Terralaboris asbl

Critères permettant de requalifier un contrat d’entreprise en contrat de travail

Commentaire de Cass., 4 février 2013, n° S.11.0051.F et S.11.0154.F

Mis en ligne le mercredi 3 juillet 2013


Cour de cassation, 4 février 2013, n° S.11.0051.F et S.11.0154.F

TERRA LABORIS ASBL

Par son arrêt du 4 février 2013, la Cour de cassation, d’une part, requalifie en contrat de travail salarié le contrat de collaboration indépendante conclu entre un technologue de laboratoire médical et une a.s.b.l. et, d’autre part, se prononce sur les conséquences de la nullité du contrat découlant de ce que le laborantin ne possédait pas les titres requis pour exercer la profession.

Les faits et antécédents de la cause

Entre le 2 novembre 1998 et le 18 novembre 1993, M. J.S., né en 1957, a exercé la profession de technologue de laboratoire médical dans le cadre d’un contrat de collaboration indépendante avec l’a.s.b.l. Cebiodi. Il ne possédait pas les titres requis pour l’exercer, son diplôme de médecin n’étant pas reconnu en Belgique.

M. J.S. a cité son ex-employeur à comparaître devant les juridictions du travail en vue de le voir condamner au paiement d’une indemnité compensatoire de préavis, d’arriérés de rémunération, de pécules et doubles pécules de vacances et de primes de fin d’année.

Le premier juge avait refusé de requalifier le contrat de collaboration indépendante en contrat de travail.

La cour du travail de Bruxelles, par un arrêt rendu le 20 octobre 2010, a procédé à cette requalification en se fondant sur divers éléments dont, essentiellement, les contraintes organisationnelles découlant des obligations légales et réglementaires strictes que sont tenus de respecter les laboratoires médicaux et l’autonomie réduite que les obligations légales et réglementaires pesant sur l’activité du laboratoire impliquaient quant à l’horaire du personnel. Les laborantins considérés comme indépendants ne disposaient dès lors d’une certaine latitude que dans le cadre préétabli par ces obligations légales et réglementaires, cette latitude se limitan à échanger des gardes entre eux ou à se remplacer mutuellement en cas de retard ou d’absence, toute faculté de remplacement par un tiers au service étant exclue pour des raisons à la fois techniques et de sécurité. Elle avait également retenu que M. J.S. ne disposait pas d’une liberté totale pour fixer ses congés.

Ayant requalifié le contrat en contrat de travail, la cour du travail était amenée à statuer sur l’incidence de la nullité de ce contrat, déduite de la violation des dispositions d’ordre public de l’arrêté royal du 2 juin 1993 relatif à la profession de technologue de laboratoire médical, M. J.S. ne possédant pas les titres requis par l’article 3 de cet arrêté royal.

La cour du travail décide que cette nullité ne peut lui être opposée et condamne l’a.s.b.l. au paiement d’une indemnité compensatoire de préavis, d’un euro à titre provisionnel pour les arriérés de rémunération et d’un euro à titre provisionnel pour les pécules, doubles pécules de vacances et de prime.

Par un second arrêt, du 1er juin 2011, la cour du travail tranche la question de la prescription des arriérés et du nombre d’heures de travail prestées.

Le pourvoi de l’a.s.b.l. est dirigé contre le premier arrêt. C’est ce pourvoi qui retiendra note attention.

Précisons néanmoins que le sieur J.S. a dirigé contre le second arrêt un pourvoi qui a été rejeté et qui ne justifie pas à notre estime un commentaire.

Le pourvoi de l’a.s.b.l.

L’a.s.b.l. proposait un premier moyen dirigé contre la requalification, divisé en deux branches.

La première branche faisait essentiellement grief à l’arrêt attaqué de s’être fondé, pour requalifier la relation de travail, « sur des contraintes qui sont imposées par des dispositions légales et qui sont inhérentes à l’exercice de la profession de laborantin au sein d’un laboratoire de biologie clinique ».

La seconde branche critiquait l’arrêt en ce que, pour procéder à la requalification, il s’était fondé sur la circonstance que le sieur J.S. ne disposait pas d’une liberté totale pour fixer ses vacances alors que, selon la demanderesse, celle-ci « n’est pas incompatible avec l’existence d’une collaboration indépendante puisqu’elle ne démontre pas en soi l’existence d’un rapport d’autorité, d’autant plus que, comme l’a relevé la cour du travail en l’espèce, cette règle de conduite répond à une contrainte organisationnelle imposée par des dispositions légales ».

Le second moyen était dirigé contre la décision de la cour du travail que la nullité du contrat ne pouvait être opposée au sieur J.S. La demanderesse rappelait qu’aux termes de l’article 6 du Code civil, il ne pouvait être dérogé par des conventions particulières aux lois qui intéressent l’ordre public ; qu’en vertu de l’article 1108 du Code civil, l’existence d’une cause licite dans l’obligation était essentielle pour la validité d’une convention et qu’aux termes de l’article 1131 du même Code, l’obligation sur une cause illicite ne pouvait avoir aucun effet ; qu’une cause contraire à l’ordre public était, au sens de l’article 1133 du Code civil, illicite.

