Terralaboris asbl

Installation d’une délégation syndicale – Une CCT d’entreprise prévoyant des conditions moins strictes que celles prévues par une CCT sectorielle rendue obligatoire nuit-elle à la protection du délégué ?

Commentaire de Trib. trav. Bruxelles, 16 juin 2008, R.G. 65.348/03

Mis en ligne le jeudi 13 juin 2013


Tribunal du Travail de Bruxelles, 16 juin 2008, RG n° 65.348/03

TERRA LABORIS ASBL

Les faits

Nous sommes dans le secteur des maisons de repos, soit anciennement celui de la sous-commission paritaire 305.02 (devenu à présent la commission paritaire 330). L’installation, la composition et le fonctionnement de la délégation syndicale, de même que la protection de ses membres, y sont régis par une convention collective de travail sectorielle datée du 8 juin 1972 et rendue obligatoire par arrêté royal du 25 septembre 1972 (M.B. 20 décembre 1972).

En particulier, l’article 8 de cette CCT énonce qu’une délégation peut être installée dans chaque établissement :

  • qui pendant les six mois précédant la désignation ou l’élection occupe au moins un effectif de 50 personnes ;
  • et lorsque 50 % de ce personnel de l’établissement a fait la demande et accepte d’être représenté par la délégation syndicale.

Par la suite, en date du 18 décembre 1995, les partenaires sociaux ont rédigé une « déclaration de principe » libellé comme suit : « Les parties conviennent (…) qu’en exécution de la CCT (…) du 8 juin 1972 (…) il faut comprendre que dans les conditions de l’article 8, il est possible de constituer et de composer une délégation syndicale dans les établissements occupant un effectif de moins de 50 personnes sur base d’une CCT entre l’employeur et les représentants des travailleurs. »

Dans l’espèce tranchée, l’employeur, qui est une maison de repos, a conclu avec une organisation syndicale une convention collective d’entreprise datée du 1er janvier 2001 et qui prévoit que l’employeur reconnaît expressément la délégation syndicale au sein de son institution conformément à la CCT du 8 juin 1972.

En application de cette CCT d’entreprise, l’organisation syndicale a désigné le 4 décembre 2001 madame T. comme déléguée syndicale.

Par courrier du 14 décembre 2001, la directrice de la maison de repos a contesté la désignation de madame T.

En date du 27 août 2002, l’employeur a mis fin au contrat de madame T. moyennant prestation d’un préavis.

L’organisation syndicale a contesté le licenciement et a réclamé l’indemnité de protection d’un an prévue par la CCT sectorielle du 8 juin 1972.

La position de l’employeur

Prenant appui sur l’article 8 de la CCT du 8 juin 1972, l’employeur affirme qu’il n’a pas occupé 50 personnes dans les 6 mois qui ont précédé la désignation de madame T et qu’il n’est pas établi que 50 % du personnel ait fait la demande d’installer une délégation syndicale.

Il fait valoir que cette condition est intangible puisque, sanctionnée pénalement, la CCT du 8 juin 1972 touche à l’ordre public. L’on ne peut dès lors y déroger valablement ni par une déclaration de principe ni par une convention collective d’entreprise.

L’employeur insiste en particulier sur le fait que la déclaration de principe n’est « pas par définition un accord mais une simple déclaration n’ayant pas valeur de convention collective » et qu’elle ne le lie donc pas. Il en découle, selon lui, que madame T. ne pouvait faire valoir aucun droit à l’indemnité de protection d’un an prévue par la CCT du 8 juin 1972.

La décision du tribunal

Le tribunal constate qu’il n’est pas contesté que l’employeur occupait moins de 50 travailleurs. Il estime que ladite déclaration de principe reflète bien un accord des partenaires sociaux du secteur, qui ont d’ailleurs expressément utilisé le terme « convenir » mais que cet accord ne peut être qualifié de convention collective de travail, puisqu’il ne satisfait pas aux conditions de forme prévues par les articles 13 à 18 de la loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives et les commissions paritaires.

Il en découle que cette déclaration de principe ne peut déroger à une convention collective de travail conclue au niveau sectoriel, qui en plus est rendue obligatoire par arrêté royal.

Toutefois, en ce qui concerne la convention collective d’entreprise du 1er janvier 2001, le tribunal rappelle que notre cour de cassation a jugé que lorsque diverses normes ayant le même objet sont inconciliables entre elles, l’article 51 de la loi du 5 décembre 1968 impose d’exécuter la norme d’un rang supérieur et que l’article 1er, alinéa 2, de la convention collective de travail numéro 5 du 24 mai 1971 autorise la conclusion au sein d’une entreprise d’une convention collective de travail pourvu qu’elle ne soit pas contraire aux conventions ayant le même objet au sein de commissions et sous-commissions paritaires compétentes.

Selon la Cour suprême, une convention collective d’entreprise conclue au sein d’une entreprise relevant de la commission paritaire des services de santé peut prévoir les conditions d’institution d’une délégation syndicale en dehors des conditions fixées par la convention collective conclue au sein de cette commission paritaire (Cass., 5 juin 2000, J.T.T. 2000, p. 420) ».

Appliquant ces principes en l’espèce, le tribunal décide que, nonobstant le caractère d’ordre public de la CCT du 8 juin 1972, il n’est pas interdit dans le chef de l’employeur par le biais d’une convention collective d’entreprise d’édicter un règlement plus favorable que la convention collective de secteur notamment en ce qui concerne la condition à remplir au niveau de l’effectif du personnel.

Les conditions prévues par la convention collective de secteur pouvaient donc valablement être « adoucies » par les partenaires sociaux au sein de l’entreprise et la convention collective d’entreprise du 1 janvier 2001 a pu parfaitement déployer ses effets.

Il en résulte que l’employeur est condamné à payer à madame T l’indemnité de protection prévue par la CCT du 8 juin 1972.

L’intérêt de cette décision

Cette décision illustre que les partenaires sociaux peuvent, par convention collective d’entreprise, prévoir des conditions pour l’installation d’une délégation syndicale qui soient moins strictes que celles prévues par la convention collective sectorielle, même si cette dernière a été rendue obligatoire par arrêté royal, sans que cela ne porte préjudice à la protection contre le licenciement des délégués syndicaux.


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