Terralaboris asbl

Insaisissabilité du revenu d’intégration sociale : époux en régime de communauté légale

Commentaire de C. trav. Liège, 16 janvier 2013, R.G. 2011/AL/286

Mis en ligne le lundi 8 juillet 2013


Cour du travail de Liège, 16 janvier 2013, R.G. n° 2011/AL/286

TERRA LABORIS ASBL

Dans un arrêt du 16 janvier 2013, la Cour du travail de Liège admet la compensation entre des arriérés de revenu d’intégration sociale (ou d’une aide sociale financière) avec une créance dont le CPAS serait titulaire vis-à-vis du patrimoine du patrimoine commun du bénéficiaire.

Les faits

Un couple de nationalité différente (l’époux étant belge et l’épouse somalienne) se marie en Italie dans le courant de l’année 2000. Il va s’avérer ultérieurement que l’époux a perçu indûment un revenu d’intégration sociale, ayant omis de déclarer ses ressources. La question se pose de savoir si le CPAS peut récupérer ce revenu d’intégration à charge de l’épouse, pour qui il intervient.

Celle-ci introduit un recors devant le Tribunal du travail de Verviers, qui y fait droit.

Le CPAS interjette appel.

Les arrêts de la Cour du travail de Liège

Arrêt du 7 mars 2012

Cet arrêt ordonne, essentiellement une réouverture des débats afin de déterminer le droit applicable au régime matrimonial des époux et de déterminer une éventuelle obligation à la dette dans le chef de l’épouse. La réouverture des débats porte également sur la compensation demandée par le CPAS.

Position des parties après l’arrêt du 7 mars 2012

Le CPAS fait valoir que, le mariage ayant été célébré avant l’entrée en vigueur du code de droit international privé, le droit applicable est le droit belge vu que les époux n’ont pas la même nationalité mais qu’ils ont établi en Belgique leur première résidence conjugale.

Pour le CPAS, la dette est commune et récupérable sur les patrimoines propres et sur le patrimoine commun. Pour le Centre, la dette de l’époux n’est pas une dette qui a pour cause des aliments (au sens de l’article 1293, 3° du Code civil), c’est-à-dire exclu du mécanisme de compensation. Il demande, dans le cadre de termes et délais, à bénéficier de l’article 1410, § 4 du Code judiciaire.

Quant à l’intéressée, elle admet que le régime matrimonial est régi par le droit belge mais que la dette ne peut être commune, en application de l’article 1407, alinéa 3 et/ou 4 du Code civil. Elle se fonde en outre sur l’article 1293, 3° du Code civil pour ce qui est du caractère alimentaire de la dette.

Arrêt du 16 janvier 2013

La cour rappelle qu’en vertu de l’article 24, § 1er de la loi du 26 mai 2002, il n’existe que deux hypothèses où le revenu d’intégration sociale peut être récupéré à charge de l’intéressé (la cour souligne). Il s’agit (i) d’une revision avec effet rétroactif ou (ii) du cas où l’intéressé vient à bénéficier de ressources en vertu de droits dont il disposait pendant la période où il percevait le revenu d’intégration. Après avoir relevé que l’on ne se trouve dans aucune des hypothèses visées à l’article 22, 1° de la loi, étant celle où le CPAS peut revoir sa décision avec effet rétroactif ou non, la cour souligne que l’on ne peut reprocher en l’espèce à l’intéressée d’avoir fait des déclarations fausses ou incomplètes, de même que de s’être rendue coupable d’omission. Il est en effet acquis qu’elle n’était pas au courant des ressources celées par son époux au CPAS. Il en découle que le CPAS ne peut récupérer sa créance sur le revenu d’intégration sociale versée à l’intéressée. La question se pose cependant de savoir si, en sa qualité d’épouse, elle peut être amenée à contribuer au remboursement de la dette (la cour rappelant qu’il ne faut pas confondre la contribution à la dette et l’obligation à la dette). Confirmant ici qu’il y a lieu d’appliquer le droit de la première résidence conjugale (Cass., 9 septembre 1993, R.G. 9426), la cour constate qu’à défaut de contrat de mariage, le régime matrimonial est celui de la communauté légale (articles 1398 à 1450 du Code civil).