En matière de contrat de travail, les exceptions à ces règles étaient, en vertu des articles 14 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail et 5 de la loi du 16 mars 1971 sur le travail, limitées. La nullité de l’engagement ne pouvait être opposée au travailleur que dans les trois hypothèses prévues par la loi, à savoir que le contrat était conclu avec un jeune travailleur, que les prestations de travail ont été fournies en vertu d’un contrat frappé de nullité du chef d’infraction aux dispositions ayant pour objet la réglementation des relations de travail ou que ces prestations ont été fournies dans des salles de jeux. Aucune de ces hypothèses ne concernait ce cas d’espèce. L’a.s.b.l. en déduisait que l’arrêt n’avait pu légalement décider de la condamner à payer au sieur J.S. une indemnité compensatoire de préavis sur la base de l’article 39 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail.

L’arrêt de la Cour de cassation

Sur le premier moyen, la Cour de cassation réunit les deux branches. Elle rappelle que le lien de subordination, qui a la caractéristique du contrat de travail, existe dès qu’une personne peut, en fait, exercer son autorité sur les actes d’une autre personne. Elle décide que la cour du travail a pu constater l’existence d’un lien de subordination en tenant compte « de l’autonomie réduite laissée au technologue de laboratoire médical par la réglementation qui régit son activité et de la circonstance que (M. J.S.) ne jouissait pas d’une liberté totale pour fixer ses congés ». Elle rejette dès lors le moyen.

Le second moyen est accueilli. La Cour de cassation relève que M. J.S. n’est pas un jeune travailleur, soit un travailleur mineur ou âgé de moins de 21 ans au sens de l’article 2 de la loi du 16 mars 1971. Elle décide également que les dispositions qui règlementent l’exercice des professions des soins de santé (A.R. n° 78 du 10 novembre 1967) et la profession de technologue de laboratoire médical (A.R. du 2 juin 1993) n’ont pas pour objet la réglementation des relations de travail. L’application conjointe des articles 14 de la loi du 3 juillet 1978 et 5 de la loi du 16 mars 1971 ne permet dès lors pas de conclure que la nullité du contrat de travail ne pouvait être opposée à M. J.S.

Intérêt de la décision

1. Sur la requalification des relations de travail, l’arrêt commenté est important en ce qu’il décide que des contraintes, fussent-elles inhérentes à l’entreprise, peuvent être prises en considération pour requalifier un contrat de collaboration indépendante en contrat de travail et que ces contraintes, jointes à la circonstance que le collaborateur ne jouissait pas d’une liberté totale pour fixer ses congés, permettent de conclure que la qualification retenue par les parties doit être écartée.

Sur la délicate frontière entre la subordination économique et la subordination juridique, on peut également se référer à l’arrêt de la Cour de cassation du 10 octobre 2011 (Pas., n° 536) dans le cadre de contrats d’entreprise conclus entre les entrepreneurs et une société distribuant des périodiques et des publicités.

L’arrêt du 25 mai 2009 (Pas., n° 338) qui rejette le pourvoi formé par la Loterie Nationale à l’encontre d’une décision ayant requalifié un contrat d’entreprise en contrat de travail, est également intéressant en ce que la Cour de cassation relève un certain nombre d’éléments qui suffisent, chacun, à justifier la décision de reconnaître l’existence d’un lien de subordination. Elle souligne que, pour qu’une cassation soit prononcée, il ne suffit donc pas de critiquer utilement l’un de ces éléments. Il faut pouvoir les critiquer tous.

2. Sur la nullité du contrat de travail, l’on se réfèrera à Ch. De Greef (Guide social permanent, Commentaires, Droit du travail, Partie I, Livre I, Titre II, Chapitre I, n° 2180 à 2240). Celle-ci relève qu’est nul un travail de travail conclu en vue de l’exécution d’une profession règlementée lorsque le salarié n’entre pas dans les conditions de cette réglementation et cite à titre d’exemple l’hypothèse d’un salarié engagé pour effectuer des travaux d’architecture alors qu’il n’est pas inscrit sur l’un des tableaux de l’ordre, se référant à l’arrêt de la Cour de cassation du 9 décembre 1991 (Pas., 1992, p. 273). Elle souligne également que l’article 4 de la loi du 27 juin 1969 révisant l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs prévoit que les employeurs ne peuvent, en vue d’écarter l’application de cette loi, se prévaloir de la nullité du contrat conclu avec le travailleur (cfr. cass., 3 février 1975, Pas., I, p. 569).

Ainsi que le souligne S. Gilson (Nullité d’un contrat : opposable ou non à l’employeur ?, Bulletin social et juridique, n° 496, p. 4), l’arrêt de la cour du travail est cassé parce qu’il condamne l’employeur à payer une indemnité de préavis. La situation aurait été différente s’il s’était agi d’une action de l’O.N.S.S. par exemple.


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