faite au client.

Des discordances étant constatées par le chauffeur, entre les prestations effectuées et les feuilles de paie, il entreprend de conserver une copie des feuilles de route internes ainsi que des disques tachygraphes du camion.

Il démissionne, quelque temps plus tard, vu le refus de l’employeur de le payer conformément à ce qu’il réclame pour ses prestations.

Son organisation syndicale prend alors contact avec l’employeur, vu le non respect de l’obligation de tenir des feuilles de prestations journalières et retient que, sur la base des feuilles de route conservées par le chauffeur, reste dû un arriéré de rémunération de l’ordre de 3.000 euros bruts.

La société fait valoir qu’elle n’a pas signé les feuilles de prestations journalières et qu’elle n’a pas conservé la totalité des disques tachygraphes, vu l’obligation légale à cet égard, limitant le temps de conservation à un an.

La position du tribunal

Le Tribunal rappelle d’abord les conditions de travail au sein du secteur du transport, où la durée du travail est fixée à 39 heures/semaine. Il s’agit d’une durée moyenne à respecter sur une période de six mois. Le temps de travail ne peut quant à lui dépasser 12 heures par jour (limite journalière) ou 1.014 heures par période de six mois. Dans ces limites, aucun salaire supplémentaire n’est dû.

En outre, il faut ventiler le temps où le travailleur est à disposition de l’employeur en temps de travail, temps de liaison, interruption du temps de travail et temps de repos.

Le temps de travail est consacré à la conduite ainsi qu’aux opérations de chargement et déchargement (si l’activité est effectuée par le chauffeur lui-même). Le temps de liaison est la somme de divers temps d’attente (douane, temps passé sur la couchette, à proximité du véhicule sans prestation de travail, …). L’interruption du temps de travail vise l’interruption réglementaire du temps de conduite, les repas, le temps dont le travailleur peut disposer librement et le temps qu’il s’octroie. Le temps de repos est le temps de repos journalier et hebdomadaire fixé dans les dispositions réglementaires (dont habillage, toilette, etc.).

De ces diverses définitions, seul le temps de travail est pris en considération pour le calcul de la durée moyenne de travail. Quant aux heures de liaison, elles donnent droit à une indemnité égale à 90% du salaire dû pour une heure de travail.

Interviennent en outre des indemnités de séjour et RGPT (indemnité de séjour forfaitaire, indemnité due sur le nombre d’heures de travail et de liaison, indemnité forfaitaire complémentaire en cas de séjour fixe en Belgique ou à l’étranger).

De l’ensemble de ces règles, le Tribunal retient qu’il y aura travail supplémentaire donnant droit à un sursalaire dès lors que la durée normale hebdomadaire de travail prévue ci-avant est dépassée, ce calcul étant le temps consacré à la conduite du véhicule ainsi qu’aux opérations de chargement et déchargement (si le chauffeur procède lui-même à celles-ci).

Quant à la preuve du temps presté, qui doit bien sûr être apportée par le demandeur, elle doit pouvoir se faire, dans ce secteur, par la production des feuilles journalières de prestation. Un modèle est annexé à la convention collective de travail du 25 janvier 1985 (dans ses modifications ultérieures). La mouture du texte actuel (étant la convention collective du 19 mars 2002) dispose que l’utilisation d’une feuille journalière de prestations est obligatoire et que l’employeur a l’obligation de la mettre à disposition des travailleurs. Pour le calcul de la rémunération ainsi que de la fixation des indemnités, c’est cette feuille journalière de prestations qui doit servir de base. La convention collective prévoit en outre que ce document est admis par les parties comme étant le seul instrument auquel il peut être recouru en cas de désaccord. Afin d’éviter toute contestation, il est également prévu que l’exemplaire du document doit être signé par les deux parties au contrat de travail et qu’une contestation ne peut être admise qu’en cas de refus d’une des parties de signer. S’agissant d’un document social, ces feuilles doivent être conservées pendant 5 ans, conformément à l’arrêté royal du 8 août 1980 relatif à la tenue des documents sociaux. Le Tribunal en conclut que les feuilles de prestations journalières sont en principe le seul document auquel l’on peut avoir égard pour établir les heures supplémentaires.

S’il y a négligence de l’employeur dans la tenue des ces documents, il relève qu’il est admis, en jurisprudence, que le travailleur peut établir ses prestations supplémentaires par la production de disques tachygraphiques ou encore par des listes de prestations journalières tenues unilatéralement pendant l’occupation. Le Tribunal relève diverses décisions qui ont admis que la convention de secteur peut valablement imposer à l’employeur et à ses travailleurs l’emploi de ces feuilles de prestations journalières et mettre la charge de la preuve de l’inexactitude de ces mentions sur la partie qui n’a pas signé. C’est donc l’employeur qui va supporter la charge de prouver la réalité des heures prestées.

En l’espèce, il relève que le demandeur produit des feuilles de prestations journalières qui n’ont, certes, pas été approuvées ni signées par la société mais qui sont établies sur la base des feuilles de route internes à l’entreprise et à la société cliente ainsi que à partir des disques tachygraphes. La charge de la preuve de l’inexactitude de celles-ci incombe donc à la société.

Le Tribunal va encore retenir le caractère minutieux du décompte effectué et le fait que les éléments avancés par la société ne permettent pas de renverser la présomption.

Enfin, il allouera les arriérés de rémunération et les indemnités postulées, rappelant ici la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 14 juin 1993 Som., Chr.D.S. 1994, p. 90), qui a admis que le juge peut, sans donner à des conclusions une interprétation inconciliable avec leurs termes, considérer que l’employeur conteste, en son principe, le bien fondé de la demande du travailleur mais ne formule pas de critique sur la façon détaillée dont celui-ci a calculé le montant réclamé. Cette somme peut être allouée telle qu’elle dès lors que le principe qui la fonde est admis.

Intérêt de la décision

Après un rappel des règles spécifiques au secteur du transport, et particulièrement le transport international, le tribunal aborde une question fréquente, étant celle du non-respect par l’employeur de l’obligation de délivrer les feuilles journalières de prestations tel que prévu par la convention collective du secteur. Il conclut, en l’absence de ce mode de preuve (le seul admis en principe par la convention collective), à une présomption instaurée en faveur du chauffeur-transporteur, dès lors que celui-ci a de son côté des feuilles établissant la réalité de ses prestations : il appartient, dans ce cas, à l’employeur de renverser ladite présomption.


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