Le comportement de l’époux est une faute au sens de la réglementation en matière de revenu d’intégration sociale et la cour en déduit qu’il y a dès lors une dette résultant d’un quasi délit, cette dette étant propre en application de l’article 1407, dernier alinéa du Code civil et non une dette contractée par l’un des époux pour les besoins du ménage et l’éducation des enfants au sens de l’article 1408 du même code.

La dette propre à l’un des époux ne peut être récupérée selon l’article 1409 que sur le patrimoine propre de celui-ci mais les articles 1411 et 1412 viennent tempérer ce principe, étant que le quasi délit a accru le patrimoine commun des époux, le revenu d’intégration étant un revenu au sens de l’article 1405 du Code civil et qu’il fait dès lors partie de celui-ci. La dette propre est récupérable sur ce patrimoine à concurrence des sommes dont il a tiré profit. En l’espèce la cour fixe celui-ci à la totalité des montants dont l‘époux est redevable. La créance de l’intéressé sur le CPAS est également constitutive de revenu au sens de la même disposition et la cour conclut que les conditions de la compensation légale sont rencontrées, le CPAS étant à la fois débiteur et créancier du patrimoine commun et les dettes réciproques étant certaines, liquides et exigibles.

En ce qui concerne l’exclusion du mécanisme de la compensation en cas de dette ayant pour cause des aliments déclarés insaisissables (article 1293 du Code civil), la cour rappelle que sont réputés insaisissables les montants payés au titre de revenu d’intégration sociale ainsi que d’aide sociale (article 1410, § 2 du Code judiciaire). En conséquence, l’on ne peut compenser une mensualité du revenu d’intégration (ou encore d’aide sociale financière) avec une créance qu’aurait le CPAS sur le bénéficiaire. Celui-ci a en effet, comme le souligne la cour, un impérieux besoin de ces sommes. Tel n’est cependant pas le cas, selon l’arrêt, lorsqu’à l’issue d’une procédure, le CPAS est débiteur d’une somme importante représentant de nombreux mois de revenu d’intégration (ou d’aide sociale). Pour que ces arriérés soient considérés comme des aliments insaisissables au sens de l’article 1293, 3° du Code civil, il faudrait démontrer que le non octroi de ceux-ci pour le passé est de nature à empêcher actuellement le bénéficiaire de mener une vie conforme à la dignité humaine. La cour constate qu’en l’espèce ceci est ni établi ni offert à preuve. Il peut dès lors y avoir compensation pour les montants en cause. La cour rejette cependant que le CPAS puise se voir appliquer l’article 1410, § 4 du Code judiciaire, dans la mesure où l’intéressée n’est pas le débiteur de l’indu visé par cette disposition.

Intérêt de la décision

Cet arrêt rappelle les règles en matière de contribution au remboursement d’une dette vis-à-vis du CPAS, de la part d’un époux lié par contrat de mariage dans le régime de la communauté légale. La cour considère que, même si l’obtention fautive du revenu d’intégration est une dette propre, le patrimoine commun a pu être accru par l’octroi des montants en cause et qu’une compensation peut intervenir sur celui-ci. L’on notera selon la cour que le caractère insaisissable du revenu d’intégration sociale (ou de l’aide sociale) tel que consacré par l’article 1410, § 2 du Code judiciaire est limité aux mensualités en cours et non aux arriérés.

L’on constatera également que – de manière étonnante -, la cour applique aux arriérés de revenus d’intégration sociale une condition généralement réservée à l’aide sociale, qui est de déterminer si le non paiement d’arriérés est de nature à empêcher actuellement le bénéficiaire de mener une vie conforme à la dignité humaine. Cette question, spécifiquement réservée à l’aide sociale, ne doit pas en principe toucher les arriérés des mensualités de revenu d’intégration. La cour justifie peu sa conclusion selon laquelle ces sommes (revenu d’intégration sociale et aide sociale) perdent leur caractère insaisissable du fait que l’octroi vise des arriérés et non des mensualités en cours.


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